Plus de 300 000 automobilistes, selon les estimations, conduisent sans permis en France. A l’heure de la voiture sans permis, des contrôles fréquents et des lourdes peines appliquées, ce danger est souvent couru par nécessité et non par choix.

« Je m’en veux tous les jours ». Le regard et le remord que porte aujourd’hui Davis, ce jeune Bondynois, sur les verres qu’il a bu en trop avant de prendre le volant il y a quelques mois, est sans appel.  Soirée bien arrosée, gendarmes, éthylotest, justice. L’enchaînement lui a valu l’annulation de son permis de conduire et une peine d’emprisonnement avec sursis. Aussi parce qu’il avait déjà été condamné pour des faits similaires quelques années auparavant.

Une ordonnance pénale qui n’avait visiblement pas eu l’effet escompté. Contrairement à cette peine de prison avec sursis. « C’est une épée de Damoclès au-dessus de ma tête », explique le jeune homme qui avoue avoir « peur de finir en prison » et parle de « prise de conscience très claire ».

« Si je ne conduis pas, je ne peux plus travailler, je ne peux plus gérer mon entreprise »

Pourtant, ce chef d’entreprise qui pourra se représenter à l’examen du permis de conduire dans quelques mois, prend quand même le volant. « Je n’ai pas le choix. J’habite à plus de 30 kilomètres de mon lieu de travail et l’amplitude-horaire de mon emploi du temps ne me permet pas de prendre les transports en commun », explique l’automobiliste qui reconnaît « stresser », dès qu’il croise une voiture de police ou de gendarmerie.

« Tous les jours, je passe par le pont de Bondy, et parfois la police y est très tôt, un matin dès 6 heures, à contrôler les véhicules. Par chance, ils ne m’ont jamais arrêté, mais c’est la panique à chaque fois. Mais si je ne conduis pas, je ne peux plus travailler, je ne peux plus gérer mon entreprise », avance-t-il.

« J’ai été obligé d’expliquer ma situation à mes proches et à mes collaborateurs pour justifier du fait que je ne puisse pas prendre le volant tout le temps. Mais pour certains rendez-vous, je suis obligé de conduire. Je ne peux pas prendre le taxi à chaque fois, ce serait trop cher ». Malgré tout il admet « rouler avec le feu » comme, selon les estimations, au moins 300 000 Français. Les procédures pour passer le permis de plus en plus longues et onéreuses, l’échec au passage du permis de conduire amènent aussi certains jeunes à rouler sans permis, sans même s’inscrire dans une auto-école comme certains jeunes qui parfois n’ont même pas encore 18 ans.

Sarah a 22 ans, elle a raté son permis de conduire plus de cinq fois. Elle doit donc repasser entièrement le code de la route, elle a baissé les bras. « J’en ai marre, j’avais l’impression de ne jamais en finir. C’était une claque à chaque fois que je le passais, avec tout l’argent que j’ai mis dedans j’aurais pu carrément m’ouvrir un Plan d’épargne logement et payer les frais de notaires. J’ai mis un peu de 10 000 euros et je ne l’ai toujours pas.»

« Je suis désolée, poursuit-elle, à un moment il fallait que j’avance dans ma vie. Je sais conduire, donc je conduis sans permis depuis un an et demi… On m’a proposé plusieurs fois de l’acheter, je n’ai pas voulu. Cela m’a écœurée.  Dans ma tête c’est comme si j’étais en règle. Il faut être sûre de soi pour tromper le policier. J’ai une technique, parfois il m’arrive de m’arrêter devant eux dès que je les vois, et je fais semblant de demander la route, pour qu’ils m’indiquent la direction.»

Sa voiture est assurée au nom de sa mère, pour se protéger en cas d’accident. Quant aux radars automatiques, Sarah se dit prudente et respecte les limitations de vitesse « Mais si je me fais prendre,  j’ai une technique, ma mère a un permis espagnol, donc c’est un permis étranger, on ne perd pas de points, mais on paie une amende ».

Tony, lui habite à Bobigny, et la galère du permis de conduire il l’a aussi connue. Il a passé le permis plusieurs fois. Aussitôt le papier rose en poche, ce sont les points qui disparaissaient les uns après les autres. « Pour moi le permis, c’était plus important que le bac, quand on vient de banlieue, c’est super important de passer le permis, pour sortir du périphérique, trouver du travail. Ici, il n’y a pas de bus et de métros à volonté comme à Paris. Sans voiture et sans permis, en banlieue t’es perdu !»

Moussa, lui est âgé de 26 ans, il a obtenu le permis l’année dernière après avoir conduit sans permis. « Dans le quartier, j’ai très vite appris à conduire, je m’exerçais en allant à l’école avec, puis au travail, après quand on est dedans on oublie carrément qu’on ne l’a pas et qu’on doit le passer.  Aujourd’hui mon métier m’a amené à le passer.  Avant je roulais sur le nom de mon frère, et quand on me contrôlait je n’ai jamais eu de problème avec ça. Je connais toutes les informations utiles sur mon frère, je pouvais donc me faire passer pour lui. Il y en a beaucoup qui roulent sans permis dans mon entourage, certains l’achètent même ».

Quant à Davis, le Bondynois roulant sans permis, repasse dans quelques mois l’examen du permis de conduire. La date est cochée dans son agenda et il a déjà commencé à potasser son code. Pour récupérer son papier rose et ne plus se crisper sur son volant à chaque fois qu’il aperçoit un gyrophare bleu ou « la Megane de la BAC ». Même si le jeune homme affirme : « Si je me fais arrêter, ce ne sera plus pour l’alcool, mais parce que je conduis sans permis pour le travail… »

Mohamed Mezerai

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