GEORGES MERILLON/Le Figaro Magazine

Melun. Quartier-Nord. Menouar M* m’attend patiemment dans le kebab du quartier. Cet homme de 32 ans a passé plus de trois ans derrière les barreaux. C’est un ancien détenu de la prison de Fleury-Mérogis. Cet ancien “assoiffé d’argent”, comme il se définit, était connu des services de police de sa municipalité depuis son adolescence. Son casier judiciaire se remplissait au fur et à mesure qu’il grandissait.
Jusqu’au jour où il dépasse les limites et se met aux braquages en séries. Petits commerces, fourgons, magasins spécialisés, il réussit son coup presque à chaque fois. Sauf ce 27 mai 2004, où, à seulement 24 ans, il se fait prendre en pleine action dans un supermarché du quartier. Cagoulé et armé, il menaçait de mort le personnel.

Ce jour-là, il le reconnaît, il est allé trop loin : « J’étais dans un état psychologique inquiétant, j’avais de l’argent mais j’en voulais toujours plus. Je n’avais peur de rien, ce que je voulais c’était repartir avec de l’argent quoi qu’il arrive« . Une tentative de braquage avortée puisque la police a fini par appréhender Menouar. Condamné, il découvre la prison. A la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, il rencontre des détenus pas comme les autres. Tout en gardant ses distances, il lui arrive de les côtoyer. Il comprend par leur physique et leur style vestimentaire que ce sont des détenus musulmans pratiquants.
D’origine tunisienne, Menouar a grandi au sein d’une famille musulmane, “dans un environnement d’islam normal ” comme il aime à dire aujourd’hui. Après l’adolescence il s’en éloigne complètement : cannabis, filles, vols. « Je n’avais pas le comportement cohérent et je ne me posais surtout pas cette question« . En prison, il s’adapte assez vite aux conditions, se trouve des potes, des gens comme lui “qui ont fait des conneries mais rien de méchant”, d’autres qui ne lui ressemblent pas du tout, puis des « frères », qu’il respectait profondément.

En sortie, et à plusieurs reprises, il échange avec eux sur plusieurs points de vue, aussi bien sur le plan humain que sur le plan religieux. « J’étais dégoûté d’être là, mais bon je n’y pouvais rien donc j’essayais de me trouver des occupations, de servir à quelques chose. La visite de mes parents me faisait beaucoup de mal, car je me rendais compte que je les faisais souffrir ».

Son père lui recommande de se tourner vers la religion, de demander pardon à Dieu et de suivre le chemin de la repentance. Il prend ce conseil en considération, se promet de rendre fier son père. Ne connaissant presque rien à’ l’islam, il se rapproche petit à petit de ce groupe minoritaire de la maison d’arrêt. Son père s’en réjouit dans un premier temps, avant de s’apercevoir que son fils se radicalise.  » Je lisais beaucoup de livres, on me parlait beaucoup, parfois des nuits entières. On faisait des nuits blanches à parler de religion, ça me faisait flipper car plus je lisais et plus je m’apercevais que j’avais commis énormément de pêchés. Mon but ultime était de me repentir.« 
Persuadé qu’il a « du taff à faire” sur lui, il demande conseil à des frères, qu’il voit comme les imams de la prison. « Je les admirais, ils avaient un discours bien préparé, il m’ont apaisé et m’ont rassuré. Ils étaient équipés en livres. Ils avaient réponse à tout et leur mot d’ordre était de relativiser. Ils me répétaient que l’erreur est humaine, et que désormais il fallait que je me consacre à Dieu et m’éloigne des mécréants qui sont les enfants du Diable. Leurs paroles étaient les suivantes : “si tu es ici, c’est que Dieu l’a choisi, c’était écrit que tu devais tomber en prison, et solliciter mon aide.” Menouar se souvient avoir lu “des tonnes de livres qu’on me prêtait, je passais mes journées à lire, à m’instruire. J’avais l’impression de trouver les réponses à mes questions”.

Une métamorphose physique et psychique

Plus le temps passe et plus Menouar * se radicalise. Il se découvre une passion pour le fait religieux, enfile la « djellaba » au quotidien, se laisse pousser la barbe, et ne dit plus bonjour aux femmes travaillant dans la prison. Il applique à la lettre ce qu’on lui dit. Sa mission : protéger et propager l’islam. Faire la guerre s’il le faut. Sa famille constate avec effroi le revirement de situation. Le fils, le frère à complètement changé à leurs yeux.  » Mon père aurait même préféré que je reste voyou« .

Une fois sa peine purgée, c’est un Menouar métamorphosé qui sort de prison. Un Menouar qui va devenir un cauchemar pour ses proches. « Ma mère était à la fois contente que je sorte, mais inquiète de voir mon comportement, mon attitude. J’étais devenu très calme, peu bavard alors qu’elle ne m’avait jamais connu comme ça« .

Aujourd’hui avec le recul, il se souvient de l’image qu’il s’était octroyée, celle de l’imam auto-proclamé de la famille.  » Je critiquais la pratique religieuse de mes soeurs, de mes parents. J’étais vraiment tombé dans un islamisme radical qui effrayait mes proches« . Ses discours envers Israël tournaient vite à la haine. Têtu, il ne voulait rien entendre, fréquentait un groupe d’amis qui partageaient le même radicalisme. Il voulait vite effectuer le pèlerinage à La Mecque malgré son jeune âge, trouver une femme. Faire tout ça avant  » la fin du monde« .

Les fêtes de l’Aïd, les réunions de famille deviennent invivables pour ses proches. Son père ne supporte plus de voir son fils basculer dans un extrémisme radical, contraire aux valeurs de l’islam qu’il pratique, saint et pacifique. Il en vient même à virer son propre fils de chez lui, essayant dans un premier temps de l’aider à se soigner, “car pour lui, j’étais devenu malade”.

Fier, Menouar refuse l’aide de son père et décide de ne plus lui parler pendant plus d’un mois. Sans travail ni toit, il se cogne à la réalité. Son casier judiciaire le suit, « je me souviens d’un après-midi, je suis passé chez moi pour récupérer des affaires, j’ai croisé le visage de ma mère, c’est comme si elle m’avait giflé cent fois.Son regard m’a mis une claque, il était pire que le regard qu’elle avait quand elle venait me voir en prison, rempli de tristesse, d’incompréhension. Je me suis dit “mais c’est ma mère”, imaginez l’importance de la mère dans l’islam, là je la décevais, elle souffrait « . Il avoue avoir “pleuré comme une fille, sauf que j’avais une immense barbe à l’époque« . Pour lui , c’est sa mère qui l’a réconcilié “avec l’islam normal”.

Des détenus “imams à la place de l’aumônier”

Selon les chiffres, sur 66 000 détenus, les établissements pénitentiaires compterait près de 20 000 musulmans pratiquants (c’est-à-dire respectant le ramadan). L’islam des prisons, dispensé jusqu’à il y a une dizaine d’années par des imams auto-proclamés, est aujourd’hui encadré par 151 aumôniers musulmans agréés à la fois par l’administration pénitentiaire, l’aumônier général musulman et les services de renseignement. Un islam de tolérance et de respect.

J’ai pu m’entretenir avec un ancien de ces aumôniers musulmans. Yaniss Warrach, est un ancien aumônier de la maison d’arrêt de Nanterre, il a passé trois ans aux côtés de détenus musulmans. Trois années au cours desquelles Yaniss Warrach a pu écouter, observer et essayer de comprendre ces hommes. Pour lui, le cas de Menouar est un beau témoignage qui confirme ses propos. « Ce qui m’a irrité à l’époque, c’est de voir des détenus prendre ma place en quelque sorte. Ils se faisaient imams à ma place« , explique-t-il, ces détenus dispensaient des contre-prêches à l’issue de celui que je prononçais le vendredi.« 

L’aumônier se souvient aussi de « l’émir » de la prison, un certain turc qui ne parlait pas la langue française et s’aidait d’interprètes. Il recevait les détenus dans sa cellule entièrement retapissée de moquette et de coussins. « Il donnait ses avis juridiques, ses opinions, il faisait le travail de l’imam, de l’aumônier. Il répondait à ma place« , témoigne Yaniss Warrach, qui estime que cet homme était là pour recruter des candidats au djihad.

Son constat est clair : il n’y a pas assez d’aumôniers musulmans dans les prisons, un peu plus de 150 contrairement aux 600 aumôniers chrétiens.Yaniss Warrach connaît parfaitement le profil de ces jeunes détenus vulnérables. Tout ce qu’a vécu l’ancien détenu Menouar, Yaniss Warrach a pu le constater quand il exerçait son métier.  » Lorsque je recevais des jeunes et que je leur demandais ce qu’ils lisaient, je comprenais tout de suite qu’il s’agissait d’ouvrages salafistes. C’est ce qui m’a alarmé. Les jeunes n’ont pas de bagages religieux pour avoir une critique sur les textes religieux qu’ils lisent. Et certains ouvrages très connus prônent une haine contraire aux valeurs de l’islam. C’est un phénomène minoritaire dans les prisons, mais il est important de le signaler car si on ne met pas plus d’aumôniers, le phénomène va s’amplifier ».

Un témoignage qui semble appuyer celui de Menouar. Aujourd’hui marié, père de deux enfants, toujours musulman devenu respectueux et tolérant, il travaille désormais dans le bâtiment. Et semble être loin de son passé qu’il n’oublie pas et assume. Il avoue être fier de ce qu’il est devenu et le doit à sa famille, « sans qui je ne serai jamais devenu ce que je suis. ça a été dur et long mais ça me permet aujourd’hui de vivre heureux avec ma femme et mes gosses. Et de ne pas finir tué par des tireurs du RAID en direct à la télévision. »

*prénom modifié

Mohamed Mezerai

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