LP/A.D.

Boulogne-Billancourt, quartier du Square de l’Avre et des Moulineaux. Il y a trois ans, en 2009, neuf familles voient leurs enfants condamnés pour trafic de stupéfiants. Les coupables écopent de peines allant de 6 mois à 3 ans de prison ferme et une interdiction de rester dans la commune pendant un an. Tous les condamnés sont majeurs sauf trois, mineurs au moment des faits selon les familles.

L’OPDHLM, représenté par son directeur Christian Dupuy (également maire UMP de Suresnes) demande la rupture du bail  des familles. Ce dernier est débouté de sa demande en première instance. En juin 2012, la Cour d’appel de Versailles infirme partiellement le jugement rendu par le tribunal correctionnel et condamnent quatre familles, sur les neuf concernées, à devoir quitter leur logement avant la fin de la trêve hivernale, le 15 mars 2013. L’ordonnance en référé daterait d’octobre 2012.

Jérémie s’inquiète de cette situation. Sa belle-mère (la maman de sa femme) est concernée par cette expulsion. Après le travail, il s’occupe de cette affaire en apportant son soutien, en distribuant des tracts, essaye de trouver de l’aide. « Quand je vais voir mon beau-frère au parloir je lui dis qu’il a merdé, je ne suis pas d’accord avec ce qu’il a fait. Mais ce n’est pas aux enfants de payer ».

Le jeune homme m’emmène dans le quartier et me le fait visiter, « tu vois ici, au milieu là où il y les arbres, il y avait des rangées de bâtiments et ils ont décidé de les détruire il y a peut-être une vingtaine d’années, parce qu’il y avait un énorme trafic de crack. Il y avait beaucoup de seringues qui traînaient par terre. Ils ont fait ça pour la sécurité des enfants qui jouaient dehors et de plus, ça leur permet d’ajouter des caméras de surveillance pour pouvoir observer chaque hall de la résidence ».

Ce quartier de Boulogne Billancourt, bien placé, propre, proche du métro et des du 15e et 16e arrondissements est calme en cette fin d’après-midi.  Les habitants rentrent du travail, de l’école. Arrivé chez sa belle-famille, Jérémie me présente les autres familles concernées par cette expulsion : sa belle-mère (son fils est toujours en prison), Patricia et son fils (condamné et sorti de prison), Brahim* (dont le frère a été condamné) et Madame X*.(dont l’enfant aussi a été condamné)  « Pourquoi doit-on être expulsé alors que nos enfants ont payé pour leurs actes et pourquoi quatre familles alors que neuf étaient concernées au départ ? » Telle est la question qui revient sans cesse.

Contacté par téléphone, Christian Dupuy donne son explication « Il y a déjà eu des réclamations nombreuses et réitérées des habitants de cet office départemental, une procédure pour résiliation du bail pour trouble de jouissance. La  procédure a duré plus d’un an et en appel la Cour de Versailles a fait droit à la demande de l’OPDHLM de résilier le bail pour trouble de jouissance répétés avec des attentes d’ailleurs très claires, quand je parle « d’enfer » ce sont ces mots même utilisé par la Cour d’appel de Versailles. C’est donc le quotidien vécu par les habitants de cette résidence ». Les familles ne comprennent pas et disent n’avoir aucun problème avec leurs voisins : « comment t’expliques que ma voisine s’est mise à pleurer quand je lui ai dit qu’on allait se faire expulser ? » raconte Brahim. Patricia évoque tout de même un différent avec une de ses voisines.

Petit tour dans le voisinage.  Certains n’étaient pas au courant de cette expulsion. « Ah bon ? Pourquoi  vont-ils se faire expulser ? », « C’est honteux » ajoute un voisin », « je ne comprends pas, c’est les enfants qui font des bêtises et on fait payer les parents » expriment certains d’entre-eux. Une autre voisine refuse de commenter et de répondre. « Ils se sont basés sur des plaintes qu’il y a eu pour des nuisances dans le quartier, mais en quoi elles concernent nos familles ? Pour moi aussi c’est un enfer quand je travaille et que je n’arrive pas à dormir à deux heures du matin » explique Brahim, Bac+5 en poche, désormais dans la vie active.

Christian Dupuy n’a pas plus d’informations sur cette question, « je n’en sais rien, faudra demander à la Cour d’appel pourquoi ces quatre familles. Le dossier a dû montrer que c’étaient ces familles-là les plus meneuses ».

Une autre incompréhension subsiste sur les motifs de l’expulsion pour les familles. S’agit-il d’un motif pour troubles de voisinage ou pour trafic de drogue ? Les familles disent ne pas se sentir concernées par cet argument mais comprennent les condamnations pour trafic de stupéfiants de leurs enfants qu’elles estiment « justifiées ». Elles « condamnent ces actes » mais pas leur expulsion.

Le règlement intérieur donné aux familles avec les clés de l’appartement lors de leur emménagement stipule en effet l’interdiction de faire du bruit entre « 22 heures et 7 heures du matin » et prévoit la résiliation du bail dans certains cas tels que la sous-location, le « non paiement à leur échéance du loyer ou des charges dûment justifiées et après un commandement de payé resté infructueux » et des règles pré-citées dans ledit règlement. Ce document ne stipule donc pas, ni la loi, de pouvoir expulser des familles dont les enfants ont été condamnés pour trafic de stupéfiant. Nicolas Sarkozy avait déjà engagé des propositions d’expulsions de familles dans ce cas de figure lors de son quinquennat.

L’expulsion ordonnée par la Cour d’appel de Versailles ne prévoit pas de relogement. Christian Dupuy se veut formel sur ce point-là,« procéder à une expulsion pour trouble de voisinage répétés et aller délibérément reloger ces familles dans le parc de l’office départemental dans une autre résidence où ils feraient subir la même chose à d’autres familles, non il n’en est pas question évidemment. Mais en revanche, on leur laisse le temps de se retrouver par eux-mêmes ou auprès d’un autre bailleur un relogement ».

Une décision qui inquiète les familles dont deux sont monoparentales. Tel est le cas de Patricia et la belle-mère de Jérémie, laquelle est reconnue travailleur handicapé avec Cotorep, vit avec ses deux filles et ses deux petits-enfants en bas âge. « Moi je suis seule, où je vais aller ? » s’inquiète la mère de famille. Trois autres enfants seraient mineurs dans les familles concernées. « Quand tu connais la crise du logement en France, tu te demandes si elles pourront retrouver un logement, c’est impossible » exprime Jérémie.

Patricia reste sous le choc, « j’étais étonnée, mon fils ne me raconte pas toutes ses histoires. Un ado ne dit pas tout à sa mère… Je n’ai pas toujours eu de l’argent pour élever mes enfants, il a manqué un père. Une maman ne peut pas tous supporter ». Le fils de Patricia est présent. Avec du recul, il revient sur ce qu’il a pu faire. « C’était de la survie, tu ne vas pas devenir millionnaire avec ça ». Sa mère a aussi demandé un recours car son fils, qui a été condamné, ne vit plus avec elle, il a trouvé un appartement et un travail.

Tous s’accorde aussi sur la perturbation de l’éducation scolaire de leurs enfants : « C’est de la démagogie, toutes mes petites sœurs sont premières de la classe, mes parents ont toujours payé leurs loyers, partent au travail à 6 heures du matin. Ils nous font passer pour des familles de délinquants. Ce qu’ils ont fait c’est malheureux, c’est regrettable mais ce n’est pas aux parents de payer » explique Brahim. Il ne comprend pas pourquoi « le bailleur refuse le dialogue. On est ouvert au dialogue, on est prêt à trouver une solution de relogement et discuter avec eux, mais à aucun moment en trois ans on a réussi à avoir un dialogue avec eux, que ce soit la mairie de Boulogne, que ce soit le bailleur ».

Madame X reste assez silencieuse, « on attend le jugement, moi aussi j’ai des problèmes de santé je ne sais pas comment on va faire » explique-t-elle. Une des belle-sœurs de Jérémie prend la parole, « c’est très difficile pour nos enfants et ils le ressentent. Je ne sais pas quoi dire à mon neveu de 12 ans quand il me demande pourquoi on doit chercher un nouveau logement. Allez expliquer ça à un enfant… » La femme de Jérémie, également présente, s’inquiète pour sa mère et ses sœurs. Interrogé sur la situation des familles, Christian Dupuy monte d’un ton. « Non mais attendez, déjà je ne connais pas le dossier par cœur ! Je ne peux pas rentrer là dedans ! Moi j’ai pas d’avis, si les familles considèrent que leurs droits ont été violés, elles peuvent se pourvoir en cassation ».

« Expulser une famille, est-ce que ça va régler le problème ? Tu crois que ça va empêcher mon petit frère de revenir dans le quartier ? » interroge Brahim. Justement, quelles solutions pour lutter contre le trafic de drogue ? Christian Dupuy répond : « Il y  a d’abord tout le travail de prévention qui doit être accompli le plus en amont possible, prévention, animation, lutte contre l’échec scolaire et puis la dissuasion avec une surveillance efficace aux abords des établissements scolaires, une présence de la police nationale et municipale  dans les lieux où il a été constaté que des trafics pouvaient avoir lieu, la lutte contre les occupations de parties communes des immeubles, la vidéo-protection fait partie de ce dispositif et puis ensuite les sanctions lorsque les faits sont constatés ».

La situation est assez délicate,  les familles et Christian Dupuy ont chacun leur explications dans cette affaire, chacun est déterminé à aller jusqu’au bout.

Imane Youssfi

*Prénoms modifiés

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