Le jour du seigneur menacé est arrivé. Sanctifié par la République, le repos dominical n’est pas la tasse de thé des bricoleurs du weekend. Qu’à cela ne tienne, le pouvoir commande de faire ce qu’il dit et pas ce qu’il fait.

De nos jours, être endimanché ça veut dire ne pas être habillé de manière distinguée et ne pas paraître soigné. Non, loin de là, être endimanché c’est être assis en caleçon dans le canapé en position Al Bundy dans Marié deux enfants, avec une télécommande en guise de manche. J’allais l’apprendre à mes dépens. Trois péripéties m’ont fait réaliser à quel point je faisais fausse route en allant travailler le dimanche.

Tout d’abord, Le chien de ma voisine, Madame Georges, fut le premier à me le faire comprendre. Comme à mon habitude, je saluai sa maîtresse et je lui dis avec enthousiasme que depuis peu, je bossais le dimanche. Elle hocha la tête pour me faire part de son incompréhension. Son chien devint tout d’un coup agressif. Il eut comme des spasmes. Il se mit à aboyer et vociféra dans un moment de lucidité insolite : « pauvre plouc ». Il leva la patte et se soulagea sur mes chaussures et mon pantalon. Madame Georges dans un mouvement d’indifférence brutal me tourna le dos.

Devant tant de considération, je restais interloqué. « Impossible de m’en prendre à une vieille dame et à son unique compagnon », me disais-je. Tandis que je continuais mon chemin, je me rendis compte que j’avais omis un détail assez important. Aucun bus ne circulait dans ma commune le dimanche. Pour autant, Je ne me décourageai pas, j’entamai un footing pour me rendre à la gare. J’arrivai à la hauteur de camarades de classes qui rentraient d’une soirée bien arrosée. Je les saluai, ils me saluèrent, je leur annonçai que je travaillais le dimanche, depuis peu. L’un d’eux me regarda fixement, les yeux emplis de réprobation et me dit : « Arrête tes conneries ! Bosser un dimanche c’est comme un black qui fait des UV ! Ça n’a pas de sens. Rentre chez toi tu perds ton temps. »

Je me trouvais face à un paradoxe. On nous rabâche à longueur de journée que c’est la crise, que les citoyens, les entreprises et l’État doivent faire un effort. Les impôts augmentent et le nombre de personnes qui paient des impôts est également en nette augmentation. La logique ne voudrait-elle pas qu’on travaille le dimanche pour assumer ou prévoir l’augmentation des impôts ? Naïvement je pensais que travailler le dimanche était une façon de relancer l’économie, en laissant l’opportunité aux gens qui ont une situation confortable de pouvoir consommer plus le weekend. Prenez l’exemple des cadres, on dit souvent qu’un cadre « ne compte pas ses heures ». En d’autres termes, il travaille beaucoup pendant la semaine. Il a, cependant, un pouvoir d’achat assez élevé. Le dimanche représente donc une occasion pour lui de consommer et d’avoir des loisirs, si les commerces et les services qu’il a à côté de chez lui sont ouverts.

Mais on ne veut plus les ouvrir. Face à tant d’incompréhension sur mon choix de travailler le dimanche, j’ai décidé de me renseigner sur le travail dominical. Durant mon enquête j’ai compris que « travailler le dimanche c’est le mal absolu ». Lorsque je demandais une explication, on me répondait « par ce que c’est comme ça ! » D’autres me disait « c’est le jour du seigneur ». Le problème avec le jour du seigneur, c’est que personne n’est totalement d’accord avec son jour. Il se situe entre vendredi et dimanche. Ça fait beaucoup de jours quand même ! A noter que certains travaillent durant le jour de leur seigneur…

Dans ma quête d’explication, je me suis dit qu’il fallait peut-être que je m’intéresse à ce que nous disent les politiciens. Et là, j’ai enfin compris que travailler le dimanche c’est très dangereux pour l’équilibre personnel et social. J’en veux pour preuve la parole du Premier ministre, ce héros ! Il a travaillé tout l’été, sur ordre de son patron, et dans un communiqué, il nous dit que « Le repos dominical est un principe essentiel en termes à la fois de protection des salariés et de cohésion sociale ». Il faut comprendre par là que, premièrement, le salarié qui ne travaille pas le dimanche est  préservé. Il est heureux. Il sait que l’État le protège. Dans un second temps, ne pas travailler le dimanche, serait un moyen de créer du lien entre les gens. Un infâme bricoleur du dimanche, sa famille ou ses amis souhaitent acheter quelques fournitures pour monter des meubles en bande organisée ? Ils sont dangereux ! Gardez les portes de votre magasin closes. Ces gens sont néfastes à votre épanouissement. Ces ennemis de la nation vont à l’encontre de l’esprit du vivre ensemble.

On ne le dit pas assez, mais, on ne badine pas avec ceux qui vont dans les magasins le dimanche ! Vous œuvrez dans le domaine du service à la personne ? De grâce, le jour du seigneur au nom de l’intérêt général, n’offrez vos services à personne ! C’est comme cela que l’on génère du lien social en France. Ceux qui vous disent que l’on créé des relations en travaillant et en étant utile aux autres ne sont que des farceurs ! Travailler le dimanche c’est mal, c’est antirépublicain, c’est un mal périlleux et peu nécessaire. C’est le seul jour de disponible que vous avez dans la semaine pour essayer de joindre les deux bouts ? Allons ! N’allez pas vous mettre en danger pour essayer de payer vos factures. Vous êtes libres de ne pas travailler. Profitez de votre liberté en toute égalité et en toute fraternité. L’État vous aime et vous protège. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Ne travaillez pas le dimanche.

Balla Fofana

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