Dimanche 25 novembre dans la communauté autonome de Catalogne en Espagne, des élections pour renouveler le parlement catalan sont organisées deux ans avant la date prévue. Elles ont été annoncées le 25 septembre dernier lors du débat de politique générale de cette assemblée par Artur Mas, son président, et actuel dirigeant de la coalition de droite nationaliste catalane Convergencia i Unio.

Pourquoi cette élection anticipée ? Pour mieux comprendre ce qui se passe de l’autre côté des Pyrénées, Laia Balcells, chercheuse catalane, Docteur en Sciences politiques diplômée de l’Université de Yale et professeur à l’Université Duke en Caroline du Nord, a accepté de répondre aux questions du Bondy Blog et de livrer sa vision des choses. Interview.

En quelques mots, pourquoi cette élection ?

Laia Balcells: La Catalogne se trouvait dans une paralysie économique et politique totale depuis plusieurs mois. Paralysie économique en premier lieu car au printemps 2012, le gouvernement d’Artur Mas s’est retrouvé dans l’incapacité d’honorer la dette publique, d’une part parce que le gouvernement central espagnol ne lui versait pas l’intégralité des fonds qu’il lui devait, et d’autre part, parce que la Catalogne est une région très endettée mais dans l’incapacité légale de lever l’impôt. Paralysie politique ensuite. Sans majorité absolue au Parlement, le parti du président Mas, Convergencia i Unio, a rompu son alliance avec le Partido Popular (PP) catalan (parti de droite, actuellement au pouvoir en Espagne sous la direction de Mariano Rajoy) sur des divergences sur les questions économiques liées à la crise. Avec une telle crispation tant économique que politique, suivie d’une manifestation massive à l’occasion de la fête nationale catalane, le 11 septembre, Artur Mas vit l’opportunité d’organiser des élections anticipées afin notamment d’obtenir une majorité plus large au parlement catalan mais aussi d’amorcer un processus d’auto-détermination pour le peuple de Catalogne.

La Catalogne pourrait-elle déclarer son indépendance à l’issue des élections du dimanche 25 novembre ?

Non. Mais si la majorité des électeurs votaient pour des partis favorables à l’indépendance, il y aura probablement un accord entre ces partis, pour arrêter une date, et mettre en place un référendum d’auto-détermination…

Mais est-ce possible avec la constitution espagnole actuelle ?

Normalement, c’est au roi de convoquer un référendum, et le droit à la sécession ne figure pas dans la constitution espagnole. Cependant en Catalogne, il existe la possibilité d’organiser des consultations populaires, qui, à défaut d’être légales au regard de la constitution espagnole, ont une vraie légitimité populaire puisque basées sur le vote de la population.

Dans quel climat se déroule la campagne électorale ?

C’est tendu, les agressions verbales entre les différents camps sont légions. L’Espagne est un pays ultranationaliste et beaucoup d’Espagnols n’acceptent pas qu’une partie du territoire veuille l’indépendance. Ils le prennent pour un rejet, un « desprecio » alors que c’est juste l’expression démocratique d’un peuple…. Les tensions sont aussi provoquées par les discours démagogiques des membres du Partido Popular en particulier, dont certains affirment, par exemple, que la Catalogne indépendante obligerait à changer les noms de famille espagnols comme Garcia en noms catalans. C’est n’importe quoi ! Ils expliquent aussi que le catalan serait la seule langue autorisée, ce qui est faux, alors qu’eux même ont imposé l’espagnol aux Îles Baléares ou à Valence dont la langue par tradition était le catalan… En Catalogne, depuis le rejet en 2010, par le Tribunal Constitutionnel espagnol de notre Estatut pourtant adopté via un référendum autorisé et légal, il y a un mécontentement de la population envers le pouvoir central de Madrid auquel s’est ajouté la grave crise économique qui frappe tout le pays… Tout ça génère évidemment un climat de tension très loin de toute normalité !

L’Espagne n’a-t-elle pas simplement peur de perdre sa place et son poids en Europe en étant réduite en terme de population et de territoire ?

Bien sûr qu’elle a peur et pour cause ! Pour moi, l’image de cette situation, pour comparer, cela serait comme une femme battue par son mari, qui, le jour où elle déciderait de le quitter pour prendre son indépendance, s’entendrait dire par le mari qu’il ne veut pas la laisser partir car il ne pourrait plus vivre sans elle… Bref. Le pourcentage de PIB qui se donne à l’Espagne depuis la Catalogne, le « fiscal deficit » comme on l’appelle, est énorme et pourtant les investissements de l’État central dans notre Communauté autonome ne sont pas du tout à la hauteur d’autres régions comme celle de Madrid par exemple. L’Espagne aurait du avoir plus d’égard envers la Catalogne, lui donner des privilèges économiques et politiques car cela fait plus de 30 ans qu’elle supporte un état central qui ne fait que la « maltraiter »…

Tu es une chercheuse émigrée aux USA ? Est-ce la crise qui t’a fait partir ?

J’ai certes anticipé la crise mais j’ai aussi eu la chance qu’on m’offre une opportunité de travail très intéressante, ici, à la Duke University. Pour les jeunes qui peuvent partir, qu’ils partent tenter leur chance à l’étranger ! Mais pour d’autres comme pour les chômeurs de plus de 50 ans par exemple, c’est plus compliqué car ce sont des personnes très exposées et moins mobiles… Or il y a des études qui démontrent que le travail est l’un des facteurs les plus importants dans le bonheur et l’épanouissement des êtres humains. Sans travail, ces chômeurs entrent dans un cercle vicieux d’exclusion duquel il est très difficile de sortir…

Ne crois-tu pas que la Catalogne peut rencontrer un manque de compréhension de la part des autres pays européens notamment face à ses velléité d’indépendance vis à vis de l’État espagnol ?

Si on se place du point de vue des États Nations qui ont eux-mêmes créé le système dans lequel nous évoluons, il est normal que les demandes d’indépendances qui émanent de certains peuples ne les satisfassent pas… Mais depuis la fin de la guerre froide, au moins 25 nouveaux États ont été créés comme le Kosovo, le Monténégro, le Timor oriental et le Soudan s’est scindé en deux pays… Les sociétés évoluent, c’est l’ordre des choses, alors pourquoi la Catalogne ne deviendrait-elle pas indépendante si c’est la volonté démocratique de la majorité de son peuple ?

Propos recueillis par Sandrine Dionys

Pour approfondir la réflexion de Laia Balcells :

-http://themonkeycage.org/blog/2012/11/14/2012-catalonia-elections-pre-election-report/

-Pour en savoir plus sur le rejet de l’Estatut de la Catalogne qui a favorisé la poussée de l’adhésion aux courants indépendantistes, lire l’article paru en 2010 sur le Bondy Blog.

Articles liés