On ne le présente plus. A 35 ans Kash Leone mène sa vie entre l’usine d’Aulnay et l’univers musical. « Activiste acte 1 » son dernier album sorti en avril, son parcours, la fermeture de l’usine d’Aulnay : ce père de deux enfants les évoque sans tabou. Rencontre.

C’est à la place du marché, cité de la rose des vents (les 3000) que j’ai rendez-vous avec Kash Leone, Franck de son vrai prénom. Un lieu symbolique pour lui, c’est ici qu’il a fait son premier concert. « C’était en 1992, il faisait super chaud ! » dit-il, se remémorant ses souvenirs « mais ça a changé ici depuis ».

La discussion se poursuit en marchant dans le quartier des 3000 qu’il connait bien. Assis sur un banc dans une aire de jeu, il revient sur son parcours. « Quand je suis arrivé à Aulnay j’étais en CM2. J’avais deux potes qui jouaient au synthé, moi je faisais piano au conservatoire et je les ai rejoints ». Habitant des quartiers sud de la ville, il passe un Bac S option SVT, qu’il ne décroche pas. La même année, il  est en signature chez Universal, pas facile de concilier les deux. « Je rencontrais Saïan Supa Crew, Kerry James… » se souvient-il. « J’ai pas adhéré, je n’étais pas fier de ce qu’il voulait que je fasse » et quitte la maison de disque.

Il en vient à s’insérer dans la vie active, « j’ai travaillé pour une boîte à Pantin, c’étaient des grossistes en informatique ». Après leur déménagement, Kash Leone  se retrouve au chômage puis arrive par intérim à PSA Aulnay il y a une dizaine d’années. Il y travaille d’abord de nuit  : « c’était cool, ça paye, même si au début ce n’était pas facile. Je travaillais de 22h30 à 6h30 ». Il commence à la chaîne et devient  moniteur de ligne au fil des années. Il s’arrête de parler un instant pour regarder les enfants jouer, regarde autour de lui, et reprend « c’était  ici le grand dessin superman », dit-il en pointant du doigt un bâtiment. Il se souvient d’une grande fresque représentant le super héros, effacé depuis les travaux de rénovation urbaine, et se remémore des souvenirs. « L’un de mes meilleures potes habitait au 3 000. Je pouvais venir à pied jusqu’ici pour répéter dans une cave ici ».

Kash Leone… D’où lui vient ce nom de scène ? « Quand j’étais à l’école on me disait, « toi t’es cash » » et Leone pour ses origines latines. « J’ai toujours fait du rap, je n’ai jamais arrêté. Je rap depuis 1991 ». Sa carrière l’emmène vers divers chemins, il intègre un groupe pendant quelques années, le « collectif 5e avenue », puis travaille seul, se fait son propre studio, «  je suis assez autonome », rencontre un rappeur, Tango. Ensemble ils forment le duo « Tango & Kash » et  écrivent 21 titres en un mois. Ils leur vient l’idée de les mettre en télechargement gratuitement sur une plateforme sur Internet. « Ça a fait un buzz ! En moins d’une semaine ça a été téléchargé 600 fois ».

Rappeur, salarié de PSA, Kash Leone est aussi un grand sportif : « j’ai fait 7 à 8 ans de handball, du basket, de la boxe…le sport ça forge le mental ». Pourtant, l’usine d’Aulnay c’est bientôt fini. « J’étais moniteur et on me demandait de dire à mes opérateurs que la fermeture c’était une rumeur. On nous a annoncé cette fermeture lors d’un briefing en juillet 2012 » se souvient-il. « Et les gens qui ont acheté des maisons, qui ont fait des crédits, qu’est-ce qu’ils vont devenir ? C’est moche ! » Il en parle justement dans une chanson, Ça peut plus durer » dans son album Activiste acte 1, sorti en avril dernier. « Des potes sont venus me voir en me disant qu’il fallait que j’écrive une chanson sur ce qu’il se passe. J’me suis dis que j’allais faire une chanson qui traduit les émotions des gens, je voulais vraiment faire un truc qui montre ce que ressent chaque ouvrier ».

Créatif, il pense à « une nouvelle idée marketing » pour la sortie de son album. « On a accroché des démos de l’album au mur à gare du Nord. On a du courir car les vigiles sortaient de partout ce jour-là ». Cette idée, il y pense depuis quelques années, « avec cette démarche, c’est nous qui allons vers le public. Ils écoutent la démo pour se faire une idée et ensuite peuvent acheter l’album ». Kash arrive à gérer son métier à Peugeot et sa passion pour la musique dont il n’a « jamais cherché à vivre », rien ne l’effraie, dans le rap j’ai été critiqué aussi, mais moi je ne tombe pas, je rebondis ».

« Dans mes textes je n’incite pas à la guerre, je suis pas anti-patron. J’avais crée une SARL pour mon label, j’ai vu ce que c’était d’avoir une boîte.  Mais les patrons devraient donner un peu plus pour que les salariés partent dignement » songe-t-il en pensant à l’usine d’Aulnay. La grève, il l’a faite pendant quelques semaines, un choix personnel pour un employé « pas du tout syndiqué, j’ai mes propres idées je m’assume pleinement ».

Et l’avenir, comment le voit-il ? « Je vais faire un CV comme tous le monde, trouver un taf sans perdre d’argent avec des perspectives d’évolution », tout simplement.

Imane Youssfi

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