Si la réforme des rythmes scolaires semble faire l’unanimité auprès des élèves, elle soulève de nombreuses questions chez les enseignants et les parents. Enterrée la semaine de quatre jours et bienvenue à l’école qui finit plus tôt.

Ce début d’année 2013 est très mouvementé pour le gouvernement Ayrault, chahuté de toutes parts : Guerre au Mali, prise d’otages en Algérie, mouvements sociaux contre la fermeture d’usines, Mariage pour tous… S’ajoute à cette liste la réforme des rythmes scolaires. Le 31 janvier, une grève générale était organisée par trois syndicats de la fonction publique et de l’éducation nationale, notamment pour manifester contre cette loi.

En tant qu’animateur dans les écoles primaires, j’ai laissé traîner mes oreilles à la sortie des écoles pour recueillir les propos des parents d’élèves mais aussi ceux des enseignants au sujet de ce « chantier » en cours. Dans les rues venteuses de Seine-Saint-Denis, Marie, enseignante gréviste de Rosny-sous-Bois témoigne.

« La réforme prévoit que nous travaillons le mercredi matin. A la place, on nous enlève 45 minutes de travail tous les autres jours de la semaine. Durant ces trois quart d’heure, les collectivités locales doivent proposer à leurs élèves des activités sportives, culturelles ou artistiques. On a raccourci les journées car on a considéré que les élèves seraient plus attentifs en classe en étalant les jours de cours dans la semaine. De plus, cette réforme, d’après ceux qui l’ont élaborée, devrait permettre à certains enfants de pratiquer des activités que leurs familles ne pourraient pas leur proposer… »

Je me renseigne sur les raisons qui ont entraîné cette grève. Je devine, à l’inspiration qui précède la prise de parole, que la réponse va être longue. « Tout d’abord, nous en avons marre que les gouvernements, de droite ou de gauche, touchent tous les 3 ans à nos statuts et à nos programmes d’apprentissage. Que nos dirigeants fassent et défassent certains dispositifs mis en place. Que le ministère de l’éducation refuse de nous rajouter des Rased [Réseau d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté]. Pour ces enfants, les Aides personnalisées ne suffisent pas car elles sont placées après une journée entière de cours et prises en charge par des instituteurs insuffisamment formés pour affronter ces difficultés d’apprentissage. Enfin, au vue des difficultés actuelles, on ne demande pas forcément à ce que l’on soit plus rémunéré, mais au moins que l’on nous enlève cette journée de carence ! »

Mais Marie, est-elle, pour sa part, pour ou contre la réforme ? « Pour l’instant je suis contre car je n’y crois pas. De plus, à Rosny, les élèves resteront autant à l’école qu’avant car on rallongerait la pause méridienne (cantine) et les Aides personnalisées seraient maintenues. De plus, nous ne prévoyons que 45 minutes pour les activités extra-scolaires. Or, le temps que les intervenants viennent chercher nos élèves, les amènent jusqu’aux infrastructures, les fassent se préparer,… combien de temps restera-t-il aux enfants pour faire leur activité? 15 minutes ? En plus, cette politique risquerait d’accroître les inégalités intercommunales ».

A quelques kilomètres de là, à Bondy, je rencontre Salah, 37 ans, professeur des écoles et lui demande ce qu’il pense de la réforme sur les rythmes scolaires.

« La réforme proposée par le gouvernement Ayrault est basée sur les résultats des recherches de chronobiologistes. Leur proposition impliquerait qu’aux heures où le pic d’attention des élèves retombe, les écoles puissent faire appel à une flopée d’intervenants sportifs, artistiques… Personnellement, je ne suis ni pour ni contre. Je pense qu’il était nécessaire d’effectuer certaines modifications car à certaines heures, les élèves sont moins attentifs. On ne peut pas leur en vouloir sachant que je subis parfois la même baisse de régime alors que j’ai 32 ans de plus qu’eux ! » me dit-il en rigolant

La blague n’était pas forcément drôle mais je suis bon public, et je le suis dans son élan de bonne humeur. Je ne perds cependant pas le cap en lui rappelant qu’il n’était ni pour, ni contre : « Oui en effet, je suis sceptique vis-à-vis des moyens mis en place pour accompagner cette réforme. Il va falloir débloquer des fonds considérables pour que l’on puisse proposer à chaque enfant des activités extra-scolaires à la place d’heures de cours ! De plus, le fait que le mercredi matin nous soit enlevé pose un autre problème : que ce soit pour nos élèves ou pour nous, il n’y aura plus de jours dans la semaine où nous pourrons souffler, si l’on est un peu malade ou fatigué. Je pense donc que ce changement de rythme entraînera une hausse de l’absentéisme ».

Je lui demande alors ce que cette réforme va changer dans son emploi du temps : « Pas grand-chose… A part que je n’aurai plus mon mercredi matin ! ». Nouvel éclat de rire de sa part. « Non, sérieusement, cela va raccourcir mes journées puisque si j’ai bien compris, à Bondy, nous finirons un peu plus tôt les autres jours de la semaine car on travaillera le mercredi matin. En tant que parent divorcé, je préfère cette solution à celle du samedi. Je peux, en effet, récupérer mes enfants le vendredi soir au lieu du samedi midi ». Pas besoin de faire mon travail de journaliste, Salah a effectué la transition à ma place. Je lui demande alors quelle formule il préfère en tant que professeur : l’ancienne avec le samedi matin ? Ou la nouvelle avec le mercredi ?

« Je préférais 1 000 fois le samedi matin en tant qu’enseignant. Il nous permettait à moi ainsi qu’à mes collègues d’entretenir une certaine relation avec les familles d’élèves car c’était le week-end. Alors que le mercredi midi, souvent les parents travaillent. Je pense que les élèves aussi auraient préféré le samedi matin car ils avaient un jour pour se reposer dans la semaine alors que là, ils vont enchainer cinq jours de classe de suite… »

Il fait cinq degrés sur la place devant l’école, il y a un vent qui nous gèle les oreilles mais je remarque un groupe de trois dames qui parlent devant l’établissement. Je vais les interviewer afin de connaitre leurs avis. Aucune d’elles ne connaît les raisons de cette grève. Je leur explique alors les principales caractéristiques de la réforme. Ana, mère d’un CM1, travaillant dans le secrétariat, me répond : « Il me semble que cette proposition n’est pas forcément mauvaise. Il est vrai qu’à la fin d’une journée d’école, mon enfant me fait part de ses difficultés à rester concentré. Après, cela dépend de l’application de la réforme : est-ce qu’on se donnera les moyens pour proposer à chacun des élèves de notre commune une activité extra-scolaire quotidienne ? Si oui, je signe tout de suite ! ».

Un enfant arrive peu de temps après que la sonnerie d’école a retenti. Il se jette dans les bras d’Ana. Elle lui pose la question. « Et toi Benjamin ?! Tu penses quoi si on raccourcit tes journées d’école pour que chaque jour tu fasses plus de sport, même si tu travailles le mercredi matin ? ». L’enfant me regarde et me dit « Moi je veux y aller tout de suite ! ».

Un peu plus loin, je remarque un père avec son fils. Lui non plus ne connaît pas les raisons de cette grève. Je lui explique et il me répond, presque en colère « Quoi ?? Mais moi je fais comment ? Je suis garagiste et je travaille tout le mercredi ! Je vis seul, qui va amener mon enfant à l’école et qui va le raccompagner à la maison? ».

De cet ensemble de témoignages, je peux, me semble-t-il fournir une réponse synthétique : le changement des rythmes scolaires… Pourquoi pas ? Mais il faut se donner les moyens de mener à bien ce projet ! Quant aux principaux intéressés, les élèves, je leur ai expliqué grossièrement les changements qu’allait entraîner la réforme. Lorsque je leur ai demandé si eux étaient pour ou contre, ils ont voté pour à l’unanimité. Je pense que les 45 minutes de sport quotidien leur ont fait tourner la tête !… Même si certains me font remarquer que, au final : « C’est nul de travailler le mercredi matin ! ».

Tom Lanneau

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