Dès 1940, des combats décisifs ont lieu dans la banlieue nord-est de Paris afin de protéger la retraite des armées françaises vers la Loire et pour organiser la résistance pendant l’Occupation. Compte-rendu d’un ouvrage, fruit d’un long travail de recherche sur l’histoire locale.

« Contrairement aux idées reçues, l’armée française s’est (…) battue contre l’ennemi en 1940 ». « La moyenne des pertes journalières est supérieure à celle de la bataille de Verdun » en 1916. De nombreux combattants vivant dans la banlieue nord-est de Paris sont morts lors de ces batailles, suite à « des ordres totalement dépourvus de réalisme », en mai 1940.

La défense de l’Ourcq contre les nazis pour protéger les armées françaises en retraite vers la Loire

« Malgré l’héroïsme des combattants français, l’ennemi, grâce à la supériorité de ses moyens matériels, se porte en quelques jours sur la capitale, franchissant les lignes de front successives », situées au niveau des rivières de l’Avre, de l’Oise, puis de la Nonette. Le 12 juin 1940, les Allemands entrent dans Paris qui devient une ville ouverte. Dans la nuit du 12 au 13 juin, la 29e Division d’Infanterie reçoit l’ordre de repli sur l’Ourcq.

BBMairieAimeLivreBBMairieAimeLivreLe but de cet ordre est de bloquer les Allemands au niveau du canal de l’Ourcq afin d’assurer la protection de la retraite des troupes françaises vers la Loire. Chaque jour, la 29e Division se bat déjà depuis le 5 juin. Elle « procède à des replis successifs, au contact permanent de l’ennemi (…). À chaque mouvement vers l’arrière, malgré ses efforts, la division perd des hommes et du matériel ». Les soldats sont épuisés. La bataille se joue à Sevran, à Livry-Gargan, à Vaujours puis au Vert-Galant.

Le 24e Bataillon se trouvant dans une situation périlleuse, un ordre de repli lui est transmis. La compagnie Gillot se regroupe à l’entrée des Pavillons-sous-Bois. Une femme, Mme Aubard, fait signe aux combattants de s’arrêter en raison de la présence des Allemands à proximité. Mme Aubard, qui connaît très bien la région, va guider les combattants jusqu’à la Marne. Ils traverseront Bondy, Villemomble. Mme Aubard « sera décorée de la croix de guerre avec palme, pour avoir sauvé la compagnie Gillot ». Les combattants du 13 juin ont bloqué les troupes nazies pendant presque 24 heures et ils ont tué 9 soldats allemands.

 

La vengeance des troupes nazies : les crimes de guerre du Vert-Galant

Le 13 juin, les troupes françaises « agissent sur ordre et se comportent avec honneur. Rien ne peut être avancé, côté allemand, pour justifier la barbarie des odieux assassinats perpétrés le lendemain de l’affrontement ». Dès la nuit du 13 au 14 juin, les troupes nazies procèdent à l’arrestation de nombreux civils dans le secteur du Vert-Galant. Quinze d’entre eux seront fusillés ; un civil survivra. « Arrachés de leur lit en pleine nuit, la plupart étaient encore en pyjama lorsqu’ils ont été fusillés ».

« Ceux qui ont ordonné les exécutions ont voulu laisser un souvenir cuisant de la journée du 13 juin à l’ensemble des communes concernées par les combats de la ligne du front de l’Ourcq ». On trouve parmi les fusillés 1 habitant de Villeparisis, 1 de Mitry-Mory, 2 de Tremblay et 10 de Villepinte. Ils sont rapidement enterrés et on laisse croire qu’ils font partie des civils disparus.

Compte tenu des circonstances anormales de cette fusillade, une enquête a été confiée au commissaire de police Périgueux, de Tremblay-lès-Gonesse, qui « avait pris conscience de l’horreur de ce qui s’était produit, lors de l’exhumation (tardive : le 25 juillet) des cadavres des victimes, (…) effectuée sous son contrôle ». Le commissaire enquête également sur la question des civils amenés en captivité en Allemagne en juin 1940 pour une courte durée.

Ces civils sont notamment passés à Vémars puis à Drancy où on était en train de construire de grands immeubles « déjà entourés de barbelés et aménagés en camp ». Probablement, « la propagande allemande a jugé contreproductive l’affaire des otages fusillés, à l’heure du défilé triomphal de ses troupes sur les Champs-Elysées ». Lorsque les familles demandent aux nazis des nouvelles des disparus, elles reçoivent la réponse suivante : « ils ont été amenés en captivité, ils vont bientôt rentrer ». L’envoi en Allemagne des captifs a dissimulé pendant quelque temps le massacre des 15 otages.

Répressions et dénonciations au temps de l’ « État français »

« La police fait la chasse aux communistes dans toutes les communes de la ceinture rouge ». Des militants de Tremblay-lès-Gonesse seront emprisonnés. À Romainville, l’ancien maire Pierre Kérautret choisit la clandestinité. Les familles juives se mettent à vivre dans la clandestinité. On se souvient de la famille Gelbard. Comme d’autres familles juives, les Lederman, qui habitent à Paris et passent le week-end dans un lotissement du Vert-Galant, resteront à Villepinte après la grande rafle du Vel d’Hiv en juillet 1942.

« Ensuite il y a eu à Villepinte une grande rafle de la milice française qui a ramassé beaucoup de Juifs, parce qu’il y avait énormément de juifs dans la commune à cette époque ». Les enfants sont soigneusement cachés et ils ne sont même plus envoyés à l’école. Les familles ont beaucoup de mal à se nourrir et à recevoir des soins médicaux, malgré l’aide régulière de leur entourage non juif. « Le commissariat aux affaires juives croule sous le poids des dénonciations (….). Les familles Lederman et Gelbard n’ont échappé à la Shoah que parce qu’elles ont trouvé un refuge en banlieue ».

Les stratégies face à l’occupation allemande : soumission, résistance discrète et débrouille

Désormais l’armée allemande régente la France. Un inspecteur a remarqué que l’entretien des tombes des 9 soldats allemands tués   au Vert-Galant laisse à désirer. Il rappelle fermement son devoir au président de la fédération spéciale chargé de cet entretien. « Impressionné, le faisant fonction de maire s’excuse platement auprès des autorités allemandes (…). Dès le lendemain de la première observation, le nécessaire a été fait pour une remise en état de parfait entretien des sépultures allemandes. Cette anecdote est caractéristique des relations entretenues par les autorités locales avec l’Occupant ».

Dès août 1940, les restrictions alimentaires sont prescrites. Les juifs ont plus de mal à survivre. Des surveillants protègent les cultures des grandes exploitations agricoles, mais assez régulièrement ils ferment les yeux devant le glanage de quelques habitants. Les banlieusards s’en sortent mieux que les Parisiens. Les habitants des cités jardins cultivent des légumes. L’espace des balcons est aussi utilisé. Et la population n’a pas attendu la propagande officielle pour élever des lapins afin d’améliorer l’ordinaire.

« Si une partie de la police de Vichy se montre docile aux ordres de ses supérieurs, les policiers résistants ont une toute autre attitude. Le gendarme Delpouve et ses collègues exécutent les ordres avec un zèle ostentatoire, qui laisse aux personnes recherchées tout le temps de s’enfuir ». Ce comportement n’est pas si rare. Ainsi le docteur Grumberg a-t-il pu assurer l’exercice de la médecine pendant toute la guerre. De plus, il a été informé des rafles programmées pour les juifs.

Comme dans toute la France occupée, les conséquences des attaques aériennes détériorent les conditions de vie des banlieusards : souvent il n’y a plus d’eau, ni de gaz, ni de téléphone. Les principales gares sont des lieux plus exposés aux bombardements. Aubervilliers est sérieusement touché par les bombes.

Egalitaristes, patriotes et croyants unis dans la Résistance

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Robert Doisneau, Banlieue après-guerre, 1943-1949

Les résistants sont : des politiques prônant l’égalité, des patriotes soutenant les valeurs républicaines, et des croyants contre le nazisme incompatible avec les valeurs chrétiennes. Les communistes sont les plus nombreux à résister en banlieue. Le Parti communiste s’organise, il poursuit un combat clandestin. Sa lutte armée passe par le réseau de résistance de FTP, Francs-tireurs et partisans.

Le résistant communiste Fernand Dive, logé à Tremblay-lès-Gonesse, constitue son réseau de FTP du Vert-Galant. Les communistes sont les seuls à mener une lutte armée active avant 1943. D’anciens socialistes s’opposent également à Pétain. En 1942 sont minutieusement organisées des écoutes du câble Paris-Berlin qui traverse la banlieue nord-est : 24 heures sur 24, « toutes les conversations ennemies sont recueillies par des opérateurs qui enregistrent les directives adressées à leurs représentants en France par Goëring (…) et Hitler lui-même (…), au service de la Résistance et des Alliés ».

Le réseau de résistance M-4, fondé par un patriote à Livry-Gargan, se montre très actif. 4 groupes de FFI, Forces françaises de l’intérieur, voient le jour en banlieue : à Gagny, Sevran, Aulnay-sous-Bois et le plus important à Livry-Gargan. La JOC, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne, participera à la résistance. Quelques jeunes banlieusards choisiront cette résistance spirituelle : 1 à Livry-Gargan, 1 à Saint-Ouen et 1 à Romainville. Quelques attentats ont aussi été commis par des résistants anonymes.

L’aide des divers résistants locaux à la libération de Paris et de sa banlieue

Le groupe M-4 de Livry-Gargan crée de nouveaux groupes à Livry, Sevran, Aulnay-sous-Bois, dans la perspective de l’insurrection. Le groupe FTPF du Vert-Galant participe activement au mouvement. « La progression du nombre des aviateurs alliés récupérés accroît sensiblement la charge des groupes de Résistance spécialisés dans l’assistance aux équipages abattus ». En août 1944 les Allemands, qui manquent d’essence pour leurs voitures, surveillent les gares.

Des affrontements entre les résistants et les Allemands ont lieu à la gare d’Aulnay-sous-Bois, au fort de Rosny, à Livry, à Vaujours, près de Villeparisis, à Neuilly-sur-Marne. Les Allemands bombardent Montreuil, Pantin, les Lilas, Saint-Ouen. La répression est assez forte à Sevran. Des combats ont lieu au fort de Romainville, puis à Aubervilliers. Avant l’arrivée des Alliés, des révoltes populaires ont lieu à Saint-Ouen, à Saint-Denis et au Bourget.

Une étroite coopération s’établit entre la Division Leclerc et les FFI, à Aulnay-sous-Bois, au Blanc-Mesnil. Par contre, la collaboration avec l’armée américaine est délicate, peut-être pour des raisons idéologiques, car les FTPF sont dans l’ensemble communistes. Les résistants locaux de toutes tendances ont aussi aidé la Division Leclerc et la 4e division américaine du général Barton dans leurs derniers combats pour libérer Paris et sa banlieue. Des civils, à Villepinte et à Tremblay-lès-Gonesse, se retrouvent malgré eux sous le feu des combattants. En avril 1944, la démocratie locale est rétablie.

Fin de la période la plus sombre de l’histoire de la banlieue nord-est

Des collaborateurs étaient originaires de la banlieue nord-est. Pierre Laval était le maire d’Aubervilliers, Jacques Doriot, celui de Saint-Denis et Jean-Marie Clamamus, celui de Bobigny. À l’inverse, des résistants ont vaillamment combattu les Allemands. La guerre n’est pas tout à fait finie : en octobre 1944, une fusée tombe dans le secteur du Vert-Galant, faisant de gros dégâts matériels, 2 blessés et 1 mort. Et il faudra encore attendre quelques mois pour fêter la fin des épreuves.

Fruit d’une trentaine d’années de recherches, ce livre est très précis, bien documenté, bien illustré. Il aborde différents aspects de la guerre : ses enjeux politiques, l’histoire des combattants, la vie quotidienne. Une bibliographie et des extraits de documents complètent chaque chapitre. Pour « tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la banlieue nord-est parisienne pendant la Seconde guerre mondiale sans jamais oser le demander »…

Marie-Aimée Personne

La banlieue nord-est de Paris dans la Seconde Guerre mondiale, juin 1940-août 1944, par Hervé Revel, éd. Fiacre, 2012

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