La mairie de Rosny-sous-Bois (93) organise des remises de sésame citoyen, un peu à la sauce américaine, sans les uniformes et les chapeaux. A la sortie, tous les jeunes sont convaincus d’une chose, ils iront voter.

L’heure est grave, les amis. D’après un sondage du Nouvel Observateur (du 15 avril), 7 Français sur 10 n’ont plus confiance dans les politiques. Bien que d’après ce sondage, l’affaire Cahuzac n’ai pas eu grande incidence sur ce manque de confiance, force est de reconnaître que dans mon entourage, le métier est loin de faire rêver. Dans ce contexte de « crise de la représentation » j’ai été invité à la mairie de Rosny-Sous-Bois, afin de recevoir mon sésame de citoyen, la carte électorale.

J’arrive devant le parc qui fait face à la mairie, j’entends au loin, sous un beau ciel bleu, des cris, des chants, de la musique et des rires. Quelle ambiance pour une cérémonie officielle ! Jugement hâtif et erroné : les rires n’étaient pas ceux du maire heureux de nous remettre notre carte électorale, mais ceux des demoiselles d’honneur d’un mariage ayant lieu au même moment.

J’arrive dans la grande salle des fêtes de la mairie. Une centaine de chaises y sont alignées, et à peine le tiers d’entre elles sont occupées. Face à nous, une vingtaine de personnes, membres du conseil municipal rosnéen, nous font face, se parlant entre elles et nous ignorant royalement. Au bout de vingt minutes d’attente et d’ennui, nos parrains et marraines d’un jour se rapprochent de l’auditoire, d’un coup beaucoup plus intéressés lorsqu’il s’agit de faire face à de futurs électeurs. Le maire s’empare alors du micro.

Petit discours de l’élu local afin de nous faire un historique du droit de vote en France. Nous apprenons que notre carte électorale découle de multiples combats et que nous devons le garder en mémoire ; tout ceci entrecoupé de nombreux applaudissements, non pas ceux des jeunes, euphoriques à l’idée d’aller voter pour les municipales de 2014, mais du mariage en dessus…

Enfin arrive le moment redouté : appel nominatif pour aller chercher sa carte électorale devant une trentaine de personnes, plus une vingtaine d’élus locaux, chacun ayant préparé sa petite phrase pour le jeune à qui ils allaient remettre la carte. Chacun au sortir de l’estrade est accompagné d’applaudissements, comme lors d’une remise de diplôme à l’américaine. Sauf qu’à la sauce « mairie et élus de Rosny », c’est un peu mou. Point de lancers de chapeaux ou de larmes, c’est fou ce que nous pouvons nous sentir seuls autour de cinquante personnes…

Après ces vingt minutes de contemplation de mes chaussures et d’applaudissements forcés pour chaque personne recevant sa carte électorale, nous sommes conviés à un « buffet » au fond de la salle. « Tant mieux, s’est écriée la fille derrière moi, moi j’étais venue pour ça ». Ses voisins ont rigolé bêtement en acquiesçant. A l’occasion de ce petit goûter j’ai pu parler aux « jeunes citoyens » pour leur demander ce que représentait la carte électorale.

Plusieurs éléments ressortent des différents témoignages : tout d’abord l’attachement irascible des Français envers le système de la démocratie représentative, faisant en quelque sorte mentir les statistiques selon lesquelles personne n’a plus confiance en ses représentants. Pour Benjamin, lycéen :« la carte électorale et le vote représentent un moyen d’exprimer ses pensées librement et anonymement. J’irai toujours exprimer mes opinions à travers les urnes, je refuse l’abstentionnisme qui constitue une porte ouverte à tous ceux que l’on voit déjà trop dans les médias. »

Yolène, étudiante en histoire et en sociologie, quant à elle, évoque le fait que le droit de vote « représente l’égalité entre tous les citoyens afin de représenter nos idées et nos convictions dans l’espace public ». Elle conclura d’ailleurs par « c’est pourquoi j’irai voter même si je peux comprendre dans une certaine mesure les gens qui jettent l’éponge devant le fatalisme ambiant ».

Après avoir recueilli ces deux témoignages, je suis allé interroger un groupe de jeunes filles. J’ai pu observer toute la dimension symbolique que possède le droit de vote pour les jeunes femmes, prenant conscience des combats de leurs aînées, comme les suffragettes, afin d’obtenir le pouvoir dont elles bénéficient aujourd’hui. Morgane, lycéenne, est la première à prendre la parole : « en tant que femme, j’ai une vision assez forte de la carte électorale. Pour moi, elle symbolise le progrès de la société et plus particulièrement celui des femmes. C’est-à-dire leur liberté ».

Elle se retourne vers ses copines comme pour être sûre que ses propos soient cohérents puis continue : « je parle principalement ici de liberté d’expression et de droit d’opinion. Pour ce qui est de l’abstention, j’irai voter à chaque fois. Ceux qui ne votent pas, qui ne prennent pas le temps de se déplacer, rien qu’un ou deux dimanches par an, pour exprimer leur opinion via les urnes, ils n’ont pas le droit de se plaindre ! »

Élise, un peu en retrait surenchérit : « je ne comprends pas l’abstention, même pour exprimer son mécontentement. Je préfère encore voter blanc, et donc être comptabilisée, plutôt que d’être abstentionniste et que certains experts politiques n’expliquent la montée de l’abstention qu’à cause de la mal-inscription ! ».

Mari-Lou, lycéenne, confirme : « Tout comme Morgane, puisque je parle en tant que femme, cette carte représente quelque chose de fort puisque si j’étais née il y a moins d’un siècle, je n’aurais pas pu voter ! Par conséquent je ne me vois pas m’abstenir durant une élection. C’est important et gratuit alors va voter ! »

Enfin, je finis ma matinée en interceptant M. Bouvard, conseiller municipal de Rosny-Sous-Bois afin de lui poser les mêmes questions, « c’est à vous que l’on doit demander ce que représente le droit de vote ! C’est pour que vous preniez conscience du pouvoir que vous détenez à présent que nous organisons des cérémonies comme celles à laquelle vous venez d’assister. En tout cas, pour moi, la carte électorale représente un pouvoir populaire qui va de pair avec les principes de la démocratie.Quant à l’abstentionnisme, nous faisons tout pour l’éviter car pour nous, ce phénomène va à l’encontre de l’avenir du pays. Afin de lutter contre l’abstention, nous tentons de caractériser les problèmes, d’entreprendre des démarches accessibles à tous comme aujourd’hui afin de donner envie aux gens de se déplacer pour aller voter. »

Mis à part l’attachement des jeunes envers la démocratie représentative et la puissance symbolique que représente la carte électorale, j’ai constaté une chose qui m’a fortement surpris, faisant mentir tous mes cours de sociologie politique : aucune des personnes interrogées ne pense à l’abstentionnisme.

Comment expliquer ceci alors que ces dernières élections législatives ont vu le record du taux d’abstention au cours de la Vème république (43%) et que certains experts anticipent une augmentation de l’abstention chez les jeunes. Besoin d’exprimer son mécontentement ? Les interrogés n’ont pas osé avouer ce qui peut se révéler comme étant un déni d’acte citoyen ? La nouveauté de la carte électorale deviendra-t-elle bientôt obsolète ?…

Dans un peu moins d’un an, le 9 et le 16 mars 2014, j’aurais pour la première fois l’occasion d’exprimer mes opinions politiques au sein d’un isoloir de ma commune. Cette idée fut renforcée par le fait que lors de ma remise de la carte électorale, P. François, conseiller municipal, m’a glissé un astucieux « Faites le bon choix jeune homme ! »

Cette phrase résonnera pour certains comme un « votez pour moi ! », pour d’autres, elle raisonnera comme un encouragement sincère et républicain. Dans les deux cas, que ce soit pour approuver ou non le pouvoir en place, notre vote peut changer la mise. C’est pourquoi je ne peux pas renoncer à mon seul pouvoir exercé directement sur les instances politiques françaises et donc j’enfilerai mes godasses et irai voter.

Tom Lanneau

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