Je n’ai pas les cheveux homologués pour aller chez Franck Provost ! Je m’en vais dans mon temple de la coiffure : un foyer malien à Montreuil. J’arrive à destination. Face à cette bâtisse toute rouge, qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, des marchands sont toujours devant l’entrée avec leurs étales.

Ils ont la mine blême et vendent un peu tout et n’importe quoi : poulets, barres chocolatées, yaourts, maïs chauds ! Le froid glacial ne semble pas les décourager : assis emmitouflés sous des grandes parkas cachant leurs boubous couleur pastel, prostrés tels des gardiens de musée, la tête plongée dans les infos du pays !

J’entre dans le Little Bamako. A peine entré, Oumou Sangaré, comme à son habitude, m’accueille bras ouverts avec sa voix chaleureuse greffée sur un poste radio. Les enfants courent, les femmes défilent en pagne et les hommes parlent bambara, soninké, le malinké, sarakolé à vous éclater les tympans. Il est 17 heures, il n’y a pas âme qui vive ! Est-ce le conflit qui a entériné toutes ces scènes de liesse ?

Je suis les boîtes aux lettres jaunes, cherchant mon magicien d’Oz : T. (le coiffeur laser), une fine lame du coin. Ici tout le monde se connaît ou presque. A chaque angle, carrefour, des poignées de main s’échangent ! Je tombe sur le coin buvette, les tontons sirotent et crapotent entre eux ! Sur la droite de la buvette, un long hall, entravé par quelques piliers en piteux état.

De loin j’aperçois trois hommes, debouts derrière trois chaises, où sont assis trois autres hommes, face à grand miroir. Je me rapproche, guidé par ce bruit assourdissant imitant un essaim d’abeilles.  Aux pieds des chaises, des tonnes de cheveux crépus recouvrent le carrelage usé. Je suis enfin arrivé dans ce salon de coiffure de fortune, tout juste à côté d’une mosquée. Pour 5 euros la coupe et 2 euros les contours, vous vous attendiez à quoi ! Je suis face à l’homme, le coiffeur laser.

« Ça va T. ? ». Une poignée de main ferme et un signe de la tête, ça veut dire oui. Les trois coiffeurs, dont lui, s’affairent, chacun, sur des têtes. Un homme attend sur le côté, assis, sans les traditionnels magazines. La radio retentit avec Africa n°1 sur les ondes et résout une de mes précédentes interrogations.

C’est la CAN (Coupe d’Afrique des Nations), les Black stars (le Ghana) jouent contre les Aigles du Mali et gagne 1 à 0, c’est la mi-temps ! Le foyer a du mal à s’en remettre. D’habitude, on y trouve de tout : un vendeur de caleçons Uomo, un vendeur de baskets Jordan … Je vais faire un tour vers la buvette. Je m’ennuie et scrute les murs nus du hall. J’aperçois cette affiche :

MALI 17 janvier 2012 – 17 janvier 2013

UN AN D’AGRESSION ET D’OCCUPATION DE NOTRE TERRITOIRE

– un hommage à nos soldats lâchement et sauvagement assassinés par des bandes criminelles armées à Aguelhoc

– un hommage à toutes les victimes de cette agression et cette occupation par des étrangers narcotrafiquants fanatiques

– saluer le courage des populations oppressées vivant sous la terreur de l’oppression quotidienne des bourreaux sans loi ni foi

– que  justice soit rendue, les criminels doivent être traduits devant la CPI

– dire non à la tenue des élections avant la libération des régions occupées que nous espérons imminente sans condition

C’était un appel à une marche silencieuse pour le 19 janvier devant l’ambassade du Mali. Arrive enfin mon tour. Je m’installe sur la chaise en face du miroir, puis j’enfile la blouse ! Il a ma tête entre ses mains : « C’est un peu chaud, au Mali en ce moment ?»

« Ouais oui », me sort nonchalamment T. aux mains d’argent. J’essaye d’y aller crescendo, déjà qu’il n’est pas bavard, il  ne manquerait plus qu’il m’envoie paître avec quelques balafres sur le crâne comme autographe !

« Tu as de la famille là dans les zones en conflit ?». « Non. Moi je viens de Bamako ! Le conflit, c’est plus vers le Nord », me précise-t-il, en me cisaillant délicatement avec son scalpel. Il se découvre au fil de notre conversation des talents de professeur, me donnant des cours de géographie au passage.

« Mais tu n’as pas peur que le conflit se propage vers chez toi ? ». « Non, c’est bon, on est sauvé grâce à Dieu, grâce aux français ! Le problème va être vite réglé ! », me dit-il avec une certaine sérénité ! Mon coiffeur me parle mais toujours avec cette réserve comme si une arrestation lui pendait au nez, que faire !

Alors j’enchaîne : « Moi je suis congolais, il se passe des choses aussi chez moi !». « Vous, ce n’est pas pareil, vous avez l’habitude ! Sassou contre Lissuba, j’étais là-bas en 97. Ils ont fait la rébellion, après je suis rentré au pays », me lance T., l’air amusé.

« Mais le conflit ne date pas d’hier !», fis-je. « Suite à ce qui s’est passé en Libye, ils ont perdu  et se sont repliés au Mali, armés jusqu’aux dents ! C’est de la faute de ce c… de président Touré. Il les a laissés passer contre beaucoup d’argent ! », témoigne ardemment T.

On est interrompu par son téléphone qui sonne ! Il reprend son outil de prédilection et reprend de plus belle ! Il finit son ouvrage et je le laisse enchaîner sur son prochain client. Dans ses confidences, on sent l’espoir apporté par le soutien de la France et surtout du ressentiment pour un président qui se serait laissé distraire par la cupidité !

Lansala Delcielo

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