Des femmes comme Mokhtaria Kebli, on en croise rarement. Mère de trois enfants, cette professeure d’espagnol est aussi  présidente-membre de l’ANELD 93 (Association Nationale des Elus Locaux pour la Diversité), présidente d’un conseil local de parents d’élèves FCPE  et enfin, représentante du personnel CGT. « Ce sont des choses qui se sont imposées à moi » explique-t-elle. Des engagements qui lui tiennent à cœur.  Une femme consciencieuse, travailleuse, d’un franc parler (ou son « côté grande gueule » comme elle le répète souvent) qui peut en agacer, et surtout sa grande implication dans la vie des quartiers populaires. C’est cette implication qui l’amène à devenir représentante des parents d’élèves quand elle voit ce manque dans l’école de ses enfants « il y a tellement de méconnaissance, les parents sont tellement demandeurs alors qu’on les dit démissionnaires ».

Plusieurs casquettes et pourtant, elle arrive autant à gérer sa vie personnelle que professionnelle. « Je rends hommage à mon mari Karim, il est d’un soutien et d’une aide extraordinaire » confie la jeune mère de famille.  Un emploi du temps bien chargé et pourtant, Mokhtaria prend le temps de me recevoir.

Les quartiers populaires, elle connait bien. Aujourd’hui Aulnaysienne, Mokhtaria a grandi au quartier du « chantier du coq » à Evry avec ses frères et sœurs. Ses parents ont toujours travaillé. Elle vient d’un milieu ouvrier et décrit cette fascination qu’elle a pour sa mère « j’ai toujours été impressionnée par ma mère, elle a toujours travaillé dur, sans jamais se plaindre. Elle voulait  que ses enfants aillent régulièrement en Algérie chaque année pour éviter toute rupture avec nos origines culturelles». Elle la voit comme une « femme forte, aimante, généreuse et rigoureuse sur la question de l’éducation ». A côté de ça, son père était plutôt « papa poule, permissif, c’était les câlins, les bonbons » mais tout autant généreux et intransigeant sur la question de l’éducation. Des valeurs qui ont construit sa personnalité, probablement une des raisons pour lesquelles Mokhtaria fait un « parcours sans faute », sans avoir doublé.  Elle obtient un baccalauréat Littéraire, des études LLCE (Langues et civilisations étrangères) en espagnol à Paris 3-Sorbonne Nouvelle et à Paris 8 Saint-Denis, dont elle sort avec une maitrise, puis s’est dirigée vers l’enseignement. « J’étais obligé de bosser pour payer mes études ». Elle a été notamment surveillante d’externat à Aubervilliers, ce qui lui a permis de découvrir la Seine-Saint-Denis.

Mokhtaria replonge dans ses souvenirs et se remémore le quotidien dans son quartier d’Evry  «il y avait une solidarité, de l’échange, de la mixité… j’ai été confrontée à différentes personnes qui constituaient les différentes idéologies de la société ».

Mokhtaria a aussi été habituée à prendre la parole en public depuis son plus jeune âge « j’ai souvent été élue délégué de classe, j’ai siégé au conseil d’administration et me suis aussi investi dans la vie citoyenne du lycée ». C’est ainsi qu’elle se retrouve à faire ses première grèves en 1995, mais aussi son premier « débrayage de cours » à cette même époque.

En terminale, elle tient pour la première fois un mégaphone lors d’un rassemblement à la préfecture d’Evry. Un élève risquait l’expulsion. « Je me suis étonnée moi-même, en gros ce que j’ai dit c’était : vous mettez à la porte les enfants de ceux qui ont construit la France ». Une prestation remarquée qui lui vaut des applaudissements lorsqu’elle entre à la bibliothèque de la ville.

A travers  son parcours, ses fonctions, Mokhtaria a constaté l’évolution des « banlieues » au fil des années « rien n’a changé ça s’est empiré. Je suis repartie dans mon quartier : plus de mixité sociale, ils ont juste rafraichi les bâtiments, la librairie est devenue une supérette. Avant on parlait de quartier maintenant on parle de cité ». Un changement qui la préoccupe, elle qui a étudié dans un collège où les élèves étaient de différentes classes sociales, venaient de différents quartiers.

« Ce qu’il faudrait c’est rendre la priorité à l’éducation, l’accès au savoir de manière égale, rétablir la mixité, une vraie transparence dans la commission des logements, arrêter de stigmatiser. Aujourd’hui sortir du quartier c’est synonyme d’ascension sociale, mais il fait bon vivre dans les quartiers ! » argumente-t-elle.

Chaque semaine son emploi du temps est plein à craquer. Comment gérer tout ça ? Elle relativise timidement « toute est une question d’organisation tu sais». Un bel exemple de réussite.

Imane Youssfi

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