Le calme est relatif. Un hélicoptère survole sans discontinu la place de la Grande Poste à Alger même si cela fait des heures que rien ne se passe. On ne sait jamais. Alger la Blanche attend les résultats définitifs des élections présidentielles sans se faire d’illusion. Pas de surprise ? Pas de changement possible ? Pas d’espoir ?


Mercredi 16 avril, 15h55 : veille des élections

Un sit-in du mouvement Barakat ! (Ça suffit!) est prévu à l’université d’Alger à 16 heures. Cela n’arrivera finalement pas. La police stationnée à côté du siège de la rue Didouche Mourad, a déjà commencé à embarquer certains membres du mouvement dans des camionnettes.

C’est le scénario habituel ici : comme une étincelle de feu qui crépite pour déclencher un incendie, un activiste commence à crier des slogans « Rendez-nous notre pays ! », « Halte au mensonge et à la propagande ! » Il est rapidement interpellé par la police. Quelques minutes après, d’autres voix protestataires s’élèvent un peu plus loin. La porte-parole du mouvement s’avance sur le trottoir qui jouxte le siège pour répondre aux questions des journalistes, soutenu par les chants de ses partisans. Mais là encore, les forces de sécurité interviennent sur le champ.

Peu après, des cris attirent notre attention de l’autre côté de la place Audin. Un jeune homme interpelle les supporters du président-candidat Bouteflika, hissé sur le toit d’un camion. Le flux de voitures autour de la place, qui ne s’interrompt jamais quoi qu’il arrive, s’intensifie. Les agents de police invitent les passants et les journalistes présents à passer leur chemin. Le sit-in échoue et se transforme progressivement en une marche forcée des membres du Barakat ! et de nombreux journalistes, escortés par des agents de sécurité, beaucoup plus nombreux. Vingt minutes après la première arrestation, tout est fini, il n’y a plus rien à voir.

Jeudi 17 avril : jour des élections

Le soleil se lève tôt ce matin : il faut aller voter, ou pas. Abdelaziz Bouteflika exercera son droit à El Biar (le quartier des ambassades à Alger) à 10 heures piles. Une cinquantaine de journalistes attend à l’extérieur du bureau de vote, accueillis par un cordon de police qui leur fait barrage. Pas plus d’une vingtaine d’entre eux seront autorisés à franchir le seuil de ce bureau de vote une fois le président-candidat entré. « Seulement les cameramen », précise le garde à l’entrée, niant par la même occasion les rumeurs qui prétendaient qu’il faudrait un permis spécial en plus de la carte de presse pour saisir une image de l’événement. À l’intérieur du bureau, Abdelaziz Bouteflika, en fauteuil roulant, introduit son bulletin de vote dans l’urne. Il ne fera aucune déclaration.

11h45 : Place de la Grande Poste

Un homme commence à crier en arabe mais se fait rapidement embarquer par la police, un autre le suit, et d’autres encore. Un barbu en djellaba est pris par la gorge et reçoit des coups de bâtons. Plus loin, deux femmes voilées se font arrêter par des agents. Des témoins affirment qu’elles sont membres du Front Rafdh (Front du Refus). Il nous est impossible d’obtenir une confirmation de leur part. Aussitôt, une vieille dame en tchador profite du rassemblement pour dénoncer le drame des disparus. La foule se regroupe autour d’elle. Un vif débat populaire éclot : critiques d’un régime de voleurs, de la corruption, des fraudes… Ces discussions se déroulent dans le calme, sous le regard des agents de sécurité. Pas de problème.

14h : Bab El-Oued

Changement de décor. Au cœur du quartier populaire, rien ne dénote, rien ne laisse entrevoir le caractère exceptionnel de cette journée. Les marchés sont animés, vivants et les gens parlent du beau temps. Le soleil caresse toutes les mains, dont peu d’entre elles iront voter aujourd’hui (51,70% est le taux de participation global ; 37,84% dans la wilaya d’Alger).

Au bureau de vote de la place des Martyrs, on compte plus de représentants de partis politiques que de citoyens et de citoyennes en train d’exercer leur droit. Aucune photo, pas de vidéos non plus pour témoigner de la participation populaire au vote, pas de micro-trottoir non plus. Le staff du bureau de vote y veille de près. Les électeurs ne semblent pas à l’aise pour parler aux journalistes. Nous obtenons malgré tout quelques déclarations sur la sécurité que représente la victoire de Bouteflika, et d’autres, plus timides, sur l’éventuelle nécessité du changement.

17h30 : Place de la Grande Poste

Une vingtaine de camionnettes de police remonte la place, une dizaine d’autres file de l’autre côté, dont trois d’entre elles stationnent au centre de la place. La vie quotidienne continue de se dérouler normalement sous le regard attentif des agents de sécurité : les gens prennent leur café aux terrasses, bavardent, vaquent à leurs occupations. Les enfants jouent et leurs rires réussissent de temps en temps à masquer le bruit de l’hélicoptère, qui se fond avec celui des mouettes. Le soleil tombe doucement pour baigner Alger la Blanche d’une lumière teintée de rose éphémère.

Beatriz Alonso (Alger)

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