TOUR D’EUROPE 2014 – Première étape de Balla à Bilbao en Espagne, en terre basque. Retrouvez son carnet de route et tous les articles sur notre page spéciale.

Le Parc Etxebarria est une parenthèse enchantée, Cupidon danse el aurresku au-dessus des amoureux qui s’entassent, s’enlacent et s’embrassent dans l’herbe du plus grand jardin public de Bilbao. Ils se foutent pas mal du regard oblique des passants qui ne trouvent pas cela pas très catholique. La brise du Sud donne la passe décisive à un ciel dégagé totalement démarqué qui ne se fait pas prier. Le soleil majestueux règne en véritable maître des cieux. Ses rayons donnent leur pleine mesure. Une lumière suave se propage, le peuple basque en redemande.

Pour alterner le chaud et le froid certains se délectent d’un gazpacho givré ou de la spécialité locale la sopa de melon. Grands-parents, parents, et enfants ont pris d’assaut les toboggans, les cris, les encouragements et les applaudissements rythment ma première journée au Pays Basque qui tient en deux mots : La alegría…

Bercée par cette atmosphère joviale Ana étrenne un T-shirt Kermit la grenouille, elle a le nez dans les bouquins et des lunettes rouges à la Eva Joly sur le nez. L’étudiante de 23 ans me parle de sa lune de miel : « l’Europe c’est Erasmus ! J’ai été à Bordeaux pendant 9 mois, il y a 2 ans et depuis avec mes amis on essaie de voyager autant qu’on peut partout en Europe. » Au moment d’aborder les élections, un large sourire d’européenne convaincue lui donne la réplique : « Bien sûr que j’irai voter ».

IMG_1909IMG_1909Sur le chemin qui mène aux fontaines, Iñigo harassé par le soleil cherche son oasis. Il a un teint laiteux qui vire au rouge, un béret vert vissé sur ses cheveux roux, il se mouille frénétiquement la nuque et le visage. Il suffoque, soupire après chaque gorgée. « Je ne me sens pas Basque, je subis déjà la loi du gouvernement espagnol, alors s’il te plait ne me parle même pas d’Europe. Je ne savais même pas qu’il y avait des élections ». Il fronce les sourcils, donnant ainsi plus de dureté à son regard azur et crache son venin : « L’Europe c’est juste un business. L’Allemagne se gave et nous on nous demande de mourir de faim. Je n’oublierai jamais la phrase de Merkel qui a dit que nous sommes des fainéants qui ne veulent pas travailler ». Comme plus d’un quart de la population active (26,6% et plus de 50% chez les moins de 25 ans) Iñigo souffre de sa « liaison dangereuse » avec le chômage. La réflexion de la chancelière le met hors de lui. Abattu il ne voit pas ce que les 54 eurodéputés (sur 766 dans toute l’UE) de « l’Europe de la périphérie » pourraient faire pour sortir la péninsule ibérique de ce marasme.

Au cœur du parc les regards convergent vers la cheminée, vestige du passé industriel qui abritait jusque dans les années 80 une fonderie d’acier. Sifflet à la bouche la nounou Pilar, vêtue d’un pantalon noir avec trois bandes blanches verticales, arbitre deux sprinters en herbe qui refont les jeux olympiques. « Pour beaucoup d’entre nous, l’Europe c’est le foot. L’Europa-league avec FC Séville champion et surtout la ligue des champions le Real de Madrid contre l’Atletico. On est champion d’Europe et même du monde dans le foot ! Regarde autour de toi, il n’y a que des terrains de football. C’est le seul truc qui donne encore un peu d’espoir aux gens ».

Pilar ne me cache pas qu’elle n’a jamais voté pour des élections européennes. La mobilité et la flexibilité ? « Non merci, je ne vois pas où je pourrais aller. J’ai des connaissances qui sont allées en Allemagne « le nouvel  Eldorado » pour gagner 400 euros par mois. Je me dis autant être un travailleur pauvre à la maison. C’est ma façon de voir les choses » conclut-elle avant de reprendre le sifflet et lancer le top départ. Le démarrage en trombe des deux athlètes soulève la poussière, la frimousse désabusée de mon interlocutrice s’efface.

IMG_1914Direction el Casco viejo (la vieille ville) un couple de retraité regarde avec amusement l’effervescence qui règne dans le parc entre les joggers, les rampes de skate, le terrain de football, le toboggan. Paco qui a troqué un instant son fauteuil contre un banc a déjà fait le tour de la question. « J’irai voter parce que je trouve ça bien qu’il y ait des représentants espagnols à Bruxelles. Mais je ne suis pas dupe, ils arrivent au parlement, ils s’enrichissent et après ils nous demandent de se serrer la ceinture. A mon âge je ne me fais plus trop d’illusions ».

Son épouse se montre plus inquiète au sujet du scrutin européen à venir : «  Je sens que les gens sont blasés par la politique, les affaires de corruptions, les promesses qui ne sont que électorales ». Elle reprend son souffle, se réhydrate, marque un temps d’arrêt et reprend sans transition : «  J’ai peur pour l’Espagne. Lundi dernier ils ont tué Isabel Carrasco [présidente de la région de León et responsable du Parti populaire] avec une arme à feu. Tu peux croire ça ? On tue des politiques en France ? On a trois enfants et deux petits-enfants, j’ai peur pour leur avenir. J’ai l’impression que depuis la crise les gens deviennent fous. Tout ça va mal finir… »

Paco hoche la tête d’indignation mais il tient à tempérer les propos alarmistes de celle qui partage sa vie depuis des décennies. « Depuis la crise de 2008, je ne sais pas ailleurs mais à Bilbao, je me sens plus en sécurité avec la fin des actes terroristes. Il y a eu plus de 900 morts ici ! Pour moi l’indépendance c’est une utopie, quand on sait que tous les pays s’unissent pour former des macro-états comme la communauté Européenne. Comment demander une séparation quand tout le monde dépend de tout le monde. Soyons réalistes, on se dirige vers une union fédérale même si ça va demander énormément de temps ».

IMG_1906La promenade basque s’achève en descendant les marches qui mènent à la Plaza Unamuno point de convergence de tous ceux qui se rendent au Casco Viejo. Un quarteron de jeunes, qui sirote leur cerveza sur la place, reprend en cœur un des classiques de ces élections : «  Le 25 mai ? Aucune idée » ou « Votar ? Para que ? ». Calle Maria Munoz,  la gérante d’un bar s’en roule une sur la terrasse et me dit que parler d’élections européennes c’est peine perdue : «  J’ai vu à la télé que lors d’un sondage 10% des sondés connaissaient la date des élections. Où va-t-on avec un pays comme ça ? »

Et si Mariano Rajoy premier ministre espagnol de droite (Partido popular) a mis en garde les Espagnols contre un vote de protestation en faveur de petits partis eurosceptiques voire europhobes. Au diable le vote utile semble être le credo, l’abstention pourrait être le vrai symbole de la protestation à Bilbao et dans le reste du pays. Un passant me confiait qu’il rêve d’un taux proche de 100%. Les hommes politiques sont en quête d’un nouveau souffle, d’un regain de citoyenneté. Pour cela ils ont recours à de lourdes perfusions dans la dernière ligne droite de la campagne. Mais rien y fait entre l’Europe et le citoyen, l’amour est au point mort.

Balla Fofana

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