Après plusieurs nuits de tensions entre forces de l’ordre et habitants du quartier des Merisiers, le thermomètre ne cesse de grimper. Mais Trappistes et police sont depuis longtemps en froid. Reportage sur place.

La dame de la météo, à la télé, a dit qu’il ferait très chaud. Elle a dit « fortes chaleurs », elle n’a pas dit « canicule », elle a dit que ça n’irait pas en s’arrangeant. Que, peu à peu, le soleil brûlerait la France. Que ceux sur les plages ou les autoroutes crameront de mille coups rouges. La dame n’a pas donné la température à Trappes, ce dimanche. Il fait surement 35 degrés et tout peut fondre dans un claquement.

Le soleil éradique les corps d’un coup fatal. Il y a juste lui, dans le ciel bleu ciel, et l’ennui d’un dimanche d’été. Trois enfants s’amusent autour d’une fontaine. Quelques-uns font quelques courses au Dia du quartier des Merisiers. Le quartier n’est pas très grand. Il y a une Poste et quelques commerces qui crament dans la chaleur.

Jeudi soir, juste là, entre le commissariat et la salle des fêtes, des jeunes et des policiers ont commencé à s’éclater. Plus tôt, dans l’après-midi, un contrôle de police a vite dérapé, alors que la vie se passait. Fanta Ba, Trappiste depuis toujours, aujourd’hui activiste sociale, raconte les faits : « Une dame en niqab s’est vu contrôler par la police, accompagnée de son mari et sa mère. Elle a levé son voile, elle a collaboré. Rapidement, sa mère a été éloignée. Le ton est montée entre les deux femmes et les agents qui ont lancé des mots comme « fantôme » à la femme. Son mari, spectateur, a voulu s’interposer. Il y a eu des échanges de coups et d’insultes ».

Les quartiers, à Trappes, sont coupés du centre-ville par la Nationale. Dans l’artère principale, il y a trois carcasses de voitures cramées encore là, agonisantes. Abdallah, entrepreneur d’une trentaine d’années, montre les dégâts : quelques voitures, deux Abribus et la façade d’un immeuble qui a brûlé « suite à un tir de gaz lacrymogène incandescent des forces de l’ordre ». Abdallah, quand l’immeuble et la ville se sont mis à brûler tranquillement, était là, son iPhone prêt à tout capter, des détails aux gros dégâts. « Aujourd’hui, nos armes ce sont nos téléphones, on peut témoigner grâce à ça ». Sur son écran, il montre ses images à ceux qui veulent bien.

Les immeubles n’ont pas l’air vétustes, réhabilités pour la plupart. « En effet, il y a un bel effort de réhabilitation à Trappes », considère Fanta. Avant de lâcher, plus froidement : « Par ailleurs, on a pas de problème d’insécurité, mais on a, depuis longtemps, une forte présence policière ». Selon elle, c’est cette « tension sociale depuis un an » avec de nombreux « contrôles aux faciès et arrestations non justifiées » qui font que Trappes s’embrase aujourd’hui. « Ce contrôle, c’est simplement la goutte d’eau », répète-t-elle.

Entre deux saluts aux voisins, Abdallah confirme que le « climat » n’est pas à la joie. « C’est devenu habituel, ici, de se faire contrôler ou narguer par la police ». Une voisine raconte, sans apporter aucun preuve visuelle : « Il y a quelques jours, des policiers sont passés devant des jeunes avec croissants en leur disant que c’était bon et qu’ils ne pouvaient pas en manger ». Abdallah reprend : « C’est tout cela qui a fait péter la ville. C’est simplement une accumulation de tension sociale, saupoudrée de religieux ».

photo(7)photo(7)Le commissariat a une construction un peu hybride. Ni soucoupe, ni carré, ni rien. A ses pieds, tout autour, des cailloux, plus ou moins gros, sont cueillis puis jetés dans de grands sacs par des ouvriers municipaux. On ramasse, la journée, les dérives de la nuit… Une femme, adossée à un grand lampadaire, attend devant le long cortège de camions de CRS, derrière le commissariat. « Mon fils a 19 ans, il a été faire la prière hier soir et en sortant, il s’est fait attraper avec d’autres gens, impliqués dans les émeutes. Mon fils n’a rien fait. Je veux qu’il sorte ». Personne ne l’écoute.

Quelques CRS sortent des camions qui stagnent. Ils chantent « joyeux anniversaire » et se découpent une part de gâteau chacun. Soudain, un boom dans le ciel brûlant. De la fumée, au loin. Un entrepôt vient de cramer, prêt de la station service BP. Des policiers demandent d’évacuer parce que « si ça saute, on pète tous ensemble ». Rapidement, une journaliste de RMC se retrouve dans la tourmente d’un groupe tirant à bout portant sur la presse. « Vous mentez », disent-ils, en citant BFM et iTélé en première ligne, Libération et TF1 en seconde. Un habitant, très agacé : « Les termes d’islamo-racailles qui ont été utilisés par certains médias, c’est honteux ».

« Je suis outré par ce traitement médiatique médiocre », estime Fanta, détentrice d’un master en communication. « On a toujours le seul point de vue de la police, jamais l’autre point de vue, celui des habitants ou des témoins. On se pose jamais la question du point  de départ de tout ça… » La jeune femme s’en va comme elle est arrivée, toujours dégoûtée de toutes ces failles, mais avec peut-être un peu d’espoir, caché dans son coeur. Et puis, le dimanche continue comme il a commencé. Avec l’ennui et la chaleur d’un jour d’été où il n’est presque plus possible de respirer. La ville continue de s’embraser. Jusqu’à ce que la pluie tombe.

Mehdi Meklat et Badroudine Abdallah

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