Candidate à la mairie de Paris et secrétaire nationale du Parti de gauche, l’élue du 20° arrondissement, qui veut investir 20 milliards d’euros dans la capitale si elle est élue, dénonce le virage libéral de l’actuelle majorité et prône une approche plus participative.

Bondy Blog : Vous dites que Paris est devenue « une ville inégalitaire et excluante ». Bertrand Delanoë a-t-il mené une fausse politique sociale ?

Danielle Simonnet : Il y a tout de même une vraie rupture à Paris en 2001. Il y avait un rattrapage énorme à faire, et cet objectif n’a pas été atteint. Surtout, malgré les 70 000 logements sociaux créés, on n’a pas enrayé pas l’exode social des classes populaires et moyennes. Ensuite, on a produit des logements sociaux mais, en même temps, réduit le nombre de logements accessibles aux classes populaires et moyennes dans la capitale. Voilà comment on a continué, voire aggravé, le processus de gentrification de la capitale.

La majorité socialiste s’est-elle alignée, à Paris, sur les exigences du libéralisme ?

Oui, de plus en plus, surtout dans la mandature de 2008. Tant qu’on avait la droite au pouvoir, les différents groupes de gauches formulaient des vœux pour demander le remboursement de la dette et exigeaient l’augmentation des dotations de l’Etat. Puis, à l’élection de Monsieur Hollande, le PS parisien a décidé d’effacer l’ardoise de la dette et de verser ces dotations. Il y a pour moi un vrai virage à partir des élections présidentielles.

Mais, avant 2008, une gestion libérale a été intériorisée. Le maire de Paris se vante d’avoir faiblement recours à l’emprunt, d’être bien noté par les agences de notation. On le voit alors se muer dans une « bonne gestion », qui est en fait une gestion libérale des politiques publiques. D’un côté, il est vrai, on crée la régie publique de l’eau, une mesure de rupture contre les intérêts privés. Mais de l’autre, on augmente le nombre d’arrondissements sous gestion privée pour la collecte des déchets. Le développement de Vélib et d’Autolib se fait par le biais de partenaires privés. On augmente la capacité de J. C. Decaux de bien maîtriser des espaces publicitaires plus importants. On permet à Bolloré de s’enrichir. Les parkings sont presque tous privés, via Vinci. Les grandes enseignes prennent le pas sur les petits commerces. On a donc une emprise plus forte des intérêts privés sur la capitale. Cette évolution rappelle la gestion capitaliste des grandes capitales européennes.

Quel pouvoir de décision reste-t-il au maire face à ces intérêts privés ?

On peut, et on doit protester. La parole de la capitale de la République Française est une parole qui porte. S’il y avait une dénonciation, une résistance de la capitale à l’austérité, cela aurait un écho. Cela encouragerait les autres collectivités à s’engager dans une mobilisation contre la baisse des dotations de l’Etat.

Il y a aussi d’autres leviers, de radicalité concrète. Reprendre en régie publique certaines activités serait moins coûteux au final. Car une régie privée a besoin de dégager des bénéfices pour ses actionnaires, de redistribuer des dividendes. Il faut absolument batailler contre cette idéologie néo-libérale qui veut nous faire croire que le recours à des entreprises privées serait plus économique qu’une régie publique. Ce qui coûte cher, ça n’est pas le travail, c’est le capital. Une entreprise privée qui a besoin de rémunérer le capital coûte plus cher.

Ce qui coûte cher aux Parisiennes et aux Parisiens, c’est aussi de devoir recourir à des solutions individuelles pour leurs besoins. Si vous n’avez pas de place en crèche et que vous devez avoir recours à une assistante maternelle, ça vous coûtera mille euros par mois. A l’inverse, les structures prises en charge par la collectivité en réponse à ces besoins de garde, comme les crèches, coûtent moins cher à chacun et, en plus, vont dans le sens de l’éveil des petits.

Il faut aussi assumer le recours à l’emprunt. Paris est une des villes qui ont le moins recours à l’emprunt. Nous avons une politique d’autofinancement à 80%. Résultat, on ne prépare pas l’avenir. Or, il peut y avoir de bonnes dettes : celles qui permettent de créer les équipements qui serviront aux générations à venir. Une collectivité doit investir.

En tant que maire, aurez-vous le pouvoir de mener à bien les engagements de votre programme ?

Non, et je l’assume. Certaines mesures relèvent d’une rupture nationale, et ne dépendent pas directement de la compétence du maire, comme la révolution fiscale. On ne peut pas faire l’écosocialisme dans une seule ville, mais le maire a un rôle d’interpellation. Il doit contribuer à redonner confiance au peuple de Paris et l’encourager à des implications citoyennes et des mobilisations. Si, dans la population parisienne, vous faites naître une aspiration à une révolution fiscale pour les impôts locaux, les socialistes sont obligés d’y répondre à l’élection suivante.

Mais certaines mesures dépendent du maire. Il existe une loi qui autorise à augmenter de 0,70% l’imposition des droits de mutation. Bertrand Delanoë n’a pas voulu l’appliquer. Or, la bataille contre la spéculation immobilière exige que l’on se saisisse de toutes les possibilités disponibles pour taxer les transactions immobilières. On peut aussi mener une politique ambitieuse de préemption du foncier pour tendre vers une municipalisation du sol. On peut décider de créer une régie publique des énergies renouvelables. Ou encore, impliquer la population pour aménager un troisième poumon vert, en plein quartier populaire, entre Saint-Denis et le 18e. Ou bien, porter l’ambition d’une ville sans pub : redéfinir un règlement local de la publicité pour réduire la publicité dans l’espace public…

Le budget de la ville sera-t-il suffisant ?

Nous avons le budget le plus sérieux. Car nous exigeons le remboursement de la dette de l’Etat (2 milliards), la fin des baisses de dotation (1 milliard pour l’année prochaine). Nous réorientons certaines dépenses. Quand la ville dépense 150 millions pour des caméras de vidéo-surveillance, cela nous semble une absurdité. Certains projets coûteux, comme la Canopée des Halles, ne sont pas prioritaires…

Vous voulez favoriser l’implication des citoyens dans la vie politique. Mais les Parisiens sont-ils engagés en politique ? A quel point se sentent-ils concernés ? Notre culture politique favorise-t-elle la participation citoyenne ?

Il y a deux mouvements contraires. La culture dominante, libérale, productiviste, voudrait faire de nous des simples consommateurs, nous réduire à l’individualisme et à la guerre de tous contre tous. Et puis, on se rend compte que beaucoup d’hommes et de femmes aspirent à autre chose. Des personnes qui s’engagent dans du bénévolat associatif. Qui souhaitent consommer autrement. Qui veulent donner du sens à leur travail et aimeraient voir comment se développe l’économie sociale et solidaire. Certains rejettent la politique sous différentes formes car ils estiment qu’on décide à leur place et aimeraient prendre part aux décisions publiques.

Quand on est dirigeant politique, on doit se dire « quel mouvement des consciences je souhaite impulser ? L’élu n’a pas à prendre les décisions à la place du peuple. Son rôle est de permettre au peuple de les prendre. Il faut contribuer à recréer du collectif et assumer les cadres de contre-pouvoir. Cela passe notamment par l’indépendance et la liberté des associations, un des piliers de la démocratie. Il faut aussi créer des espaces collectifs, cogérés par les habitants. Garantir la pérennité des centres sociaux.

Quelle sera l’implication du citoyen dans la mise en place du Grand Paris ?

Zéro. Tout sera fait sans le peuple, voire contre lui.

Vous prenez parti pour l’économie sociale et solidaire. De combien diminuez-vous le chômage sur six ans, grâce à cette économie ?

Ça n’est pas facile à calculer. Mais il faut comprendre pourquoi les entreprises licencient. C’est en bonne partie la captation des profits par le capital qui incite certaines grandes entreprises à licencier. La vraie bataille pour l’emploi est plutôt du ressort d’une politique nationale (interdire les licenciements boursiers, augmenter les salaires pour créer une relance de la consommation, donner aux salariés un droit de veto pour empêcher la fermeture des entreprises…).

Au niveau municipal, pour aider la diversité de l’emploi, il faut accompagner l’économie sociale et solidaire. Il est bien plus intéressant, pour un salarié, d’être responsabilisé dans le cadre d’un collectif de travail : il a un droit de regard sur ce que l’on fait et sur la manière dont on réinvestit les bénéfices. Trop souvent, les plus-values qui ne sont pas réinvesties aujourd’hui, mais accaparées par les dirigeants. Avec l’emploi coopératif, on est à égalité. On participe en démocratie et en transparence au fonctionnement de son collectif de travail. C’est beaucoup plus épanouissant et émancipant. On se fait beaucoup moins arnaquer dans ce cadre-là ! Et c’est beaucoup plus émancipant de pouvoir donner du sens à son travail. Arrêtons de vouloir produire n’importe quoi, n’importe comment. Il faut penser sur le long terme. La ville doit et peut réorienter ses financements vers l’emploi coopératif, utile socialement et écologiquement.

Il faut aussi aider les petits commerces et les artisans. Leur grand problème, c’est l’augmentation des baux commerciaux. On peut préempter ces baux pour garantir des loyers raisonnables pour permettre de préserver un tissu économique varié sur la capitale. La ville s’est dotée d’une société d’économie mixte pour ce faire. Mais cette société revend souvent ses baux commerciaux pour racheter ailleurs, laissant les commerçants pris à la gorge par la logique spéculative.

Liberté, égalité, fraternité. Le gouvernement actuel respecte-t-il les engagements de la République ?

Quand on expulse la petite Léonarda et qu’on lui dit « tu choisis entre étudier en France et vivre avec tes parents », on ne respecte pas. Non, on ne respecte pas. Quand on n’est toujours pas en capacité d’instaurer le droit de vote des étrangers aux élections locales, on ne respecte pas. Quand on accepte que la police, qui doit être une police républicaine, continue à faire du harcèlement dans le cadre des contrôles au faciès, on ne respecte pas. Pourtant, ça n’est pas si compliqué, et ça ne coûte rien, de mettre en place un récépissé daté, signé, motivé pour lutter contre ces contrôles. Si, ça coûte de la formation des agents, mais c’est tellement bénéfique, pour les policiers comme pour les habitants d’un quartier…

Propos recueillis par Louis Gohin

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