Transe-Lucide est le dernier album de Disiz, et le chapitre final de sa trilogie, entamée par son EP Lucide. Une occasion d’interviewer une des têtes brûlées du rap français, devenu sage et lucide sur son époque et sur lui-même.  

Disiz est un artiste complexe, à visages multiples. Des personnalités si diverses et si éparses sont au socle du personnage. À la fois rieur et chaleureux, un autre moment froid et distant, amer et douteux, exubérant et gamin, ce sont toutes ces contradictions qui font de Disiz un rappeur à part et si attachant. Loin du cliché du rappeur bling-bling ou de donneur de leçons, Sérigne M’Baye Gueye de son vrai nom, a réussi à proposer un autre genre de rap, pionner dans ce domaine, parlant d’amour, d’espoir et de foi. Avec toujours autant d’ironie qu’à son premier tir, J’pète les plombs, il parvient à parler de sujets sérieux et prendre un ton grave quand il le faut. Son album nous amène à repenser l’évidence que l’on croyait acquise, et nous donne une vision de la banlieue réaliste, en nous transcendant au-delà de nous même pour nous faire partager ses joies, ses peines, ses doutes.

Transe-Lucide est ton neuvième album-studio, ainsi que le dernier opus de ta trilogieLucide. As-tu le sentiment d’un travail bien fait, ou restes-tu encore sur ta faim ? 

Très honnêtement je suis content de ce que j’ai réalisé. Transe-Lucide a été un disque très dur à faire, car très introspectif à la fois et très exigeant en même temps avec la volonté de ne pas faire de la musique prétentieuse ou impudique.

Une pilule, un cœur, puis un nénuphar ont été respectivement placés sur la pochette de tes trois derniers albums, peux-tu nous expliquer ce que la dernière image symbolise ?  

Le lotus est une métaphore de la trajectoire humaine, spirituellement. C’est inspiré de l’Islam et du Bouddhisme. Cette fleur prend racine dans le limon (le milieu dans lequel on naît avec les difficultés que ça peut comporter pour certains). Elle traverse l’eau (qui a l’image des questionnements intérieurs, l’instabilité), et qui s’épanouit enfin au ciel (la sérénité). Le disque Transe-Lucide suit cette route en trois étapes, une première très sombre au début (Banlieusard Syndrome, Rap Genius), une seconde qui alterne le dark et le lumineux (Spirales / King Of Cool) et une dernière plus sereine (Complexité Française).

Dans le titre Rap Genius, tu prétends boycotter le rap conscient, abhorrer le rap bling-bling et prôner à la place un rap utile. Qu’est-ce que le rap utile selon toi ?

Je ne prétends pas faire du rap utile. C’est un tacle volontaire à ces classifications réductrices. D’un côté, un rap conscient, parfois soûlant, d’un autre un rap bling-bling caricatural et vide. Il peut y avoir une utilité dans les deux, mais le rap utile est un rap qui, peu importe ce qu’il dit, décrit une certaine réalité d’un certain mode de pensée, ou bien qui dénonce ou pousse à la réflexion.

À l’écoute, ton album sonne très électro et mélodieux, tu y parles d’amour et de religion. Peux-tu comprendre qu’une partie de ton public soit médusée et un peu gênée par ce nouveau Disiz ? 

Oui je le comprends très bien. Et tant mieux. Je me refuse de me construire et de me figer dans des codes qui nous sont soit disant réservés (gros bras, etc.). L’amour n’appartient à personne, la haine n’ont plus. Enfin ça dépend !

Sur ton album, à la différence des deux précédents, on remarque que tu n’as pas invité en featuring des artistes de la sphère hip-hop; Est-ce un choix volontaire, ou un concours de circonstances ?

Ce disque était bien trop personnel pour des featurings, c’est donc volontaire de ne faire appel à personne.

Dans ton titre Complexité Française, tu abordes de la plus simple des manières le choc des cultures, et les conflits intérieurs liés au métissage Pourquoi as-tu ressenti le besoin d’en parler à ce moment précis de l’actualité, sachant que tu en avais déjà parlé dans le titre Je suis Métisse avec Yannick Noah ?  

L’approche du titre Métisse et de Complexité Française n’est pas tout a fait la même. Celle du second a bien plus d’épaisseur, c’est un affranchissement total du regard de l’autre.

Tu fais partie des seules rappeurs qui ont une réflexion profonde sur la banlieue et sur ses problèmes. Tu sembles avoir une vision très lugubre dans l’existence des jeunes, quelles sont les solutions ?  

 Le contexte d’un disque est trop mal approprié pour en parler. De plus je n’ai aucune solution, je n’ai qu’un regard sincère sur des conditions, comme un témoignage de certaines injustices, d’un certain déterminisme social absolument révoltant.

J’ai lu dans des articles te concernant que tu prenais encore le RER pour te déplacer. Tu es satisfait du moyen de transport ? Tu t’es déjà fait chopper sans ticket ?  

Il y a très très longtemps oui ! Mais je pense repasser mon permis, même si les transports sont parfois bien pratiques.

Tu as dévoilé pour ton prochain projet que ça allait « kicker », tu peux nous en dire plus ?

Le fait d’avoir eu à repasser par des titres plus instinctifs comme je le faisais à mes débuts sur Transe-Lucide m’a donné envie de faire un album qui va dans ce sens. Quelque chose de plus minimaliste autant dans la forme que dans le fond. Ce disque s’appellera Rap Machine.

Propos recueillis par Jimmy Saint-Louis

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