LA MARCHE. Dimanche soir à Cergy-le-Haut (95), l’association Agir pour réussir (AGPR) a organisé la soirée « Comprendre le passé pour construire l’avenir » dans le but de commémorer et de poursuivre le combat des deux marches de l’égalité organisées en 1963 aux Etats-Unis et en 1983 en France.

Le beat-box des collégiens, une lecture des mots de Martin Luther King par la comédienne Mata Gabin, un spectacle de breakdance ou encore la projection du film « Les Marches de la liberté » de Rokhaya Diallo… Tant de spectacles pour célébrer les deux marches pour l’égalité trop oubliées et un combat contre le racisme à perpétuer. Retour en arrière : en 1963, Martin Luther King clame son « I have a dream » aux Etats-Unis et demandait l’égalité des droits civiques pour tous les Américains. En 1983, Toumi Djaïdja lance avec un groupe de jeunes une marche à travers toute la France pour l’égalité et contre le racisme. Ces initiatives ont marqué l’Histoire mais ne sont pas une évidence dans la mémoire collective.

La soirée « Comprendre le passé pour construire l’avenir » a voulu y remédier.  A l’origine, un projet entre l’association AGPR basée à Cergy et le groupe américain Give 1 Project, mené par Thione Niang. Dix Américains sont venus cette année en France pour découvrir Paris et l’autre côté du périph’. Rokhaya Diallo, éditorialiste et activiste, s’est joint au projet en réalisant un documentaire sur leur voyage et montrer le regard des Américains sur une France qui continue de se chercher.



IMG-20131124-00510IMG-20131124-00510« On est l’héritage direct de La Marche »



Le président bénévole d’AGPR, Moussa Camara, 26 ans, explique le projet : « Avec l’association Give 1 Project, on a fait le constat qu’on était l’héritage direct de la Marche pour l’égalité et contre le racisme et de la Marche pour les droits civiques. Mais aujourd’hui, elles sont très peu apprises à l’école et peu de jeunes autour d’AGPR les connaissent. » L’idée de faire une avant-première du film de Rokhaya Diallo permet de parler des thèmes autour du racisme. « C’est un travail de mémoire pour essayer d’inspirer les jeunes et de redonner espoir. Il y a 30 ans, les difficultés étaient plus fortes et des personnes ont marché, elles se sont battus pour avoir plus de droits et elles ont amélioré leurs conditions. »

Tout au long de la soirée, ils ont diffusé ce message par différents spectacles, expositions et débat. Le présentateur de MTV Raphal Yem joue le rôle d’animateur : « C’était très important pour moi d’être là, je me considère comme un héritier de ces marches », affirme t-il.
Pour Raphal Yem, le fait que le combat continue aujourd’hui montre qu’il n’a pas vraiment avancé. En 1983, les meurtres de Maghrébins étaient devenus une banalité dans les médias, le film de Nabil Ben Yadir, La Marche, en fait référence. Aujourd’hui pour Raphal Yem, la banalité se trouve dans les « bavures » policières dans les quartiers populaires. « C’est pour cela qu’il est important de commémorer les combats des marcheurs avec les jeunes qui n’en ont jamais entendu parler », ajoute t-il.

Les festivités ont commencé par le stand-up de jeunes de Cergy âgés entre 11 et 15 ans. Ils ont écrit eux-mêmes des textes en riant du racisme et des discriminations. « Les enfants décident de se moquer des clichés pour mieux les dénoncer, c’est un moyen de lutter contre les discriminations, et c’est ce que j’essaie de faire dans mon métier » partage Raphal Yem.

IMG-20131124-00507Devoir de commémorer et de combattre



Le show continue avec un spectacle de breakdance, la lecture du célèbre discours de la Lettre de Birmingham par Mata Gabin et du slam par l’artiste Djafar Lakrouz. AGPR projette ensuite un micro-trottoir sur le manque de mémoire face aux marches. Le résultat montre que les interviewés en savent plus sur la Marche de 1963 que sur celle de leur pays. Plusieurs personnes évoquent la présence du racisme ambiant au quotidien. Au travail, dans un café, dans les gares, où le contrôle au faciès est subi environ une fois par mois. Le message principal que veut faire passer Moussa Camara est qu’il ne faut pas attendre d’être défendu car personne n’offrira l’égalité : « C’est aux jeunes de se donner les moyens pour avoir une égalité réelle dans notre pays », ajoute t-il. Devant les centaines de personnes présentes dans la salle, il évoque la parole raciste qui se libère. Il ajoute : «  Il n’y a pas une réelle opposition, même de la part des citoyens. Les Noirs défendent la cause des Noirs mais normalement, ça doit être le problème de tous les Français. Ils doivent tous s’élever. » Moussa Camara n’attend pas que le gouvernement agisse car « quand une ministre de la République s’est faite insulter, les réactions sont arrivées trop tardivement. » Il est persuadé d’une chose, que le changement est possible si les citoyens se mobilisent.

Claude, enseignante d’histoire au lycée Kastler à Cergy s’est déplacée pour la thématique de la soirée, mais pas seulement : « Je suis affolée par la banalisation de la pensée raciste aujourd’hui. Je ne pense pas que la France soit raciste mais il faut lutter au quotidien avec les jeunes pour le respect des droits de l’Homme ». Sur le devoir de mémoire, elle indique que ces marches sont présentes dans les livres scolaires mais elle signale : « On en parle dans nos cours mais de façon beaucoup trop rapide car les programmes sont très denses ».

marches-photo-1« Il ne reste pas grand chose de la marche de 1983 »

Très impliquée dans l’initiative, Rokhaya Diallo observe les conséquences de la Marche pour l’égalité et contre le racisme par son film Les marches de la liberté* : « Aujourd’hui il ne reste pas grand chose de la Marche de 1983. C’est ce que les dix Américains ont appris après leur rencontre avec Toumi Djaïdja, l’homme qui est à son origine. Faire ce film, c’était laisser une trace de ce combat. » Avec son documentaire, la réalisatrice montre la traversée de jeunes américains à la rencontre de Valérie Trierweiler, de Christiane Taubira ou leur passage à Clichy-sous-Bois où ils découvrent la banlieue, les inégalités criantes et le drame de la mort des deux jeunes, Zyed et Bouna. « L’idée c’est un peu le principe des Lettres persanes. Ils sont un peu candides et partent à la découverte d’un pays et l’observent avec un regard complètement neuf. » Si on s’aperçoit que les Français et Américains d’origine étrangère subissent les mêmes discriminations, on voit aussi qu’ils sont épatés par la loi Taubira, celle qui reconnait l’esclavage et les crimes contre l’humanité. Rokhaya Diallo explique, « on s’aperçoit que des choses qui nous paraissent évidentes ne le sont pas pour d’autres. C’est un moyen d’accentuer ce qu’on ne remarque plus ».

Le mot de la fin revient à Thione Niang du Give 1 Project, Sénégalais et symbole du rêve américain. Arrivé avec vingt dollars en poche aux Etats-Unis, il a fini par travailler pour la campagne de Barack Obama et se bat pour éveiller l’esprit civique des jeunes. Il a travaillé sur la mémoire de la marche des droits civiques de Martin Luther King et a son message à transmettre aux Français : « En France aussi vous avez un Martin Luther King, c’est Toumi Djaïdja ! » Un personnage historique oublié par l’histoire.

* Les Marches de la liberté, diffusé le 3 décembre sur France Ô

Assia Labbas

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