MUNICIPALES 2014. Le 25 novembre dernier, Dominique Voynet annonçait qu’elle ne briguerait pas de deuxième mandat à la mairie de Montreuil. Jusqu’ici silencieuse sur le sujet, elle revient aujourd’hui sur cette décision. Interview.

A la fin de ce mandat, dans quel état avez-vous l’impression de laisser Montreuil ? Quelle est la chose dont vous êtes le plus fière ?

Montreuil est une des villes les plus emblématiques de ce qu’on a appelé pendant très longtemps la Banlieue rouge et a été gérée pendant des décennies par des équipes issues du même parti politique (Parti Communiste) dans lequel la tradition était le tuilage entre les élus. Les Montreuillois n’ont donc connu qu’une seule façon de faire où le maire sortant choisissait son successeur. Le changement que j’ai pu engager avec mon équipe, c’est un changement de culture politique et démocratique. En quelques années, cette ville a découvert un certain nombre de pratiques démocratiques en règle dans la plupart des grandes villes. Comme par exemple la vitalité retrouvée des conseils de quartier et la multiplication des initiatives civiques soutenues et accompagnées par la mairie pour transformer une belle idée en projet. C’est, je crois, ce dont je suis le plus fière. On a pu soutenir et aider des formes d’organisation de citoyens qui permettaient à des gens qui sont éloignés de la citoyenneté traditionnelle de s’exprimer d’avantage.

C’est la raison pour laquelle vous avez décidé de monter une liste citoyenne plutôt qu’encartée ?

Ma conviction est que les gens qui paient une cotisation dans un parti, qui sont d’accord avec l’ensemble de son corpus idéologique ne représentent que quelques centaines de personnes. A Montreuil, ils ne représentent qu’un petit millier de personne sur 105 000 habitants. La préoccupation que j’avais était donc de savoir comment enrayer la désaffection des gens à l’égard de la cause publique. Je vous parle des moyens que j’ai mis en œuvre pour réduire le fossé entre les citoyens et la politique.

Tenter « d’enrayer le désintérêt de la chose publique » des citoyens alors qu’on ne se représente pas aux élections municipales, n’est-ce pas paradoxal ?

On est volontiers choqué par les gens qui cumulent les mandats, ceux qui les conservent jusqu’à un âge canonique et par le fait que la vie politique ne reste réservée qu’à une toute petite catégorie de citoyens. Ceux qui, comme je l’ai fait, mettent un terme à leur cumul de mandat, ou décident qu’ils peuvent soutenir la constitution d’alternative politique dans leur ville sans exiger d’être en tête de liste restent mal compris. Moi, je ne le vois pas comme un abandon, je reste impliquée dans la politique locale. Contrairement à certaines rumeurs colportées par l’ancien maire, j’habite à Montreuil et mes enfants ont grandi à Montreuil. Donc je ne suis pas tentée par un abandon du terrain, même si mon rôle va évoluer et sera plus modeste. Je n’ai pas dit que j’abandonnais la vie politique, j’ai dit que je ne serai pas candidate à un deuxième mandat de maire ! Les raisons pour lesquelles j’ai pris cette décision ont été comprises par la population.

Dans ce retrait, on sent qu’il y a une grande place pour un certain manque de soutien, un manque d’amour de la part de la population…

On ne demande pas de l’amour quand on est élu, on demande du respect, de la dignité. La personne croisée dans la rue et qui vous aboie un mécontentement vous fait du mal mais je rencontre beaucoup de gens maintenant, qui me disent, « on aurait du vous soutenir davantage ». Vous avez aussi des horreurs qui sont colportées par des personnes qui savent pertinemment qu’elles sont fausses. Ce sont des façons d’être. Je n’ai pas demandé aux gens de m’aimer mais d’accompagner ma démarche de changement qu’ils ont demandé. Ils l’ont voulu, ils n’en pouvaient plus de ce qui se passait dans cette ville. Et évidemment, quand on agit, on n’a pas raison tout le temps toute seule, on prend le risque de se tromper, de faire les choses trop vite ou pas assez. Ma décision est à la fois personnelle et politique. Dans sa dimension politique, elle vise à interpeller les habitants sur la division incompréhensible de la gauche. Dans cette ville, depuis plus de vingt ans, la gauche est divisée et à chaque fois que quelqu’un parle de rassemblement il crée une nouvelle micro-boutique. On ne peut pas dire à chacun ce qu’il veut entendre.

Le candidat Europe Ecologie-Les Verts a également été choisi pour les municipales, ce sera Ibrahim Dufriche, mais il n’est pas soutenu par tout le groupe à Montreuil. Pourquoi ?

C’est vrai, mais on a fait un vote et il a obtenu la majorité. Certaines personnes ont un peu de mal à accepter ce résultat mais notre tradition est de dire ce qu’on a à dire et de se rassembler pour la campagne. Ce qu’il s’est passé dans notre groupe est le résultat de sa croissance trop rapide. J’avais été choisie en 2008 par trente militants, il y en avait 300 pour cette élection, il n’y a plus le confort de l’entre-soi, du petit groupe autogéré.

Choisir de ne pas se représenter, n’est-ce pas lâcher les projets entamés ?

Je me prive du plaisir d’inaugurer. Mais je ne me prive pas de la responsabilité de consolider les projets que j’ai lancés pour les rendre irréversibles. Mon prédécesseur (NDRL : Jean-Pierre Brard) dit : « si je suis élu, on sortira de l’Agglomération Est Ensemble », ce n’est pas possible, il devrait juste relire la loi. On a aussi augmenté de 50% le nombre de places en crèche dans la commune en un seul mandat, c’est irréversible car elles sont déjà financées. On ne reviendra pas non plus sur le nouveau tracé du tramway ou l’arrivée du métro à l’hôpital.

Ce qu’on voulait dire c’est qu’en arrivant au pouvoir en 2008, vous aviez des projets très ambitieux et vous ne pourrez pas tous les réaliser ou les terminer. N’êtes vous pas frustrée ?

J’aurai adoré pouvoir faire d’avantage mais beaucoup a déjà été fait en un seul mandat et mon successeur devra poursuivre les chantiers. J’avais pris un engagement avec les Montreuillois pour un mandat et je ferai très bien mon boulot jusqu’au dernier jour. L’équipe suivante aura le plaisir d’inaugurer des projets, j’aurai le plaisir de les avoir lancés.

Vous n’avez pas l’impression de laisser un boulevard à Jean-Pierre Brard pour 2014 ?

Ma décision l’a privé de son unique argument de campagne qui était de me taper dessus et de raconter des ragots sordides à mon endroit. Ça va l’obliger à se battre pour un projet et cela a réveillé la conscience civile de nombreuses personnes. A Montreuil, on avait la situation unique d’une ville gérée par un seul parti et peut-être le moins ancré dans l’histoire de France, le parti écolo. Les habitants se rendent compte que l’ancien maire a joué à diviser la gauche pour gouverner et que s’ils veulent lui barrer la route il va falloir se rassembler. Mon retrait peut être bénéfique pour que les forces de gauche se rassemblent pour éviter le retour à la Roumanie des années 1970.

Lorsqu’on lit vos interviews habituelles, on a l’impression que vous êtes blasée du monde politique. Pourquoi faire passer ce message si vous avez toujours la flamme ?

Je ne suis pas blasée par tout. Je me suis exprimée de façon libre avec l’idée que cela pourrait aider d’autres personnes à exprimer ce que je ne veux plus en politique, ce qui est inacceptable. Je ne me retrouve pas non plus dans toutes les horreurs qui sont dites sur moi et sortant de ma bouche dans les journaux.

Au niveau de vos relations avec Claude Bartolone, on lit beaucoup de choses, de démentis, qu’en est-il vraiment ?

Il y avait une phrase dans Le Monde, à propos de moi : « C’est une menteuse », s’il ne l’a pas dit il ne l’a pas démenti mais, en même temps, s’il avait fait un correctif cela n’aurait pas intéressé la presse. Quand j’ai dit « je n’ai pas baisé la bague du parrain », je pensais plus à des mécaniques qu’à quelqu’un en particulier. Le système de parrainage existe dans tous les partis, mon idée était quel est le prix à payer pour qui n’a pas de parrain.

Est- ce que Montreuil était un laboratoire de pouvoir pour les Verts ?

Je n’ai jamais utilisé ce terme. Malgré tout, dans cette ville, on a pu beaucoup innover, dans tous les domaines. Exemple de La voie est libre, qui en cinq ans est devenu le plus grand éco-festival d’Ile-de France avec 30 000 participants l’année dernière.

Pensez-vous avoir réussi à prouver que l’écologie avait sa place en banlieue ?

Je suis sûre que l’écologie a sa place en banlieue. Le lien entre la question sociale et l’écologie est claire pour plein de gens. Par exemple, après avoir rénové la cité de l’Espoir, les habitants ont constaté qu’ils sortaient gagnants puisqu’ils payaient moins de charges.

Sur Razzy Hammadi, le Bondy Blog était présent le 27 novembre dernier, lors de l’inauguration du Salon du Livre, et on avait l’impression qu’il se présentait comme le nouveau patron, comme le successeur adoubé par l’ancienne maire que vous êtes. Vous posiez ensemble, il serrait toutes les mains. Comment avez-vous ressenti cet événement ?

On est dans une ville très violente. Aux vœux des personnes âgées, les candidats aux municipales viennent tenter de les séduire et ne se parlent pas, ne se saluent pas, c’est une ambiance infecte. J’ai pour ma part toujours tenu à une forme de civilité. J’ai bien vu qu’il jouait de la situation, c’est ce qu’il voulait montrer mais je n’ai pas senti ça.

Ce même jour, nous lui demandions sa réaction sur votre retrait, il répondait : « C’est l’instant de Dominique, vous savez la fin d’une carrière politique doit être difficile à gérer ». Quelle est votre réaction ?

Je n’ai rien à lui répondre. Je voudrais que mon retrait serve à ce que la campagne se joue sur des projets, sur des programmes pour la ville. Cette réaction ne m’ébranle pas, ce n’est que de l’écume. J’attends que mon successeur fasse aussi bien que moi pour la ville et ses habitants.

Est-ce que vous pensez que Razzy Hammadi a l’étoffe d’un maire de Montreuil ?

Je n’ai qu’une chose à dire sur Razzy Hammadi. Il s’est présenté aux élections législatives en promettant de ne pas cumuler les mandats. Je pense qu’il n’aurait pas été élu sans mon soutien car c’est l’absence d’un candidat Vert qui lui a permis de se faire élire à Montreuil et Bagnolet.  Le fait qu’il soit candidat aujourd’hui, constitue un trouble important pour la vie politique locale. C’est à lui de régler ce problème. Je n’ai pas envie de mettre des pièces dans la machine à baffes. Je quitte avec dignité la mairie en espérant que les candidats vont hisser le niveau de jeu, s’en tenir aux projets sans jouer sur les questions de personnalités.

Vous pensez donc qu’Ibrahim Dufriche est l’homme de la situation puisque vous le soutenez désormais ?

Il a énormément de qualités. Il nous a soutenus pour la campagne de 2008, a soutenu aussi notre candidate aux cantonales donc on le connaît depuis un moment. C’est un homme patient, qui sait écouter et se mettre à la place de ses interlocuteurs. Je peux paraitre trop pressée et il complète mon profil par ses qualités. On va tous être solidaires pendant cette campagne, même ceux qui ont perdu lors de cette primaire. Je serai en soutien mais il doit se forger sa place dans cette campagne. Tout le monde ne respecte pas cette campagne, on a une gabegie d’affiches depuis un an qui me laissent à penser qu’il y avait des trésors de guerre confortables chez certaines équipes.

Ne pensez-vous pas que vos attaques sur Twitter vis-à-vis de Manon Laporte ne sont qu’anecdotiques ? De plus, être offensive vis-à-vis de l’UMP à Montreuil, n’est-ce pas se tromper d’adversaire ?

Une campagne électorale dure trois mois, il faut construire des alliances, des stratégies mais ce qui m’a choquée chez la candidate UMP est qu’elle accroche une banderole en polluant l’environnement d’une œuvre d’art. Si les équipes de M. Brard ou de M. Bessac le faisaient, je réagirais pareil. Après, bien sûr, c’est anecdotique, mais sur Twitter on est dans l’anecdotique, je ne prétends pas faire campagne sur Twitter ! Quand j’ai à critiquer un problème politique, je ne le fais pas sur les réseaux sociaux. Je ne pense pas que Madame Laporte puisse devenir maire. Cette ville doit être gérée par une coalition de gauche et selon l’ordre d’arrivée au premier tour en mars prochain, j’espère  que les trois listes sauront se rassembler (celles du Front de Gauche de Patrice Bessac, du PS de Razzy Hammadi et des Verts d’Ibrahim Dufriche). M. Brard propose une sorte de « restauration », un retour en arrière. J’espère qu’Ibrahim Dufriche arrivera en tête mais j’appellerai mes amis à se rassembler derrière le candidat arrivé en tête.

Pensez-vous que la situation actuelle soit propice à la formation d’une union des partis de gauche ?

Pendant des années, mon prédécesseur a divisé : il est allé chercher au PS, chez les écolos… Il est même venu me voir lorsque j’étais dans le Jura pour me dire « il faut que tu viennes à Montreuil ! » J’ai tout de suite compris ce qu’il voulait : diviser. Comme les écolos locaux ne voulaient pas venir avec lui, alors il est allé chercher ailleurs. Il a fait le coup à Clémentine Autain… On est sorti de ça et j’espère que mon retrait aura réveillé la conscience civique des gens de gauche qui se diront « si on veut éviter le retour en arrière, il faut prendre nos responsabilités en s’unissant ».

Vous critiquez la division causée par Brard mais avec votre liste citoyenne, rassemblant des gens de tous partis, est-ce que vous n’avez pas également favorisé la division à gauche ?

Je ne suis pour rien dans le fait que les personnes élues sur sa liste en 2008 n’ont pas choisi de participer à un groupe commun mais de se diviser en quatre groupes différents. Ils sont élus sur sa liste mais composent quatre groupes différents ! Il faut être sacrément dénué de scrupules quand on est à la tête de cette pétaudière alors que je suis toujours à la tête d’une majorité, au sein d’un seul groupe.

Sur la symbolique de votre retrait. Est-ce que cela ne détruit pas l’idéal politique que vous avez prôné pendant toutes ces années, cette idée de la politique comme un engagement sur des idées ?

Est-ce qu’être un militant politique c’est être élu ? Un parti est là pour convaincre, former des élus, prendre des responsabilités mais j’ai l’impression après trente ans de responsabilités, que le moment pour moi est venu de faire autre chose. Mais je ne m’interdis pas de revenir dans une assemblée, si le goût m’en revient, si j’ai l’impression que je peux être utile, que je suis la bonne personne.

Quel est votre avenir politique ? Une candidature aux européennes ou aux régionales est-elle envisageable ?

Pas aux européennes car on a déjà choisi nos candidats. Je ne parle pas de moi pour les régionales. J’ai du mal à faire plusieurs choses à la fois et je suis pleinement dans les affaires de la mairie jusqu’au dernier moment.

Pensez-vous que le retrait peut être une bonne option politique ?

Quand je me suis retirée du Sénat pour satisfaire le non-cumul des mandats, les gens ne se sont pas posé la question. J’ai l’impression de faciliter la vie des partis de gauche à Montreuil. Maintenant, la balle est dans le camp des habitants.

Pour finir, est-ce que vous conseilleriez à un jeune de se lancer dans la politique ?

Je ne conseillerais pas à un jeune d’être candidat sans avoir du métier. Par contre, je trouve suspect qu’un jeune n’aie pas d’engagement. Cela peut être une passion artistique, sportive mais je trouve cela suspect. Je suis fière de voir des jeunes engagés dans la politique mais je leur dit de finir leurs études, de se faire un chemin professionnel avant d’être élu.

Propos recueillis par Jonathan Sollier et Tom Lanneau

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