Des boules de tapioca gélatineuses qui tapissent le fond d’un verre de thé aromatisé. Qu’est-ce que c’est que cette boisson de femme enceinte ? La première fois que j’ai croisé une personne sur Paris avec son gobelet de Bubble tea à la main, je me suis dit, c’est sûr, il y a un Bondynois dans le coup. Il y a que chez nous qu’on fait des trucs comme ça. Un dîner presque parfait à Bondy ça serait légendaire. On vous servirait une pizza 4 formages fait maison, Kiri, Babybel, Vache qui rit, yaourt au citron. Recette familiale garantie.

Bubble Fever n’est pourtant pas une boisson du crû, il lui manque ce petit goût canal de l’Ourcq, mais je brûlais : c’est des gars de chez nous qui ont importé ce produit en France.

Comme son nom l’indique, Kelly est Franco-chinoise. Ce qui est surprenant, c’est que ses sœurs le sont aussi. De temps en temps, elles retournent au bled. Lors de leur passage à Taïwan, Hong Kong ou Ouarzazate, elles découvrent une boisson, onctueux mélange de thé sucré qu’on boit avec une paille de la dimension d’une narine berbère. Cet ustensile permet de gober les boules de tapioca qui tapissent le fond du verre. Elles trouvent ça original et délicieux. Au point qu’elles se font des perfusions de Bubble teas toutes les six heures durant leurs différents séjours en Asie.

De retour dans leurs vies en France, elles n’arrivent plus à décrocher de leur nouvelle drogue. Il leur faut leur thé aux perles. Seulement, l’Asie c’est loin, et la France ignore jusqu’au nom de cette boisson qu’elles ont tant appréciée.

 

« Si Mirko ne vient pas à la montagne, la montagne ira à Mirko » dit un proverbe serbe que j’ai inventé. Kelly la plus jeune du trio, fan number one de la boisson, dépitée de ne pas retrouver les ingrédients, se voit proposer par Eam Hav, le mari de Rosalie, sa sœur, d’importer le produit en France. L’idée paraît d’autant plus bonne que les sœurs Halliwell made in China découvrent que parmi leur entourage de globe-trotters, beaucoup ont une haute opinion de cette boisson. Une petite recherche sur le net confirme. Des internautes de retour d’Asie sont tellement désespérés de ne pas trouver de Bubble tea sur Paris, qu’ils se sont essayés à un curieux palliatif : des M&M’s dans du Ice tea.

Pour mener à bien leur projet, une bande de six entrepreneurs est réunie. Ils comptent sur une seule chose pour réussir : eux-mêmes. Ou plutôt leurs compétences. Rosalie est chef de produits dans une grande enseigne, Ronita est commerciale, Kelly a eu son Bac avec mention bien et poursuit des études en école de commerce, Eam Hav, ingénieur informaticien en banque d’investissement est le Président. Les jumelles, Delphine et Louise, sont également de la partie. La première est à l’origine de toute la charte graphique de Bubble Fever et la seconde, directrice générale en charge du contrôle de gestion. Une fois l’équipe réunie, un peu comme au début des épisodes de l’Agence tout risque, l’aventure Bubble Fever peut commencer.

 

« Heureusement, nous sommes à l’époque d’Internet. Sans cela il n’aurait pas été aussi facile de mener à bien notre projet », confie Kelly. Pas de locaux, pas de salariés, peu de matos, grâce au site qu’ils ont créé ensemble, les accros du thé aux perles peuvent très vite se remplir le gosier, en un clique ou deux. Le résultat des ventes dépasse leurs attentes.

D’après des consommateurs, rencontrés lors d’une présentation de Bubble Fever dans une galerie d’art, le succès de cet élixir tient au fait que la préparation de la boisson incite à la convivialité : « Bubble Fever c’est une occasion de se réunir entre copines, affirme une cliente. On cuit les perles de tapioca comme des pâtes, on prépare notre boisson à notre façon et selon notre goût, on se rappelle nos voyages tout en sirotant notre breuvage. »

Celle-ci est vendue en kit. Un sachet de tapioca, un shaker, du sirop, du thé, rajoutez du lait si vous voulez la jouer Milk Shake, faites votre mélange et buvez ! « Le tapioca, c’est de la farine de manioc, de la gomme naturelle et du caramel, l’avantage c’est qu’on a l’impression de manger des bonbons gélifiés mais ça n’en est pas. Il y a un réel apport énergétique, du coup plus de complexes », affirme Ronita.

Avant d’atterrir dans l’œsophage du consommateur, l’équipe de Bubble Fever veille au grain. Un cahier des charges précis et scrupuleux garantit la qualité du produit. Des contrôles sont faits au départ de Taïwan, terre de naissance de Bubble Fever, et à son arrivée en Europe. Un luxe de précautions qui s’explique certainement par ce gros cliché : « j’ai mangé un nem au poulet fait avec les doigts de pieds ».

Au début, les six membres de cette entreprise naissante s’adonnaient à la vente de boisson asiatique en dehors de leurs heures de boulot, ils ne voulaient pas tout risquer dans l’affaire en jetant aux orties leurs carrières : « Ça fait des journées pas mal chargées du coup. Mais comme c’est notre projet, on ne compte pas les heures », dit Kelly.

Peu à peu, grâce au succès de Bubble Fever, ces entrepreneurs commencent à quitter leurs emplois respectifs pour se consacrer à plein temps à leur activité fait maison. Leur société d’import est installée à Bussy-Saint-Georges, un domicile de Rosalie depuis qu’elle a épousé un métèque, enfin un non-Bondynois.

Aujourd’hui Bubble Fever est une petite activité en pleine expansion. Plus de 4 000 fans sur Facebook consomment régulièrement le breuvage. Chaque sou récolté est réinvesti dans le projet. Donc, pour l’instant, personne ne gagne de rond dans cette affaire. Mais ça ne saurait tarder, incha’Allah. La bande va bientôt ouvrir son tout premier salon de thé Bubble Fever sur Paris. Tous ceux qui ont la flemme de préparer la boisson chez eux pourront désormais la déguster tranquillement en la commandant à cette adresse :  Bubble Fever Café – 5 rue de Mirbel 75005 Paris.

J’aurais bien aimé faire comme Kelly et ses sœurs, vous faire découvrir et importer en France la boisson nationale de mon bled, le gazouz algérien. Mais je crois qu’il y a un truc dans la convention de Genève qui dit que les armes chimiques il ne faut pas les faire boire aux gens…

Idir Hocini

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