« C’est l’histoire d’une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… » . Tout le monde reconnait là l’une des répliques culte du film La Haine de Mathieu Kassovitz, sortie sur les grands écrans le 31 mai 1995. Deuxième long métrage du réalisateur, le film à connu un succés phénoménal. Tant au niveau du public (avec plus de deux millions d’entrées et une rénomée internationale) qu’au niveau des récompenses (pas moins de 6 prix pour 11 nominations).

La Haine de Kassovitz retrace la journée de trois jeunes dans une cité ordinaire qui traînent leur ennui et leur jeunesse qui s’en va. Ils vont vivre la journée la plus importante de leur vie après une nuit d’émeutes provoquée par le passage à tabac d’Abdel Ichah par un inspecteur de police lors d’un interrogatoire.

La Haine c’est ce film culte qui exprime avec exactitude cette colère dans l’esprit des jeunes de banlieue. C’est le récit d’une violence devenue monotone qui trouve ses racines dans des rapports de forces quotidiens avec l’autorité et la police. C’est l’addition explosive d’un trio black-blanc-beur, d’une colère sans nom, d’un usage excessif du pouvoir, de flics dépassés et du devenir d’un flingue retrouvé.

Suite au succès du film, celui-ci fut reconnu comme un évènement majeur du cinéma. Pour la première fois apparaissait sur grands écrans les cités HLM et la vie en son sein dans une justesse frôlant la perfection. La Haine a offert une certaine visibilité aux quartiers et donc la possibilité d’exprimer pleinement leurs cultures et leurs fonctionnements. Le film a été porteur d’un message d’espoir et d’ouverture au débat. Mais 20 ans plus tard, force est de constater que le débat subsiste toujours et n’est pas prêt d’être fermé.

Justement, vendredi 18 avril dernier, le Conseil des jeunes de la ville de Bondy c’est proposé d’organiser un ciné-débat autour du film de Kassovitz. Le débat aurait pour objectif d’analyser l’évolution de la situation et des représentations des banlieues presque vingt ans plus tard. Une fois le film projeté, le dialogue était animé par Ramsès Kefi (journaliste chez Rue89 et Bondy blogueur), Sidi Selles (qui fut à l’initiative de SOS ça bouge et Y’a de la banlieue dans l’air) et Fanny Layani (professeur d’histoire au collège Auguste Delaune à Bobigny).

Vers 19 heures, l’espace Marcel Chauzy de l’hôtel de ville de Bondy commence à se remplir. Ce sont les habitués qui se retrouvent tout d’abord, intéressés par le débat. S’en suit l’arrivée de quelques trentenaires encore fans du film qui a marqué leur jeunesse. Et enfin, suscitant la surprise de quelques uns, j’y retrouvent une bande de jeunes, tous entre 12 et 17 ans. Pour la plupart d’entre eux, quand le film est sorti, ils n’étaient même pas née. Pourtant aujourd’hui plus que jamais tous jurent que « La haine, c’est un film, un vrai« .

Lors de la projection, quiconque présent a été forcé de reconnaître que La Haine est un film multi-générationel. Tous ou presque connaissent les répliques. Quand Said balance « Sans déconner, la façon dont tu viens de parler là, on aurait dit un mélange entre Moïse et Bernard Tapis » la moitié de la salle le dit avec lui. Quand Gonvalsky, le vieux russe raconte son histoire, les plus jeunes l’écoutent encore sourcils froncés. Et bien que le final ne nous soit pas méconnu, nous cherchons tous à croire en la réconciliation et la sagesse dont fait preuve Vinz en rendant l’arme avant d’être secouer par un final où la violence l’emporte sur le reste.

« Tu sais ce qu’elle m’a appris la rue à moi ? »

Une fois la projection terminée, le conseil des jeunes propose le visionnage d’un micro-trottoir. les citoyens et citoyennes de la ville de Bondy y exposent leurs avis sur l’évolution des cités depuis la sortie du film. Tous s’accordent à dire que les conditions de vie se sont améliorées. Les plus âgés soulignent les avancées avérées et les plus jeunes appuient les difficultés auxquelles ils sont toujours confrontées.

Il y a ceux qui croit encore que face à la haine on ne peut répondre que par la haine. Que l’espoir est mort et que le final du film rappelle au combien le problème est sans issu. Si les jeunes dans la salle préfèrent croire à une situation sans appel, cela révèle que pour beaucoup, on ne peut pas endosser le rôle de la médiation ou de la raison quand on a les deux pieds dans la merde. La preuve en est, quand Vinz s’explique avec Hubert sur la possibilité de tuer un policier, il réplique « Tu sais ce qu’elle m’a appris la rue à moi ? Elle m’a appris que si tu donnes ta joue tu te fais niquer ta mère et puis c’est tout« . Manifestement, les jeunes présents s’accordent à donner plus d’importance à cet argument qu’aux autres.

Face à eux se retrouvent cette génération de trentenaire ou plus, qui a pu voir la situation évoluer et est bien forcée de constater que les choses se sont améliorées. Il reste beaucoup à faire, c’est un fait indéniable, mais il faut reconnaître au film toute sa puissance. Quand Vinz estime que tuer un keuf rééquilibrera la balance, Hubert répond « La haine attire la haine« . Mais comment le faire entendre aux cadets quand leurs propres ainés sont eux même dans une recherche permanente d’un regard différent sur les banlieues.

La Haine s’adresse à une large frange de la population. Avec ce film Kassovitz ne voulait pas être reconnu comme porte-parole des banlieues mais plutôt montrer une banlieue différente que celle dépeinte dans les médias. Mais quelle interprétation doit-on faire du final ? La mort de Vinz met en valeur la fatalité de la vie en banlieue. L’utilisation de la violence serait donc fatidique. On est confronté à un « non choix », à l’obligation de tendre vers la vengeance ou la rébellion.

D’autres préfèrent s’arrêter sur le regard égaré de Said à la fin du film. Celui ci adresse un regard quasiment direct au spectateur. Ce regard peut être celui d’un profond désespoir, ou celui d’un appel à l’aide, d’un appel au changement. Là est tout le débat autour du film. En réponse aux questions posées lors du ciné-débat, une femme à dit « Ce qu’il faut maintenant, c’est demander ce que veulent les jeunes et à partir de là et de là seulement, on trouvera un moyen de les aider« .

« C’est l’histoire d’une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute se répète sans cesse pour se rassurer : Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… Mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage. »

Jasmin Nahar

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