Alors que certains magasins Leroy Merlin ouvrent le dimanche malgré l’interdiction prononcée par la justice, les médias affichent des employés heureux de pouvoir travailler le weekend. Pourtant il existe des réfractaires.

600 000 euros de chiffre d’affaires, vente de 120 cartes de fidélité, voici les objectifs que doivent remplir à l’année chaque employé de Leroy Merlin. Sébastien, 10 ans passés dans l’entreprise, a décidé de tourner la page : « Je me suis fait licencier pour faute grave, il y avait beaucoup trop d’abus. Je ne reconnaissais plus mon entreprise », raconte-t-il. « Lors de ma dernière évaluation alors que j’avais rempli les objectifs mon chef d’équipe ne m’a pas donné mon avancement sous prétexte que je n’étais pas un employé volontaire. »

Pas volontaire ? Pourtant, ce jeune homme, vendeur au rayon jardin, est revenu travailler toutes les fois où la direction l’a solicité, même pendant son premier jour de congé paternité, pendant ses vacances, parce qu’il manquait du personnel. Quelle faute a-t-il donc commis pour un tel traitement après tant d’années passées dans l’entreprise ? Licencié pour ne s’être plus présenté au travail suite aux « abus de mon manger qui en demandait toujours plus : travail pendant les vacances, mon premier jour de congé paternité et bien sûr le dimanche ».

”Vision 3” où le chiffre et rien d’autre

Passé par trois magasins Leroy Merlin différents (Châteauroux, Orléans, Biganos) Sébastien porte une réelle affection à cette entreprise. « Lorsque je travaillais à Orléans l’objectif était de satisfaire le client, raconte-t-il nostalgique. La direction estimait qu’à partir de ce moment là les chiffres allaient se faire.» Mais sa mutation dans le magasin de Biganos (33) lui fait découvrir une nouvelle facette de l’entreprise familiale. « Biganos est en ”vision 3” [les magasins vont de vision 1 à 3, chaque ‘vision’ a des objectifs ciblés] c’est-à-dire qu’on a de jeunes chefs tout droit sortis d’école qui se permettent de nous traiter comme de la merde. Et leur politique c’est de faire du chiffre et rien d’autre ».

Dans cette logique, le magasin a commencé à ouvrir les dimanches. Au départ, ils ont fait appel aux volontaires. « Les jeunes de 20-25 ans et les étudiants sont contents de mettre un peu de beurre dans leurs épinards. Mais il a fallu installer un roulement. Lorsqu’est arrivé mon tour, j’ai dit ‘non’ ». Un non qui lui vaut de nombreuses pressions de la part de son manager d’abord, puis du responsable de rayon.

Sébastien est clair avec ses supérieurs. Il refuse de venir travailler le dimanche, souhaitant rester auprès de sa famille. « Il y a des professions pour lesquelles le travail dominical est vital. Mais les gens le savent quand ils signent leur contrat. » Dans la grande distribution, Sébastien estime qu’on ne touche pas au vital, mais à la maximisation de la rentabilité. Quant au volontariat il est très sceptique : « En presque 10 ans de Leroy Merlin je n’ai jamais entendu dire ”j’ai envie de travailler le dimanche” », ironise-t-il.

Dix ans de boîte, 1170 euros net

Pourtant, les médias ont montré de nombreux employés de l’entreprise se réjouissant de venir travailler sur leur congé dominical. Une version médiatique qui a énervé l’ex-employé de Leroy : « quand on regarde les badges, ce sont soit des étudiants ou des personnes de la direction qui sont interrogées. Jamais on ne voit un salarié lambda d’une trentaine d’années ». Des témoignages ciblés qui faussent la réalité du terrain, insiste-t-il. Car dans les faits rajoute le jeune homme, seuls les magasins parisiens ont les moyens d’embaucher des étudiants pour ouvrir les dimanches. Les petites structures n’ont pas d’autres choix que de faire revenir leur personnel détaille-t-il.

Pour ou contre ce travail dominical toujours est-il que la justice a refusé à l’enseigne d’ouvrir le dimanche. « J’ai été choqué, s’exclame-t-il. C’est aberrant, Leroy Merlin qui veut se donner une image de marque va à l’encontre d’une décision de justice. Cela veut dire qu’il se moque des lois. » Un comportement qui dévoile l’état d’esprit du groupe selon le jeune homme, pourtant classé sixième des entreprises où il fait bon vivre en France selon l’institut Great Place to work.

Une ouverture dominicale qu’il justifie notamment par la crise économique. « La crise c’est une excuse pour tout, s’étrangle Sébastien. Ça ne les a pas empêchés de racheter tous les Castorama d’Italie. » Car Adeo maison mère de l’enseigne de bricolage, comptabilise une croissance de 8,2% en 2012 avec 14,9 milliards d’euros. Sébastien refuse donc une fois, deux fois, trois fois… Il s’entend alors dire que personne n’est irremplaçable. Après 10 ans de bons et loyaux services et un salaire qui ne pointe pas au-dessus du SMIC, il jette l’éponge sans regret. En mars, il débute une formation dans la menuiserie : « Un rêve de gamin ».

Charlotte Cosset

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