Une rentrée au pas de charge. Le ministre de l’Intérieur était en déplacement lundi 6 janvier en Seine-Saint-Denis. A Livry-Gargan, sa venue autour de l’ouverture prochaine d’un nouveau commissariat a vite été balayée par l’écran de fumée politico-pathétique à la mode : Dieudonné.

Il y a des jours de rentrée comme ça. Le ciel qui dégouline de gris, la pluie pas trop loin. Les bus qui n’arrivent jamais, les RER qui déraillent presque, les réveils du matin qui sonnent à l’heure de la sieste. Et Manuel Valls à Livry-Gargan. C’est le jeu des déplacements ministériels qui se rejoue à l’infini. Un commissariat qui commence à tomber en lambeaux de fatigue, avec le temps qui l’a usé, quasi-tué. Alors, un ministre de l’Intérieur qui vient inaugurer les plans d’un prochain commissariat qui se promet neuf, beau et accueillant comme un hôtel formule 1.

Le même ballet de voitures entre officielles et semi-officielles qui arrivent dans un nuage de poussières. Les mêmes vieilles, caricatures des femmes qui blablatent pour perdre leur temps. L’une : « C’est Manuel Valls qui vient ? De toute façon, gauche ou droite, c’est la même chose. Qu’ils aillent se faire enculer chez les Grecs ». Sa copine de banc, outrée. La troisième qui voit s’approcher le ministre, qui arrive à peine : « Qu’est-ce qu’il est petit ». La première qui reprend : « Ça nous fait un peu d’ambiance. D’habitude, il n’y a que les mariages le samedi après-midi, c’est tout. »

Les mêmes journalistes, en continu ou pas, qui s’acharnent pour avoir l’image du ministre qui sort de sa voiture. Qui sert la main à une personne handicapée qui lui dit : « Je suis française de Livry-Gargan ». Le ministre adore, il jubile. Elle dit : « Mais mes parents ne sont pas naturalisés ». Le ministre bâcle : « Laissez votre dossier au maire, il s’en occupera ». Tout le monde le suit à la trace. Une jeune fille, l’oreille pendue au téléphone, raconte la scène tout en suivant le cortège de flics, journalistes et élus : « Je viens de sortir de Pôle Emploi, je suis avec Manuel Valls le ministre. » Ce dernier entre dans le commissariat, ressort, entre à la mairie, serre la main aux secrétaires surprises. Et puis, on lui présente la maquette du futur commissariat de Livry, un peu plus loin, promis pour 2016.

C’est l’histoire d’un projet qui a eu le temps d’éclore, puis de disparaitre dix ans, avant de réapparaitre « en mai 2012, aux premiers jours de votre prise de fonction, Monsieur le ministre », dit le maire. Le ministre, à l’époque, a repris le dossier du gouvernement Jospin, dix ans plus tôt, de financer un nouveau commissariat dans la commune de Livry. Projet presque mort-né. « Cela me fait plaisir de reprendre un projet entrepris, à l’époque, par Lionel Jospin », s’auto-congratule Manuel Valls. Sur une table, il y a une maquette du projet. Un bâtiment inhabité qui va être détruit, puis reconstruit pour un budget de onze millions d’euros.

L’architecte présente le bâtiment comme un château aux mille beautés, qui « sera perçu différemment au fil des saisons ». Au passage, elle évoque même « un arbre et deux tiges plantés pour insérer un peu de nature ». Le ministre parle d’un commissariat « digne de ce nom ». Le maire dit que « l’année commence bien ». Et un journaliste de TF1 prend la parole pour poser la première question. Dans un roman, on appelle ce moment le retournement de situation. « Dieudonné ». La question est lancée, super attendue par Valls qui n’hésite pas à dégainer. Il prend le temps de répondre, récite sa feuille, répète les mots « antisémite », « raciste », insiste sur la « circulaire », parle d’un « sinistre personnage ».

Deuxième question. iTélé. « Dieudonné ». Les employés de la mairie de Livry pensaient qu’il venait les voir pour parler de leur ville. Il répète, rallonge sa réponse. Il dit : « Les gens qui vont voir Dieudonné doivent savoir que ses spectacles sont antisémites et racistes, ainsi que son geste ». Dernière question, pour faire joli, sur les zones de sécurité prioritaires. Manuel Valls a fait sa déclaration qui, bientôt, sera sur tous les écrans, jusqu’à Al-Jazeera ce soir. C’est presque un sans-faute jusqu’à la sortie de la mairie. Un jeune homme crie : « Ouh ouh, Manuel Valls, démission ». Le ministre clame dans sa barbe qu’il n’a pas : « Faut se calmer les jeunes ». Les policiers emmèneront le gars loin des caméras pour « un contrôle de police ». Le ministre est déjà loin.

Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah

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