Meriem Nassiri, journaliste de 30 ans, a décidé de croquer The Big Apple, au quotidien, sous l’angle d’une jeune française découvrant la ville. Tout est parti d’un blog et vient de se traduire par un roman, pas tout à fait autobiographique. Rencontre.

Tout a déjà été écrit sur New York, ou presque. Même sans y avoir mis les pieds chacun a son New York en tête. Que ce soit celui des séries, des films ou des livres, il est souvent bourré de fantasmes. Lila, jeune Parisienne de 24 ans appartient à cette catégorie de New Yorkais de cœur, dans le roman dont elle est l’héroïne New York couleur Lila. Cette fille n’existe pas réellement, elle est née dans l’imagination de Meriem Nassiri.

A 30 ans cette jeune journaliste, spécialiste de la musique et de la culture urbaine, publie son premier roman basé « à 60% » sur sa propre expatriation new yorkaise. Ce roman n’est pas une surprise puisque Meriem est déjà connue sur la toile grâce à son excellent blog The Travelin’ girl. Sur ce blog la jeune femme postait des chroniques drôles, désabusées parfois aussi, sur les mœurs de sa ville d’adoption. Elle dissèque les bizarreries d’un peuple qui vit à crédit, les mille et un codes qui régissent les rendez-vous amoureux « les dates », la télé américaine, la solitude dans cette si grande ville mais aussi les invasions de puces de lit, les « bed bugs » le tabou ultime. Le roman n’est pas vraiment une déclinaison du blog, les thèmes qui ont nourri les chroniques imprègnent l’histoire sans la phagocyter.

A Paris l’héroïne du roman est obsédée par Big Apple et s’imagine un destin à la Carrie Bradshaw, le personnage principal de la série Sex and the city. Elle se porte candidate chaque année à la loterie permettant d’obtenir la green card, le permis de résidence permanent. Une année alors qu’elle partage sa vie entre un job d’assistante peu gratifiant et un petit ami sérieux mais un peu trop pépère, Lila obtient le droit de présenter un dossier d’immigration aux États-Unis. Après s’être arraché les cheveux devant les demandes de l’administration, visa en poche la jeune femme n’hésite pas une seconde à tout plaquer pour vivre son rêve américain.

Pour Meriem, tout ne s’est pas passé exactement de la sorte. Elle n’a jamais rêvé de New York, en tout cas pas plus que n’importe qui. Son histoire avec l’Amérique a d’abord débuté à Montréal au Canada, l’antichambre des États-Unis. Alors qu’elle a fini sa maîtrise de communication et ne sait pas trop quoi faire de sa vie, un ami lui parle du PVT, le Permis vacances travail qui permet aux Français de passer un an au Canada.

« Mon pote m’en parle ça tombe pile au moment des inscriptions, trois semaines plus tard je reçois mon visa alors que je n’ai même pas prévenu mes parents. Je ne connaissais personne là-bas, j’ai travaillé, perfectionné mon anglais et j’ai beaucoup appris sur moi-même en me retrouvant hors de ma zone de confort » raconte Meriem dans un café parisien. Pendant ce séjour montréalais, elle fait des allers-retours à NYC accessible en car en 6 heures.

NYNY« Ça me donne envie d’y passer plus de temps, une énergie folle s’en dégage. Montréal à côté c’est mou, ils ne sont pas très branchés culture urbaine. Du coup j’ai envie de passer mon été à New York après le Canada. » Pendant ces trois mois, la jeune femme est prise d’une envie de partager ce qu’elle vit.

« J’ai commencé les chroniques. New York m’avait pris au ventre j’avais envie de raconter tout ce que je vivais. Le moindre petit truc te semble exceptionnel c’est comme dans les films il se dégage quelque chose de New York, c’est ineffable. J’ai été inspirée je ne savais pas que je pouvais écrire autre chose que des critiques musicales. Là il était question de raconter des histoires et de parler de soi« . Les chroniques en question sont hébergées sur le site only groove pour lequel Meriem écrit des chroniques d’album. Ses récits new yorkais fonctionnent très bien, mais elle est frustrée de ne pas pouvoir échanger avec ses lecteurs, ni de savoir qui la lit.

De retour en France un autre défi l’attend, elle veut s’installer à New York c’est sûr. Après mille tractations une chaîne câblée spécialiste des musiques urbaines dans laquelle elle a déjà fait un stage, accepte de créer un bureau à NYC dont elle va s’occuper. Là-bas explique-t-elle « le hip hop n’est pas aussi stigmatisé qu’en France. Tout est hip hop. Tu rentres dans un magasin tu entends du gros hip hop ça ne choque personne« . Visa en poche elle s’expatrie en 2009.

Il faut alors tout reconstruire. Les amis rencontrés pendant l’été sont partis et  il faut trouver un appartement. De mars à octobre 2009, les chroniques continuent de paraître sur le même site. Mais elle veut prendre la main et un stagiaire un peu geek aide Meriem à créer son propre site, The travelin’ girl.

« J’y poste 2 articles par semaine en me mettant la pression. Le regard de Française à NYC fascine un peu. Tout s’est fait naturellement. Au début il y a 20 lecteurs, je suis super contente. Après il y’ en a 150, 500 par jour. » Parfois Meriem se réjouit de voir des pics d’audience à 1 500 lecteurs quotidiens sur certains billets. Mais comment réaliser la gageure de susciter de l’intérêt avec une ville racontée sous toutes les coutures ?

La jeune femme assure « ne pas avoir essayé d’être originale. New York fait ressortir les talents, c’est une ville où tu te sens libre, qui décomplexe. J’ai écrit comme je parle et j’ai voulu aller au-delà des apparences. La veille je trouvais les thèmes des billets. J’avais envie de parler de la routine qui existe à NYC. Au début c’est très strass et paillettes puis tu prends du recul. J’ai aussi raconté Halloween. Je pensais qu’il fallait se déguiser en momie, en fait ils se déguisent en Petit poney ou en fleurs ». Dans le roman, Lila l’apprend à ses dépens quand elle se fabrique à l’arrache un déguisement de Pocahontas au rabais avant de découvrir qu’elle n’est pas dans les standards en vigueur pour cette fête.

Peu à peu les lecteurs réclament un roman. L’idée fait son chemin. Meriem commence un synopsis. Elle le montre à une autre expatriée française Layla Demay, journaliste et éditrice qui a lancé la collection de livres Les Pintades. Celle-ci lui conseille de développer la personnalité de Lila pour la rendre plus chaleureuse ou de rendre l’histoire plus récente. Le synopsis fini, elle l’envoie à des maisons d’éditions. Beaucoup lui répondent qu’ils ne publient pas de « chick lit » cette littérature destinée aux femmes écrites par des femmes. Meriem assume, elle a voulu écrire un livre « positif ».

Même si elle n’est pas toujours fan de cette littérature « qui parfois me donne le sentiment de me rendre bête« . L’ouvrage sort un peu de l’ordinaire. Contrairement aux autres livres de ce type, ce n’est pas une bluette à l’écriture indigente. L’histoire d’amour ne polarise pas tout le roman et on retrouve l’esprit du blog avec ses désillusions, ses surprises et son American way of life version street, la culture hip hop n’étant jamais bien loin. Le livre ne vend pas du rêve gratuitement, l’héroïne ne vit pas dans un appartement avec vue sur Central Park, ne s’adonne pas à des orgies de shopping, n’a pas le job de ses rêves payé 10 000 dollars par mois et n’a pas des tonnes d’amis. New York couleur Lila offre une parenthèse rafraîchissante et un petit voyage outre-Atlantique à peu de frais.

Les éditeurs sont donc réticents à la publier, tant pis Meriem fera sans. Les rappeurs sortent des disques autoproduits. Elle choisit la même voie et sortira son roman en « indé » en version électronique dans un premier temps. De retour en France après trois ans d’expatriation elle s’inscrit à un master métiers du livre pour comprendre le marché. Elle termine le roman, apprend à utiliser le logiciel de mise en page In Design, a payé une correctrice pour relire le manuscrit, « ce n’est pas un fichier Word fait à l’arrache » dit-elle. Reste la question des bénéfices et du prix de vente. Meriem récupérera entre 50 et 70% du prix du vente du livre vendu 2 euros. « J’aurais pu le donner, il n’y a aucune intention financière. Seulement je ne peux pas le mettre gratuitement en ligne, j’ai donc mis le prix minimum. 2 euros ce n’est pas grand chose. Autant qu’il soit lu. »
Et visiblement ça fonctionne puisque qu’au bout de dix jours Meriem avait vendu 100 livres. D’ailleurs le livre, sorti fin décembre, s’est même retrouvé à un moment dans le top 100 d’iBooks, oscillant en la 21 ème et 30 ème place. Les retours sont positifs, et s’étonne-t-elle des hommes ont aimé le livre, de quoi faire mentir l’étiquette « chick lit« . Meriem aimerait créer une catégorie hybride qui s’appellerait « Travel Lit ».  Pour que les lecteurs dépourvus de tablettes ou de liseuses puissent aussi voyager elle a décidé de tirer une version papier « pour laisser une trace« .

Deux ans après son retour en France pour raisons familiales, elle a envie de continuer de faire vivre New York en France en lançant avec d’autres blogueuses expatriées une collection de romans dans cette veine de chick lit / travel lit. Le nom est déjà trouvé. Ce sera « French in the city ».

Faïza Zerouala

Pour lire « New York couleur lila » de Meriem Nassiri : iBooks ; Kindle  ; Google Play ; Kobo

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