C’est une rencontre

Elle arrive en retard. Depuis ce matin, elle confond aujourd’hui avec la veille. Ou le lendemain. Ca arrive, parfois, de perdre le fil du temps. De ne plus savoir où on est. De patauger dans la vie, coupé de la vie. Elle est un peu essoufflée. Elle dit : « Je déteste attendre, je m’excuse tellement ». Un chat passe dans ses pattes. Elle aime bien les chats. Elle fait « miaou », elle veut jouer. Elle laisse sa main s’éparpiller dans son pelage. Et il s’évade. Elle a des grands yeux. Elle a des cheveux, mouillés ou effet mouillé. Elle enlève son écharpe, puis désosse son manteau.  Elle prend un coca ou un café, peu importe. Elle s’appelle Alma Brami, et c’est sa première fois. « Vous allez pas écrire tout ce que je dis ». Si. « Vous allez pas me poser des questions, on discute ». Non.

C’est un objet

Le paquet de Malboro, les lèvres de Penelope Cruz, le cœur d’une amoureuse, le cœur d’un salaud, les chaussures d’une belle dame, les ongles d’une triste âme, le carrelage de la salle de bain, la confiture des enfants, et son livre. Rouge vif, rouge sang. Comme tout ça, comme tout le reste. Elle dit : « Rouge parce que ça évoque le baiser. Le vernis à ongles. C’est féminin et violent ». Sur le rouge passion, il y a un rond. Dans ce rond, un titre. Dans ce titre, son nom : « LOLO ». Et sa signature, un peu plus haut : « Alma Brami ». En bas, son éditeur : « Plon », mais juste pour l’occasion. « J’ai été invité à écrire dans la collection d’Amanda Sthers chez Plon qui publie des romans biographiques. Alors que ce n’est pas mon éditeur, à la base ». Elle a l’idée de faire renaître, par ses mots, une écrivaine. Et puis, un soir, avant d’aller rencontrer l’éditrice, elle pense à Lolo. Il faut croire au destin. Elle se dit que non. Elle se dit qu’ils diront non. Elle se dit que c’est n’importe quoi. Le lendemain, elle dit : « Lolo ». Il y a, d’abord, un long silence. Le temps d’entendre les rires, le temps de les laisser vivre. Mais il n’y en a pas. Et puis, tout le monde lui dit que « l’idée est géniale ».

C’est un personnage

Lolo, c’est comme un emblème. Une icône déchue, perdue dans les abysses de la vie. Une envie d’être. Juste l’envie d’être quelqu’un, d’être un nom, d’être celle qu’on connait, qu’on reconnait. Elle voulait juste manger de la célébrité. « Ma Lolo », elle dit. Sa Lolo. Et Alain*, gourou amoureux, qui lui fait gonfler les seins. Et sa mère qui l’aime et la déteste. Et le psy qui l’écoute. Il y a Lolo et eux. Lolo, dans Lolo, parle à la première personne. Chaque chapitre est une séance de psy. « Je ne connais pas son histoire, juste l’image sulfureuse qu’on lui associe. Mais elle n’est pas qu’un corps, j’ai voulu lui donner une âme ». Et on lit, à chaque séance, l’âme de Lolo. Ses hauts et ses bas. Ses croyances et ses cauchemars. Ses espoirs, mais encore ses cauchemars. Ses amours et ses désespoirs. « C’est l’humain qui m’intéresse. Loana, par exemple, pourquoi personne ne la protège ? Moi, ma Lolo, j’ai l’impression de devoir l’aider. C’est ma mission ».

C’est un style

Alma Brami a des étoiles dans les mains. Ses mots sont graves. Et beaux. Tout est précis, si précis. Elle décortique chaque sensation, chaque sentiment. Elle met la juste dose, jamais trop, jamais trop peu. Elle veut « écrire comme elle parle ». Elle veut qu’on lise ses livres « avec une petite voix dans la tête ». Elle taille son texte comme un sculpteur taille sa pierre. A la force de ses muscles. Elle dépasse les possibles. Elle se surpasse sans se plaindre. Avec la hargne des premières fois. « Faut tout le temps griffer la matière. Epurer ». Epurer, pour que toutes les séances, tout ça, ne deviennent qu’un livre. Lolo nous emporte dans le cœur de Lolo, on croit sentir son épiderme de bébé, on croit se frotter à ses cheveux en or. On la croit triste, on la croit joyeuse. Alma a vécut avec Lolo, « pendant six mois, vingt quatre sur vingt quatre ». Obsédée par elle. « J’écris dans le bruit des bars, avec de la musique, très forte ». Il y a Sébastien Tellier, Eminem, de la musique classique. Là, il y a avait le duo 113 et Benjamin Biolay, Texas Hold’Em. « Une fois, je l’ai écouté en boucle, pendant sept heures ». Parce que la vie c’est comme un coup de poker. Y a des jours ensoleillés et des coups de tonnerre. Elle écrit dans l’énergie, comme si son souffle était son bic.

C’est un écrivain

Elle naît dans les mots. Déjà, enfant, il y avait des livres. Par terre, en l’air, partout. Alors, elle lisait comme une cinglée. Vite, elle se met à écrire. Pourquoi attendre ? Et pourquoi ne pas se lancer comme une furie ? Elle a 7 ans, elle écrit des histoires noires. Déjà, elle broie de l’atroce. « Je ne sais pas pourquoi ». Ses nouvelles sont sombres. La lumière vient du dehors, il n’y a pas de dehors. Et elle écrit. Un peu comme un champion va s’entraîner. Un peu comme un joueur va s’obstiner, à chaque fois, à gagner chaque partie. Elle vit dans ses histoires, elle vit ses personnages, parce qu’à côté sa vie est « fade ». Alors, elle enfile des costumes. Alma Brami est une actrice. « D’ailleurs, j’ai fait le cour Florent ». Mais elle ne ment pas, elle ne trompe pas. Il faut croire tout ce qu’elle dit. Surtout quand elle dit qu’elle est Lolo. « Lolo, c’est toutes les femmes. Complexe. Blessée. En manque d’amour ».

C’est la fin.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

*On croit reconnaître, sans le connaitre, le vrai compagnon de Lolo, Eric Vigne.

Lolo, de Alma Brami, aux éditions Plon

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