Les blogueurs racontent, à leur façon, leur -Né quelque part-, la semaine de la sortie du film de Mohamed Hamidi. Dans les salles depuis mercredi.

Jeudi 25 avril 2013, 10 heures. On part de la maison. « On » ce sont mes parents, mon frère et moi. Direction l’aéroport, l’Algérie. Moi, Sarah Ichou, je pars en Algérie ce 25 avril, c’est un événement ! Cela fait 3 ans que mes parents et mon petit frère y vont à cette période, c’est plus agréable au printemps selon mon père. Ils y vont pour rendre visite à la famille, tenter de capter deux ou trois rayons de soleil, et « se ressourcer », comme dit ma mère.

Moi ça fait trois ans que j’esquive le voyage. Qu’est-ce qu’une jeune fille de 16 ans irait faire dans la campagne algérienne ?  Internet, Wifi, 3G, bluetooth et MMS ne sont possibles que dans les cybers du coin. Sauf que ces cybers sont surtout fréquentés par des hommes. Si ça avait été dans ma douce France cher pays de mon enfance, il n’y aurait pas eu de « mais’ »: « Et alors ? On s’en fiche des hommes, je fais rapidement mon tour sur internet et c’est réglé ! » Sauf que là-bas, ce n’est pas comme ça qu’on raisonne, il faut se plier aux règles locales. La relation entre les hommes et les femmes est compliquée. Alors si tu veux aller au cyber c’est préférable d’ y aller avec ton père, ton frère ou ton cousin. A 16 ans tu as l’impression de ne pas exister sans ton portable, ton ordinateur ou ta tablette. Alors c’est de la torture.

La dernière fois que je suis partie au bled, j’avais 15 ans. Mon père n’avait pas pu venir, il n’avait pas eu ses congés. On y avait accompagné ma grand-mère, malade, pour qu’elle s’y repose. Il faisait super froid, le dérèglement climatique semble n’épargner aucun recoin de la planète. Entre l’absence du chef de famille et la faiblesse de ma grand-mère c’était compliqué de louer une voiture pour visiter la région.  Je me souviens que le jour de notre retour, j’étais contente de rentrer. Dans l’avion je remets en question cette vision sombre des choses : « Non tu n’as pas le droit de voir les choses comme ça parce que c’est là où tes grands-parents sont nés, là où ton père a fait son service militaire, et surtout l’endroit d’où tu dis que tu viens dès qu’on te demande tes origines ».

Plutôt que de passer un voyage agréable à écouter de la musique et à déguster le savoureux plat industriel fourni par ma compagnie, je me pose un tas de questions : « Pourquoi je suis si pressée de rentrer en France ? Je suis donc plus française qu’algérienne ? Mais pourquoi est-ce que ce n’est pas si évident que je sois française? Pourquoi en France on me demande automatiquement d’où je viens ? »

Alors cette année je fais mon come-back. Quand j’ai dit à ma mère « prends-moi un billet moi aussi, je viens, maman », ma mère a été agréablement surprise : « sérieusement ? » m’a-t-elle demandé avec un grand sourire. Mon petit frère a sauté de joie « Oh Sarah tu viens pour de vrai ? Trop bien au moins s’il fait moche, on s’ennuiera à deux ». Mon père, lui, a carrément appelé mon grand-père le soir même : « Sarah vient aussi ». A croire que c’était l’événement de l’année. Si j’ai décidé ce retour, c’est justement parce que mon grand-père se demande pourquoi je fais la gueule à l’Algérie. Je ne voulais pas lui faire de peine. Mon grand-père paternel, le seul qu’il me reste aujourd’hui, lui qui est venu en France dans les années 1950, qui a travaillé toute sa vie à l’usine pour nourrir sa famille, jamais je ne pourrais décider de lui faire la tête. Rien que pour ça, il fallait que j’y aille, pour lui rendre visite et le rassurer. Ces derniers temps, il est retourné au pays pour s’y installer définitivement. Il ne vient en France qu’une fois tous les deux ans.

Ce n’est pas tout. Cette année j’ai passé le bac et en y réfléchissant bien, la campagne qui me paraissait trop calme et trop ennuyeuse il y a quelques années m’a parut être l’endroit parfait pour réviser en toute tranquillité, et m’éloigner des nouvelles technologies qui freinent les révisions.

Ce jeudi 25 avril je suis donc en direction de l’aéroport d’Orly. A 13 heures les bagages sont déjà enregistrés, une valise n’est chargée que de manuels scolaires, d’Annabac et de classeurs. « si je la perds c’est la fin du monde ». Ma mère, elle, a chargé six sacs de cadeaux pour la famille. « Mais maman t’as cru qu’on allait en aide humanitaire ?» demande mon petit frère. A 14 heures je suis dans l’avion, il va décoller dans quelques minutes. Alors que mon frère visionne déjà un film, moi je regarde par le hublot et je vois l’avion survoler la France, passer au-dessus de la mer Méditerranée, puis arriver enfin en Algérie. J’appréhende un peu ce séjour, j’espère avoir cette fois une vision plus positive de mon pays « dit d’origine ».

A l’aéroport de Tlemcen, on passe la douane, on récupère nos 100 kilos de bagages et on aperçoit  au loin l’oncle de ma mère qui nous attend avec un cousin et deux voitures, ils ont déployé les grands moyens ! On arrive enfin au village, sous une pluie battante. Certaines petites routes du village ne sont pas goudronnées donc la terre rouge s’est transformée en boue. On pose nos bagages dans « notre maison », celle que mes grands-parents maternels nous ont laissé.  La tante de ma mère nous attend chez elle, elle nous a prévu « un goûter d’accueil ».  D’autres femmes nous y attendent : cousines, tantes, nièces, voisines. Je ne reconnais que quelques visages qui m’avaient marqués il y a quelques années. Mais les autres je les regarde avec attention, non je ne les connais pas. Elles sont toutes extrêmement heureuses de nous voir, nous demande des nouvelles de la famille en France, puis partent sur d’autres sujets de discussion. Elles rigolent beaucoup et nous communiquent leur joie de vivre.

Il y en a une qui attire particulièrement mon attention. Elle s’appelle Samira. Elle fait partie des quelques personnes dont je me souvenais. C’est la cousine germaine de maman. Elle a 22 ans. Elle aide sa mère à débarasser la table, à faire la vaisselle. Je lui propose de l’aider, elle me l’interdit. Elle s’assoit ensuite à côté de moi. On tente de discuter sauf que mon arabe fait mal aux oreilles. Elle comprend un mot sur 4, et moi un mot sur 12 mais on arrive tout de même à communiquer. Elle est aujourd’hui mariée, « oh il est mignon ce petit, c’est qui ? – mon fils » me répond-elle.

Moi je suis venue pour travailler mes cours, pour réviser mon bac. Elle a arrêté l’école à 18 ans justement « Il fallait que je parte dans une autre ville pour poursuivre mes études, c’était trop compliqué, alors j’ai préféré me marier ». Mon père a loué une voiture, quand je relâchais les révisons, on allait se balader : on a fait le tour de la région. Il y a des sites incroyables dans le coin. Parfois le soir j’allais passer ma soirée avec Samira et ses cousines, elles ont 21 ans, elles sont enceintes, on voit bien que leur grossesse est difficile mais elles ne le montrent pas « ça va, el hamdulilah, c’est comme ça, c’est la vie ! »

J’allais aussi chez mon grand-père, à pied, sous les 35°C. Pourtant on avait la voiture à disposition, mais j’ai voulu faire comme tout le monde… Et puis finalement avec le temps j’ai trouvé ça cool. Mon grand-père me racontait des histoires, comme si j’avais encore 8 ans, mais j’adore ça car j’apprends des tas de choses et surtout l’histoire de notre famille.
Je me rends compte que ça me plaît et que je souhaite en connaître davantage parce que comme le dit très bien l’acteur dans le film  Né Quelque Part, on n’est jamais trop curieux quand il s’agit de sa propre histoire…

Sarah Ichou

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