L’édile d’Europe Ecologie rêve d’un New deal à la française pour sortir de la crise démocratique et désenclaver les banlieues. Rencontre avec ce maire à scandale et auteur à succès d’une des communes les plus pauvres de France : Sevran.

 

Que ce soit dans votre livre « La ville ou la bourse » ou dans les différentes interviews données ces derniers temps, on a l’impression de voir un maire à bout, excédé, perdant le contrôle de la situation ? 

Non, je crois que la situation est compliquée et la vraie question est qu’il est impossible de gérer seul des situations aussi complexes. Je l’explique dans mon livre : il y a une forte incompréhension, un manque de volonté politique pour régler un certain nombre de choses. On le voit avec la crise des seringues par exemple, qui a commencé le 16 avril, la première réunion d’urgence a eu lieu le 2 mai. Il y a un décalage entre une situation d’urgence, une situation de terrain et la réactivité en dehors de la commune, celle l’État et des différents ministères et l’Agence Régionale de Santé sur la question du distribox [distributeur et récupérateur de seringues] par exemple.

Tout cela participe au délitement, y compris au délitement actuel de l’État. Pour moi la crise des seringues marque cet aspect de l’État où tout le monde se positionne à rebours, sort le parapluie pour essayer d’en prendre le moins possible sur la tronche et en même temps aucune proposition pour régler la situation ne se produit.

Pendant une semaine sur la crise des seringues, nous n’avons vu personne. Les enseignants de l’école sont fragilisés, perturbés avec cette histoire. Il y a eu également des volontés de retrait de la part des enseignants et face à cela, même pas un petit mot du ministère qui dit aux enseignants  » Nous sommes là, on vous comprend… machin, bidule « .

Vous avez reçu Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, le 12 avril dernier. Qu’est-ce qui a changé depuis son déplacement ?

Sur le terrain aujourd’hui il y quelques compagnies de CRS qui viennent, mais bon très concrètement, pas trop encore. Nous allons faire un point avec le préfet pour voir précisément combien de forces de l’ordre il compte mettre en place.

bourseoulaville_unedecouvDEF (2)bourseoulaville_unedecouvDEF (2)Etes-vous pris au sérieux ?

Profondément. Mais il y a une forme d’apolitisme de la part des politiques. Que ce soit le gouvernement ou les politiques, ils ne comprennent pas le moment dans lequel nous sommes, un moment de rupture complète de la société. Nous sommes dans une crise démocratique profonde, dans une crise économique, de société et sociale. Même mon action [une grève de la faim devant l’Assemblée en novembre dernier], quelque part, n’est pas normale.

Pourquoi n’est-elle pas normale ?

Parce qu’un élu dans la vie politique française, n’a pas à faire cela pour obtenir gain de cause. On se rend compte que dans notre pays, notamment sur la question de la répartition des richesses dans les collectivités locales, on ne cherche pas de solutions.

Pensez-vous que les quartiers populaires sont laissés à l’abandon ?

Je pense qu’il y a une incompréhension sur ce qui se passe en banlieue. La banlieue c’est le Nouveau Monde. C’est ce monde qui est en rupture avec l’ancien. On se rend compte que la classe politique, mais pas seulement, la technostructure etc…  a peur de la banlieue, tout simplement parce que finalement on a peur de l’autre. C’est quoi la banlieue ? C’est jeune, c’est coloré, c’est en rupture avec la culture qu’on a pu avoir avant, c’est d’autres références culturelles, etc.… Et c’est un lieu qui fait peur par rapport à cela.

Aujourd’hui la ville de Sevran est connues pour ses histoires de trafics de stupéfiants et vous luttez contre cela depuis des années. Le gouvernement est contre la légalisation du cannabis. Quelles solutions proposez-vous ?

Pas seulement la légalisation du cannabis, je propose la sortie de la prohibition. C’est-à-dire un, la légalisation pour contrôler le produit, ce qui permet de travailler sur un produit nettement moins fort. Cela permettrait aussi d’avoir un travail sur la santé publique, d’expliquer ce que c’est, dire au jeunes et moins jeunes qu’il faut faire attention à ce qu’ils consomment. Que fumer n’est pas anodin, c’est un acte risqué. Et ensuite, casser le trafic et le blanchiment en rendant cela légal.

Aujourd’hui y’a deux solutions, la solution pharmaceutique et la solution légalisation, comme aux États-Unis. Je pense qu’on se dirige plus vers la solution pharmaceutique. C’est aussi l’idée de considérer le cannabis sur le même plan que l’alcool, c’est à dire une drogue légale. L’alcool étant la drogue la plus dure, celle qui tue le plus dans le monde, celle qui déstructure le plus le lien social …

Mais quelle solution faut-il adopter dans l’urgence ? Vous avez des habitants excédés qui attendent des solutions immédiates ?

Nous sommes dans le cadre d’une loi actuellement qui est celui de la prohibition et certains territoires doivent être quadrillés par la police parce qu’il n’existe pas d’autres solutions.

Il y avait une époque où vous parliez d’implanter des casques bleus dans les quartiers ?

J’avais parlé des casques bleus parce que nous étions dans une situation particulière où des gens se tirait dessus. On a eu des blessés et on a enterré des gens ici. Cela faisait six mois que j’écrivais au préfet en disant qu’il nous fallait des forces d’interposition, comme la police. Nous n’avons pas été entendu. Alors que les casques bleus sont envoyés aux quatre coins du monde, pourquoi pas ici pour empêcher les gens de se tirer dessus, parce que nous sommes dans cette politique de prohibition et que cela pouvait être une issue.

Je considère qu’il y a des bouts de territoires en France qui doivent être quadrillés par la police pour éviter les règlements de compte et les désagréments insupportables dans la vie quotidienne. C’est ce qui se passe depuis un mois à Marseille, les quartiers Nord sont quadrillés et il n’y a pas eu de morts.

C’est ce que vous souhaitez à Sevran ?

Ce n’est pas ce que je souhaite, mais aujourd’hui nous sommes coincés. Nous l’avons vu d’ailleurs, pendant un an et demi les CRS ont été présents. Résultat : beaucoup moins de coups de feu et une situation qui s’est apaisée ..C’est malheureux d’en arriver là, mais tant que la loi ne change pas nous sommes obligés de faire ça. C’est très intéressant, parce que la question de la prohibition et l’histoire des anti-prohibitionniste montre que ce n’est pas que la légalisation d’un produit qui règle la question.

Par exemple, Roosevelt dans les années 1930 quand il sort de la prohibition, il n’a fait pas que cela. La société américaine était en crise, et il travaillait à une nouvelle vision de la société américaine, le new deal. On développe la sortie de la prohibition et en même temps on a une vision de la politique économique et sociale. Aujourd’hui, nous sommes dans un de ces moments là. Je caricature, mais on attendait Roosevelt on a eu Hollande !

Que pensez-vous de la politique de l’emploi mené par le gouvernement ?

J’ai été marqué par une chose. Je connais beaucoup de gens dans les ministères, des gens qui ont mon âge et que j’ai connu avant et qui me disent :  » T’inquiète on va régler le problème du chômage, Jospin a bien réussi avec les emplois jeunes en 1997. On va faire la même chose « . Je leur réponds que s’ils pensent sortir le pays de la merde dans laquelle nous sommes, en pensant refaire ce qui a été fait il y a 15 ans, ils se trompent. Nous ne sommes plus dans le même moment.

Que pensez-vous des contrats de générations et emplois d’avenir ?

Ça peut être bien, mais ce n’est pas le problème. Ce n’est pas ce qui va nous faire sortir de la situation. On a une vision des choses qui se fait au niveau de l’Europe. Actuellement, par exemple, tout le monde se met au tramway et qui décroche les contrats : Bombardier, une grande entreprise canadienne. On n’est pas capable de se dire qu’il faut que l’Europe se dote d’une structure travaillant sur des projets fondamentaux, comme la question des transports publics. Si on ne va pas dans ce sens-là, on ne s’en sortira pas, et c’est pas avec la marinière qu’on va s’en sortir !

Quelle solution auriez-vous souhaité mettre en place ?

Ce n’est pas la solution et il n’y a pas une solution. La solution elle à la fois sur la vision de grandes entreprises et de passer au  » green deal « . Nous avons un autre concernant l’emploi des jeunes et des entreprises qui se créent, c’est la question des charges des TPE et PME [Très petite et petite et moyenne entreprise]. J’attends d’un gouvernement l’annonce de la suppression des charges pour les entreprises ayant jusqu’à 3 salariés. D’une cela permettrait de passer la crise et deux, de relancer derrière. Cela coûterait nettement moins cher que les cadeaux de l’URSAAF faits à de grandes sociétés. PSA Peugeot Citroën, en 10 ans ce sont des centaines de milliers d’euros impayés à l’URSAAF, pour à la fin licencier tout le monde.

Qu’avez-vous pensé de la réaction de François Hollande dans ce dossier ?

Nulle !

Pourquoi ?

En juin dernier, les ministres sont arrivés les uns après les autres, Montebourg etc., pour leur dire  » nous allons vous sauver  » et ils ne sont plus jamais revenus parce qu’ils se sont rendu compte que c’était le bordel.

Pour en revenir à Sevran, qu’est-ce qui vous manque pour que votre ville redresse la barre ?

Pour vivre normalement, il faut que le gouvernement fasse les vraies réformes économiques et sociales. Le tissu économique de la Seine-Saint-Denis est majoritairement composé de TPE et de PME. Ces entreprises commencent à souffrir de la crise et si rien est fait, les prochaines années seront très violentes.

Pour la commune, nous avons besoin d’une réforme fiscale. Cela veut dire une répartition des richesses au niveau des collectivités locales. Ce n’est pas possible qu’à Sevran, depuis 10 ans, on rame sur la question financière. Près de 35 % de budget en moins, c’est pas possible, il faut qu’il y ait des choses qui se passent pour continuer les travaux que nous menons.

Pour revenir à l’actualité, votre parti politique a soutenu la loi sur le mariage pour tous. Satisfait du vote de la loi ?

Au moins le gouvernement est allé au bout des promesses.

Et la PMA [ Procréation médicalement assistée] ?

Il faut aller au bout. Ça fait partie de l’évolution et moi je suis pour.

Bilan de François Hollande ?

Ce n’est pas une question de déception. Pour moi les politiques doivent se mettre dans le contexte politique des années 1930 aux États-Unis, donc de grandes politiques sociétales. Il faut du courage politique pour le faire.

Donc satisfait ou non ? 

On attendait Roosevelt on a eu Hollande. Il gère la France comme il gère le parti socialiste.

Vous vous représenterez pour les municipales de 2014 ?

Je n’ai pas encore fait mon choix.

Quelque chose à dire au gouvernement ?

Il faut se battre, avoir du courage politique, comprendre le monde dans lequel nous sommes et ne plus gérer le pays comme il y a 20 ou 30 ans, y compris dans les rapports politiques ou humains. Nous devons réellement comprendre les ruptures, définir ce que peut être la société de demain et là nous serons en rupture complète avec la France, la République qu’on nous avons connu. Une République qui n’est plus unie et indivisible parce qu’elle est morcelée et n’est plus égalitaire. La France reste profondément inégalitaire.

Imane Youssfi

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