Même si la police qualifie de « moins agressive » la cinquième nuit de violence dans les quartiers populaires en périphérie de Stockholm, les événements s’étendent. Avec ces émeutes c’est le modèle suédois qui montre ses limites : chômage élevé chez les jeunes, intégration partielle, éducation au rabais…

En 2005, les banlieues françaises s’embrasaient. En 2013, c’est au tour de la Suède de connaître les émeutes urbaines. Tout a commencé dimanche 19 mai, en périphérie de Stockholm, suite à la mort d’un homme de 69 ans, armé d’un couteau, abattu par les balles de la police dans la banlieue de Husby. Si les forces de l’ordre invoquent la « légitime défense », d’autres considèrent que cet homme aurait pu être maîtrisé sans pour autant être abattu et accusent la police de racisme (avec des termes, selon les responsables associatifs locaux, comme « singes » ou « sales nègres »).

Husby est une banlieue située au nord-ouest de Stockholm, à 20 minutes, 85% de ses habitants possèdent au moins un parent issu de l’immigration. Et le mal-être commence à se faire sentir. La Suède, petit pays d’à peine 10 millions d’habitants, représente un eldorado d’égalité pour la plupart des occidentaux. Ce pays affiche un PIB par habitant de 40 600$ en 2011 (contre 35 000$ pour la France) et un salaire moyen de 3 205 euros par mois (presque mille euros de plus que dans notre pays). Cependant, ces différents chiffres cachent de profondes inégalités sociales. Le modèle de l’état providentiel suédois entrepris depuis les années 1970, serait-il sur sa fin ?

Kristina Rönnqvist, journaliste à Courrier international et Presseurop, a accepté de répondre à nos questions.

Est-ce la première fois que la Suède connait de telles violences urbaines ? 

Non. Nous avons déjà connu plusieurs incidents de ce genre. En 2008, par exemple, dans sud de la Suède, dans la banlieue de Malmö, suite à la fermeture d’une mosquée dans le quartier de Rosengård.

Comment cette situation est couverte dans la presse suédoise ? Comment réagit l’opinion publique suite à ces événements ? 

Ces violences urbaines font bien évidemment la une de la presse suédoise. Nous assistons d’ailleurs à une réelle bataille médiatique. Du côté des conservateurs, ces émeutes doivent être analysées sur une échelle individuelle. Les sociaux démocrates, quant à eux pensent que ces émeutes sont le fruit d’une politique sociale inégalitaire.

Si l’on passe à la question de l’opinion publique, il est clair que personne ne cautionne le fait que l’on attaque la police ou que l’on brûle la voiture des voisins, car ça ne va pas faire avancer la situation. Surtout que normalement, la police essaye d’entretenir de bonnes relations avec les jeunes dans ces banlieues. Sur certaines voitures de police suédoise, il y a même marqué le mot « Aina », ce qui signifie « Police » dans l’argot turc !

Selon vous, pourquoi ces violences n’ont trouvé que peu d’échos dans la presse française ?

Je ne sais pas… C’est d’autant plus surprenant que la presse suédoise a fait le rapprochement avec les émeutes de 2005 : des jeunes de quartiers populaires qui ne trouvent pas de travail, qui ne réussissent pas à l’école, qui ne trouvent pas d’issue pour s’en sortir… Le taux de chômage en Suède chez les jeunes est élevé, avoisinant les 20% chez les 18-25 ans. Ce phénomène est accru chez les jeunes de ces banlieues, tout comme en France !

La Suède apparaît comme un eldorado en France, ces violences sont-elles le reflet d’un certain mal-être dans la société suédoise ?

Je pense que oui. La jeunesse des quartiers « délaissés » commence à exprimer son malaise au sein de la société. Particulièrement depuis l’arrivée d’un gouvernement conservateur en 2006 alors que la Suède n’avait connu que la sociale démocratie depuis 1978 [gouvernement social-démocrate entre 1936-1976 sans interruption, puis conservateur entre 1976-1982, social-démocrate entre 1982-1991 et entre 1994-2006 – donc un mandat social-démocrate qui a profondément marqué la société suédoise moderne]. Ces événements permettent d’ailleurs aux socialistes de dire : « voilà le résultat de la politique des conservateurs ». Mais il ne faut pas se voiler la face, même durant l’ère socialiste, il y avait des problèmes d’intégration, les discriminations à l’embauche sont réelles dès que vous avez un nom à consonance étrangère.

 Y- a-t-il un phénomène de ghettoïsation dans ces banlieues ?

Que met-on derrière le mot « ghetto » ? Ce que certains appellent « ghetto » chez nous, n’a pas la même signification que ce que l’on voit à Chicago ou dans certaines grandes villes des États-Unis. Mais nous avons tendance à employer le terme « banlieue » plutôt que celui de « cité » ou de « ghetto ». Ce sont plutôt les gens qui se sentent à l’écart du reste de la population. Cependant, il y a une part de responsabilité qui revient au gouvernement. Dans ces banlieues, il y a très peu de mixité.  

Vous savez, la Suède est le 3e pays de l’Union européenne à recevoir le plus d’immigrés alors que nous ne possédons que 9,5 millions d’habitants (dont 15% d’immigrés). Tandis qu’un pays comme les États-Unis, qui font la guerre au Proche-Orient, reçoivent beaucoup moins de réfugiés politiques que la « petite Suède ». Pour citer un chiffre concret : en 2008, la Suède avait accueilli 40 000 réfugiés de l´Irak alors que les États-Unis n’en avaient reçu que 700. 

Est-ce la première fois que l’opinion publique porte son attention sur les banlieues ?

Malheureusement oui, comme partout ailleurs. Quand tout marche bien, on ne parle pas de ces quartiers, alors que quand il y a un problème, ça fait les unes des médias. On n’évoque rarement, par exemple, les initiatives positives qui partent de la banlieue ! On n’y va que pour parler des mauvaises choses. C’est d’ailleurs une autocritique que sont en train de se faire les médias suédois. 

D’où viennent la plupart des gens qui habitent dans ces banlieues ?

C’est difficile de répondre à cette question… dans la banlieue de Husby, ayant poussé dans les années 70, les autorités suédoises ont recensé 114 nationalités différentes ! Notre plus vieille vague d’immigration remonte aux années 50-60, avec l’arrivée des Italiens, des Finlandais des Yougoslaves et des Turcs. A cette époque, c’était les employeurs qui allaient  à l’étranger pour aller chercher de la main d’œuvre, car nous en avions besoin ! Récemment, nous assistons à la venue de Somaliens et d’Irakiens, plus particulièrement après la guerre entre l’Irak et l’Iran [1980-1988], et la seconde guerre du Golfe, en 2003.  

Existe-t-il une certaine mixité au sein des institutions suédoises ?

Oui, mais cela reste très minoritaire.  

Selon certains experts politiques, les émeutes de la gare du Nord en 2007 ont permis à Nicolas Sarkozy d’être élu président de la République la même année. Pensez-vous que ces émeutes vont profiter à un parti politique en particulier ?

Difficile à dire… À première vue, nous pourrions penser que ce genre d’événement serait plutôt favorable au parti d’extrême droite, les Démocrates de Suède, qui utilisent l’immigration comme un bouc-émissaire étant à l’origine de tous les maux de la société. Cependant, bien que ce parti ait obtenu 5,7 % lors des dernières élections et qu’il a réalisé son entrée au parlement pour la première fois en 2010, il est de moins en moins crédité depuis la parution de plusieurs vidéos dans lesquelles on voyait des cadres de ce parti en train de proférer des insultes racistes alors qu’ils étaient ivres, en pleine rue de Stockholm. 

Difficile de savoir à qui auront profité les émeutes de ces derniers jours. Mais une chose est sûre : la Suède est la grande perdante.

 

Tom Lanneau

 

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