Mehdi Meklat : Quel a été votre premier souvenir de cinéma ?

Rachid Djaïdani : « Alors pour moi, c’était un vrai bonheur. Je suis à Cannes, au festival de Cannes pour Rengaine. Et puis j’étais déjà un fan de France Inter et j’écoutais souvent la chronique de Mehdi et Badrou. Et tout à coup je viens à rencontrer Badrou et Mehdi. C’était pour moi une grande rencontre. »

Mehdi Meklat : «  Mais ça c’est pas un souvenir de cinéma.

Rachid Djaïdani : « Mais si, le cinéma ne peut pas être dissocié des rencontres, de la vie. Si je suis là aujourd’hui c’est aussi un peu par amour, par l’histoire d’amour que je partage avec Mehdi et Badrou. »

Mehdi Meklat : « Je répète donc ma question, c’est quoi ton premier souvenir de cinéma ? »

Rachid Djaïdani : « J’ai pas vraiment de premier souvenir, peut-être le film Taxi Driver… J’ai essayé de m’identifier à des réalisateurs. J’étais boxeur et quand j’ai rencontré le cinéma social et politique, je me suis dis « c’est ce que je veux faire ! » J’aime ce cinéma avec les ongles sales, le cinéma où tu vois que le réalisateur a mis les mains dans le charbon. »

Mehdi Meklat « Un cinéma d’ouvrier alors. »

Alice Diop « Je suis devenue cinéphile sur le tard, via des documentaires qui ont modifié ma vision. Des films comme La Vie d’Adèle ou celui sur la vie d’un quartier populaire de Chicago. Je m’intéresse aux films en fonction des thèmes sur lesquels je travaille. Pour moi le cinéma est un travail assez long pour questionner ma propre légitimité. C’est pas un travail de boxeur, mais pierre après pierre je construis ma légitimité. »

Mehdi Meklat « Est-ce que le cinéma ça s’apprend ? »

Rachid Djaïdani : « Je suis arrivé dans le cinéma comme un boxeur fou avec mes plans-séquences et mes chutes. J’ai fais beaucoup d’erreur et j’ai appris énormément de mes erreurs. Je voulais faire une école de cinéma, mais les écoles sont très chères. J’ai appris sur le tard. Quand j’ai fait mon premier long métrage (qui m’a pris neuf ans), je ne voulais pas faire de champ/contrechamp. Après 400 heures d’images, tu te rends compte que le champ/contrechamp c’est important. Tu ne peux pas tout changer… »

Alice Diop : « Le cinéma ça s’apprend. J’ai étudié les sciences humaines, donc moi je n’ai pas de formation cinéma, mais les films que tu vois te font grandir. Tu apprends de ce que tu vis et de ce que tu vois. »

Que pensez vous du cinéma Guérilla ?

Rachid Djaïdani : « Ce mot m’a dérangé, je me sentais pas en mode Guérilla je me sentais plutôt en mode faire l’amour. »

Mehdi Meklat : « Mais je t’ai vu lors de tournages, tu es en guerre »

Rachid Djaïdani : « Oui, je suis en guerre mais ce qui me sauve c’est que je ne sais pas que je suis en guerre. Quand je tourne je sais que c’est mon instinct de vie ou de mort. De vie ou d’amour. Quand je pars en tournage je vis.

Alice Diop : « Je sais pas ce que ça veut dire « Guérilla ». J’en ai marre des étiquettes cinéma de banlieue, cinéma de guérilla. On ne peut pas juste dire cinéma ? Ce terme me dérangeais car quelque part il pouvait se retourner contre nous. Il y a 6 mois on m’a contacté pour faire une émission sur cinéma Sénégalais, puis on me rappelle pour faire une émission sur le cinéma de banlieue… On nous enferme dans des cases. Pour moi la seule manière de réagir c’est de refuser ces étiquettes, de dire j’ai pas envie, je ne me reconnais pas là dedans. »

Rachid Djaïdani : « La seule réponse c’est de créer. Faut faire des films peu importe là où on nous situe. Je filme mes parents, mes potes, ma femme. Ils participent au visionnage de mes films c’est une cuisine familiale. Le cinéma ne se fait pas seul. »

Alice Diop : « Je fais principalement des documentaires. J’aime filmer la vie mais pas comme un reportage, j’aime apporter une vision pour raconter quelque chose. »

Rachid Djaïdani : « Le processus de création c’est long, énergique, sportif. Il faut avoir la prétention de se dire « je vais attraper ce que personne n’a jamais attrapé ». Cette image, personne ne l’a jamais vue ailleurs. Il faut avoir la foi vis-à-vis des gens que tu filmes. Il faut accepter de perdre beaucoup et surtout ne rien lâcher jour après jour. Rêver son histoire au quotidien et la réveiller. »

Alice Diop : « C’est une obsession quotidienne, j’ai besoin d’une émotion forte, je veux questionner la société. Là je travaille sur un film sur l’hôpital Avicenne où je m’étais rendue pour d’autres tournages. Au fin fond de l’hôpital il y a une toute petite salle tenue par un médecin qui a la soixantaine. Dans cette salle passent des migrants fracassés par la vie que ce médecin tente de réparer. Cette histoire m’a bouleversée, alors j’y suis retournée tous les vendredis et j’ai pris des notes. Puis hier grâce à Rachid, j’y suis retournée avec une caméra et j’ai filmé pour la première fois. »

Mehdi Meklat : «  C’est quoi la difficulté à créer ? »

Rachid Djaïdani : « Faut être solide, être prêt à perdre sa famille… On ne sort par indemne d’une création. La création nous confronte aux difficultés quotidiennes, il faut remplir son frigo, remplir son compte en banque, remplir sa vie d’amour, ne pas délaisser l’autre… Et puis il y a le financement. Moi je rêve d’une commission qui visionnerait les travaux des réalisateurs amateurs et qui dirait « voilà tel réalisateur il a du potentiel on va l’aider. » Aujourd’hui il y a une vraie discrimination intellectuelle au niveau des financements. »

Alice Diop : « Avec de l’argent on peut faire beaucoup de choses. On en a besoin ne serait-ce que pour le matériel. Je ne crois pas qu’on puisse faire sans les institutions. Mais je reste persuadée que le beau trouvera toujours sa place. Tout ce qui est beau, puissant, tout ce qui raconte des choses trouvera toujours sa place. Avec ou sans l’aide du CNC. Après, il y a quand même des projets qui sont aidés par le CNC même si c’est encore trop peu. Pour mon projet à Avicenne, je dois filmer vite, dans l’urgence, sinon les histoires seront dépassées… Dans ces cas-là tu as forcément besoin d’argent pour trouver rapidement ton matériel. »

Rachid Djaïdani : « Pour faire un film tout seul il faut être complètement fou. Il faut être malade. »

Mehdi Meklat : Est-ce que la réussite dérange ?

Alice Diop : « Je ne sais pas si j’ai réussi, moi je me sens plutôt comme une fourmi qui travaille. »

Rachid Djaïdani : « Je pense que la réussite dérange. Dans mon histoire, dans mon parcours, dans mon identité. Moi j’ai grandi dans une culture où il ne faut pas se montrer. Où on a peur du mauvais œil, où on ne montre pas sa réussite pour ne pas froisser son voisin. Moi j’ai envie de montrer que je suis capable. Mais c’est vrai que la réussite pose problème, même le public autour duquel je gravite j’ai l’impression que la réussite pose problème. »

Mehdi Meklat : Le festival BIB a été conçu pour transmettre des choses, faire comprendre des choses. Si vous deviez donner un conseil lequel serait-il ?

Alice Diop : « Ne jamais perdre de vue ce qu’on a à dire. On peut parler au monde, la banlieue peut parler au monde, il ne faut jamais s’enfermer dans l’entre-soi. »

Rachid Djaïdani : « Comme en boxe, tout se fait à l’entraînement. Il faut travailler, travailler, travailler. Il faut accepter l’avis de ses amis qui apportent souvent un regard juste. Il faut avoir de l’amour pour les gens que tu filmes, de l’amour dans ton regard. Et si t’es réal tu dois avoir ta caméra. Et il faut se dire que c’est une récréation, on fait du cinéma, on ne sauve pas des vies. Il faut aimer ce que l’on fait. J’aime ce que je fais. »

Widad Ketfi

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