Co-auteurs de Chronique de la discrimination ordinaire, Saïd Hammouche et Vincent Edin sont tous les deux intervenus à la bibliothèque Denis Diderot à Bondy pour parler de leur ouvrage traitant des inégalités et des discriminations à l’embauche. Entretien.

Qui êtes-vous et quelles sont les actions que vous menez au quotidien ? 

Vincent Edin : J’ai 34 ans et je suis journaliste. J’ai écrit un certain nombre d’essais sur des problématiques sociales et j’anime beaucoup de forums sur l’entrepreneuriat social, l’économie sociale, l’économie de la réparation. En parallèle,  je m’occupe d’un master en communication politique et publique.

Saïd Hammouche : J’ai grandi à Bondy et j’ai eu la chance de faire des études supérieures, tout d’abord un BTS Agent Commercial, et ensuite des études en ressources humaines. Très intéressé par le phénomène des discriminations, j’ai créé un cabinet de recrutement, Mozaïk RH, spécialisé dans l’égalité des chances en entreprise et la promotion de la diversité pour l’embauche. Vincent et moi sommes très sensibles à la problématique de la discrimination. Après une phase de réflexion, nous avons proposé d’écrire un livre sur le sujet à Gallimard.

Pourquoi avoir ressenti le besoin d’écrire ce livre à ce moment-là ? 

Saïd Hammouche : En tant que militants, nous avons eu besoin de voir les différents supports sur lesquels nous avions de l’impact. Naturellement en France, pouvoir toucher un certain nombre de citoyens concernés ou non par la question des discriminations est ce qui nous a intéressés. Nous voulions influencer un maximum de gens par l’existence d’un livre, tant donné qu’une grande partie de la population est dans le déni.

Pourquoi avoir choisi des biographies fictives à la place de personnages réels pour illustrer vos propos ?    

Vincent Edin : Nous avons remarqué que lorsqu’on prend le réel, c’est-à-dire le domaine de l’anecdotique, du fait divers, qui parait beaucoup dans la presse, ça ne fonctionne pas, ça créé plutôt des réactions de rejet chez ceux qui discriminent… On a voulu prendre le temps du livre et poursuivre une réflexion sur trois cents pages. Utiliser des personnages fictifs était pour nous l’occasion d’ancrer des réalités statistiques fortes et incontestables. Aussi, avec le recul de la fiction, on peut aborder toutes les formes de la discrimination dans la société.

Être jeune diplômé et issu des quartiers populaires, est-ce forcément une tare pour l’insertion professionnelle ?  

Saïd Hammouche : Le grand drame aujourd’hui est qu’un certain nombre de jeunes diplômés sont obligés de se déqualifier pour trouver un boulot, chacun ayant besoin de se nourrir, de se loger et de s’habiller. Lorsque l’on n’a pas le job auquel on peut prétendre, il y a une réalité économique qui nous rattrape et nous pousse à faire des choix. J’ai vu des personnes autour de moi avec des brevets de techniciens supérieurs en poche, ayant le potentiel d’être cadre d’entreprise, et qui ont fait le choix d’être caissier. On passe d’une ambition personnelle à une position « j’ai besoin d’un job alimentaire« , et quand on a pris du retard dans une carrière, c’est difficile par la suite de se rattraper.

Selon vous, quel est premier facteur de discrimination à l’emploi en France ?

Saïd Hammouche : Le manque de réseau. De nos jours en France si on n’est pas recommandé, si on ne connaît pas quelqu’un qui puisse nous appuyer et parler de nous en bien, on rentre automatiquement dans la seconde catégorie de chercheurs d’emploi, c’est-à-dire des « pas tout de suite« . Ce phénomène est relatif à notre origine sociale, on n’a pas de réseau parce qu’on est fils d’ouvrier et non pas fils de cadre, ou parce que l’on est une femme, ou à cause de notre origine ethnique, ou parce qu’on habite en Seine-Saint-Denis… Tout ça, ce sont des facteurs qui constituent une source d’éloignement par rapport au recruteur.

Et en qui concerne la loi sur l’autonomie des universités votées en 2007, ne pensez-vous pas que son application favorise une certaine forme de discrimination indirecte ? 

Vincent Edin : En réalité, on la renforce. Si vous sortez avec un troisième cycle à Paris I à la Sorbonne ou à Paris II en Droit, votre diplôme n’aura pas la même valeur sur le marché de l’emploi pour un recruteur que Paris 13-Villetaneuse, alors que la promesse républicaine est que tous les diplômes sont égaux. La loi sur l’autonomie permet aux universités d’avoir des ressources propres en allant chercher du mécénat d’entreprises ou des donateurs privés. Forcément, les universités les plus riches ou celles qui sont installées dans les quartiers les plus favorisés seront davantage capables de capter la manne des entreprises via différentes taxes, ou des dons.

Le problème de la discrimination ne serait-il pas relatif à nous-même plutôt qu’à nos institutions, sur lesquelles on rejetterait la faute ?

Saïd Hammouche : Il y a une constituante qui est forte et qu’il faut connaître : plus le chercheur d’emploi va être confronté à une discrimination, plus il va se réfugier dans des explications subjectives qui le confortent dans l’idée qu’il est une victime du système. Cette attitude va encore davantage l’éloigner de la proximité avec un recruteur. Lorsque l’on est en situation de chômage depuis un an et demi, il y a en réalité des mécaniques en amont que l’on ne perçoit pas, ce qui va favoriser un éloignement et un phénomène de victimisation.

Propos recueillis par Jimmy Saint-Louis

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