Le « maire-Clochard » de Sevran a plié bagage jeudi après avoir observé pendant 5 jours une grève de la faim sous les fenêtres de l’Assemblée Nationale. Fin connaisseur du système médiatique Stéphane Gatignon avait déployé sa tente Quechua et son matelas gonflable afin de souligner la situation financière catastrophique des « collectivités locales les plus en difficulté ». L’élu réclamait près de 5 millions d’euros d’aides exceptionnelles afin de boucler le budget de sa ville. C’est chose faite puisque le gouvernement a concédé le déblocage de fonds supplémentaires, mettant ainsi fin à un conflit que beaucoup estimaient grotesque. Mais quelles raisons ont bien pu pousser ce père de famille à quémander de la sorte des fonds gouvernementaux ?

Comme le souligne Stéphane Gatignon dans une lettre adressé aux parlementaires, Sevran fonctionne avec un budget inférieur de 30 millions d’euros à celui d’autres villes semblables. Cette différence s’explique par des recettes exsangues en perpétuelle baisse combinées à des dépenses sociales rendues indispensables par l’évolution démographique de la ville.

Le déficit structurel de Sevran n’est pas le fruit de politiques récentes mais d’une longue histoire non linéaire que la ville partage avec nombreuses de ses voisines franciliennes. Au début des années 1950, l’incroyable augmentation des naissances et le gel des constructions d’habitations provoquèrent une grave crise du logement en France. En 1954, plus de 40% des logements n’avaient pas d’eau courante et 90% étaient dépourvus de salle d’eau. Dès lors, la construction de logement à marche forcée voulue par l’Etat apparut comme un projet progressiste. Ces grands ensembles étaient pensés au sein d’un appareil d’Etat centralisé, rationaliste, imaginant l’espace de manière fonctionnaliste, laissant peu de place aux loisirs et aux espaces verts. Sevran n’échappe pas à la tendance et voit son parc de logement collectif et social explosé  avec la construction des cités Perrin, Rougemont, Logirep en 1968, ZAC des Beaudottes en 1975, Montceleux en 1976, résidence Isabelle en 1977.

Initialement pensés comme un lieu de mixité sociale, les grands ensembles virent leur population changer en moins d’une décennie, passant du statut de symbole de la modernité, du confort et du progrès à celui du lieu de la marginalité sociale et de l’exclusion. Les classes moyennes florissantes se laissant gagnées  par l’individualisme, elles déménagèrent pour des logements plus conventionnels en ville. Les grands ensembles furent ainsi privés des catégories les plus aisés de leur population. Les remplacèrent des ouvriers, des immigrés bénéficiant de la politique du regroupement familial, une population beaucoup plus précaire.

A Sevran, les grands ensembles étaient peuplés d’ouvriers travaillant pour les grandes usines phares de la ville. Mais dès 1973 la crise de la désindustrialisation toucha de plein fouet cette cité avec la fermeture de la Poudrerie Nationale, suivie en 1993 de celle de Kodak et des freins Westinhouse en 1995. Chaque usine qui ferme représente une diminution immédiate de la taxe professionnelle touchée par la mairie. La morosité économique touche de plein fouet la ville, avec 83,8% des actifs sevranais travaillant dans une autre commune que Sevran. De plus, le chômage qui atteint 16 % en moyenne et 40% chez les jeunes, pousse la ville dans l’engrenage infernal où elle se trouve aujourd’hui. Avec un revenu médian de 13 653 euros en 2009 selon l’INSEE, seulement 47% des Sevranais sont  imposables. Devant la diminution des rentrées fiscales, les maires successifs ont augmenté les impôts locaux que cette minorité continuait à payer. Stéphane Gatignon s’est refusé à les augmenter à nouveau pour le budget 2012.

Alors que les recettes diminuaient, les dépenses elles augmentaient. Avec près d’un quart de la population ayant moins de 14 ans, Sevran est une des villes les plus jeunes de France. Les dépenses sociales sont donc plus grandes. Places de crèches, classes d’écoles primaires, bibliothèques, centres de loisirs, autant d’infrastructures à la charge de la municipalité. Sachant que le seul entretien des bâtiments communaux et des écoles coûte déjà près de 1,3 million d’euros par an.

Au-delà des 5 millions nécessaires pour boucler le budget de cette année, le maire de Sevran réclamait aussi une remise à plat de la fiscalité locale, une plus grande péréquation horizontale. Ce mot barbare signifie qu’une commune riche ferait bénéficier une commune pauvre d’une partie de ses excédents budgétaires. Dans le département de la Seine Saint Denis, Sevran est entouré de villes riches comme Le Raincy où la concentration de logements à loyer modéré est bien inférieure. Selon M. Gatignon ces villes devraient, au nom de la solidarité, participer et aider des villes comme Sevran à prendre en charge les populations précarisées.

Ce fonds existe déjà : c’est le Fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF). Sevran toucha en 2012, 4,4 millions d’euros à ce titre. La loi fixe par ailleurs un objectif annuel de ressources qui devrait voir ses moyens augmenter à 230m d’euros en 2013, 250 en 2014 et 270 en 2015. Ce que son maire réclame c’est un renforcement et un recentrage de la Dotation Solidarité Urbaine. Il aimerait voir son budget porté de 120 à 150 millions tout en recentrant son action des 250 aux 100 communes les plus pauvres.

Pour rappel, François Hollande, alors candidat en campagne avait assuré en avril dernier sur le plateau du Bondy Blog Café qu’il agirait en faveur d’un Smic communal, permettant à chaque ville de recevoir un budget minimum proportionnel à sa population. Il estimait à l’époque que le différentiel de revenus entre deux villes semblables ne devrait pas être supérieur à un rapport de 1 à 10.

Rémi Hattinguais

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