Sur la frontière belge, dans le Nord (59) Wattrelos se réveille doucement après la fermeture de ses industries textiles. Dans la commune on se souvient du plein emploi et on espère le retour des beaux jours. Reportage.

Il pleut à torrent à Wattrelos. L’église surplombe la ville, tandis que sur le trottoir d’en face une rangée de quatre banques lui font de l’œil. Les habitants se précipitent hors du bus pour rejoindre leurs destinations laissant la place centrale déserte. Ancien fleuron de l’industrie textile, Wattrelos est une commune de la périphérie lilloise, frontalière avec la Belgique. Le taux de chômage culmine à 17,42%, tandis que la moyenne nationale est de 10,49%. La commune de 41 500 habitants fait partie de ces territoires qui peinent à se remettre d’un passé prospère.

Les friches, les panneaux « à vendre », « bail à céder » sont les vestiges d’une bourgade qui a la gueule de bois depuis quelques décennies. La plupart des troquets sont fermés. Le trajet désordonné d’une poignée de passants nous mène à la rue Emile Basly, à deux pas du parc du lion. La bibliothèque fait office de sanctuaire, par sa simple présence et le fait qu’elle reste ouverte au public.

DSC_0260DSC_0260Antoine, 31 ans, marié et deux enfants, discute avec Rabah, 41 ans, vivant à Wattrelos depuis sa naissance. Les deux hommes abordent avec nostalgie la période où le département attirait les entreprises telles que La Redoute, La Lainière ou encore Transpole, une entreprise de transport en commun dans l’agglomération lilloise. Ils évoquent la cohésion sociale, qui faisait cohabiter les vagues d’immigrations successives : portugaises, polonaises, maghrébines… Cependant, Rabah situe le déclin « aux alentours des années 80 », lorsque « les entreprises du textiles ont fermé à cause de la crise et de la concurrence ». Avec la fermeture des filatures, les Wattrelosiens se sont repliés sur eux-mêmes, regrette Rabah.

Antoine estime quant à lui, que le chômage s’explique en partie par le fait que la commune a augmenté l’offre de logement dans les années 75, tandis que dans le même temps, « le bassin d’emploi se réduisait à peau de chagrin. C’est comme ça qu’on créé du chômage » assène-t-il.

Bien que Rabah parle d’une ville « où il fait bon vivre », il regrette l’ancien Wattrelos, et craint pour l’avenir de ses enfants : « Il y a peu de formation et d’emplois pour les cadres dans cette ville » estime-t-il. En effet, d’après les statistiques, la population wattrelosienne ne compte que 4% de cadres dans la population active, contre 76% d’employés et d’ouvriers. Rabah s’emporte d’ailleurs, considérant que la plupart des habitations de la ville ont été construites « comme une cité dortoir pour des sous-gens ».

DSC_0265Le bus 17 relie le centre-ville au quartier de la Mousserie. Le chemin est parsemé d’usines désaffectées et de friches qui s’étalent à perte de vue. Sur le terrain vague de la rue des patriotes git le cadavre de l’ancienne plus grande usine textile d’Europe, la Lainière, en démolition depuis plus d’une décennie. Aucune affiche plaquée sur les murs ou sur les poteaux de la ville, aucun tract ne vient s’incruster dans le paysage à l’occasion des élections municipales dont le premier tour aura lieu dans 3 semaines.

Bien que l’échéance électorale soit peu visible dans le paysage, certains habitants comme Rabah voient d’un mauvais œil l’entrée en campagne du Front National dans leur ville, « un parti profondément antirépublicain ». A la tête de la liste frontiste, Roger Ackermann, 39 ans, cadre dans la fonction publique d’Etat. Les habitants voient ce dernier comme un « parachuté », n’habitant à Wattrelos que depuis 3 mois, le temps d’une campagne.

En effet, la ville semble déjà promise au député-maire sortant, Dominique Baert, réélu dès le 1er tour en 2008, avec 69% des suffrages, à la tête d’une alliance entre le PS et la Divers Gauche. De plus, depuis le début de la Vème république, la ville a toujours placé à sa tête un maire de gauche. Selon le quotidien régional La Voix du Nord, le bilan de Dominique Baert est plutôt positif. Les seuls points noirs de la commune, pointés par certains habitants sont une pression fiscale trop forte et une politique de la jeunesse à améliorer, notamment dans certaines zones défavorisées.

« On était bien ici »

La Mousserie est un quartier populaire. Ses bâtiments sont ternes. Quelques jeunes bravent la pluie pour se retrouver. Seul le centre social, situé rue Chopin, fait battre le cœur du quartier. Ce bâtiment représente un lieu de rencontre intergénérationnel. En une heure passée dans le centre social, les Wattrelosiens rencontrent plus de monde qu’en déambulant toute une après-midi dans la ville. « Heureusement qu’on a le centre social ! » lance Catherine, 55 ans, mère de 8 enfants, quatorze fois grand-mère, résidant à Wattrelos depuis 1987. A l’époque, elle se rappelle d’une ville calme et sans problème. « On était bien ici » dit-elle en souriant.

Tout comme Rabah, elle évoque avec crainte l’avenir de ses enfants : « les jeunes sont obligés de partir pour avoir du travail. Ils n’ont plus beaucoup de chose à attendre de l’avenir à Wattrelos » lâche-t-elle avec désespoir. Quand elle évoque l’époque du plein emploi, elle est tiraillée entre plusieurs sentiments. Tout d’abord, la mélancolie au moment d’évoquer le destin tragique de son père. « Il a travaillé à la Lainière de 10 à 59 ans, et il est mort un an avant la retraite ». Puis la nostalgie, observant le fait qu’aujourd’hui, il « n’y a plus d’usines, plus rien pour nos enfants ».

Catherine ajoute que les usines ne sont pas les seules à avoir déserté. Elle constate notamment un manque de commerces de proximité, tout comme Antoine. Ce dernier dira d’ailleurs : « Le point noir de Wattrelos, c’est qu’il n’y a plus de commerce de proximité. Les seuls qui sont encore présents, par manque de concurrence, pourraient faire exploser les prix. Et les gens seraient quand même obligés d’acheter ». Même impression pour Catherine qui déplore la fermeture des six magasins du quartier de la Mousserie.

DSC_0271Marie-France fréquente la même maison de quartier que Catherine. Habitante de Wattrelos depuis 1983, elle a déménagé pour se rapprocher de son travail à Roubaix, élevant seule ses 4 enfants. Ces derniers ne trouvent que des emplois précaires, à mi-temps ou des missions d’intérim « ils pensaient que c’était mieux de travailler, mais non car il n’y a pas d’emploi ici » renchérit-elle. Selon Marie-France, l’avenir des jeunes Wattrelosiens ne se trouve pas dans leur commune. Elle déplore le manque d’offre culturelle. « Même dans le centre-ville de Wattrelos il n’y a rien. De toute façon ici, on n’a pas de cinéma… Il n’y a que des banques ! ». Catherine ajoute sur un ton sarcastique : « y a des banques, mais y a pas de sous à mettre ! ».

« Je suis sûr que Wattrelos s’en sortira »

« On a rien à faire à Wattrelos » lâche Medy, 20 ans, qui suit une forme d’animateur social. Il connait bien la ville et pour cause : il y vit depuis sa naissance. Pour les sorties, lui et ses amis disent être obligés « de partir en Belgique ou à Roubaix. Ici, on n’a même pas de cinéma ! Il n’y a vraiment rien pour nous ». A-t-il envie de quitter Wattrelos ? Pour l’instant, pragmatique, Medy, le survêtement de Chelsea sur les épaules, n’y pense pas : « tant qu’il y a du travail, j’suis là, sinon, j’pars ». Selon lui, si le quartier de la Mousserie n’implose pas, c’est grâce au rôle des animateurs dans la ville : « Ils permettent de canaliser les jeunes et d’en sauver certains ». Autre son de cloche pour Nassira, 22 ans, bénéficiaire d’un contrat d’avenir. Elle lance avec conviction « Dès que je peux, j’me tire loin d’ici ! ».

IMG-20140301-WA0000Face à ce constat désabusé le pessimisme est-il de rigueur ? Si la parole des jeunes semble irréversible, certains Wattrelosiens envisagent un avenir radieux pour leur commune. Bien qu’il habite à Tourcoing, Antoine a décidé de scolariser ses enfants dans l’ancien fleuron de l’industrie textile en raison de « la qualité des services publics ».

Selon lui, d’ici une dizaine d’année, il y aura un bouleversement au niveau de l’emploi et de l’immobilier. « Wattrelos sera une ville attractive car sur les friches vont se développer des emplois dans le secteur tertiaire, qui vont attirer des cadres, une nouvelle population ». Il mise notamment la « zone de l’Union », 80 hectares de renouvellement urbain situés à la jonction de Roubaix, Tourcoing et Wattrelos, afin d’en faire un quartier attractif. Rabah renchérit : « je suis optimiste, je suis sûr que Wattrelos s’en sortira ».

Si les jeunes wattrelosiens n’attendent pas grande choses des municipales, ils espèrent néanmoins assister à une redynamisation de la commune. A trois semaines du premier tour des élections, les seules affiches placardées sur les murs et les poteaux de la ville désignent l’événement-phare de ce début d’année : l’ouverture d’une boucherie. Aucune mobilisation politique majeure en vue, seule la pluie arpente les trottoirs de la bourgade.

Balla Fofana et Tom Lanneau

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