EUROPEENNES 2014. A 48 ans, le fondateur d’ACleFeu, figure emblématique de Clichy-sous-Bois et des quartiers populaires, a décidé d’entrer sur l’échiquier politique en se présentant sur la liste Europe Ecologie Les Verts pour l’Île-de-France. Interview.

Est-ce qu’Europe Ecologie Les Verts vous a choisi pour faire un coup médiatique ?

Je ne pense pas. Ils sont plutôt partis dans une démarche d’ouverture vers la société civile. Ils se sont aperçus que de rester entre écologistes ne permettait pas de toucher d’autres personnes issues de la société civile ou du milieu ouvrier. C’est plutôt dans ce cadre-là qu’ils m’ont choisi. J’ai rencontré et eu plusieurs discussions avec Pascal Durand [tête de liste EELV] l’année dernière à l’Université d’été dans le cadre du rapport rédigé avec Marie-Hélène Bacqué et moi-même sur la participation des habitants, au moment où Cécile Duflot était ministre. Nous avons eu beaucoup de discussions et on s’est dit qu’il était important que la question des quartiers populaires puisse être portée par une personne de terrain. Car eux ne maîtrisaient pas trop le sujet. Cela nous a permis d’en discuter et par la suite de venir aux Européennes.

Quel est le lien entre l’écologie et la banlieue ?

Il y a énormément de liens entre l’écologie et la banlieue. Mais si on ne les met pas en avant, on n’en trouvera pas. L’écologie est importante dans nos quartiers. Pourquoi ? Nous sommes les premiers touchés. Nous avons un capital santé qui a des points communs avec l’écologie. Il faut savoir que dans nos quartiers, on vit moins longtemps qu’ailleurs. Pourquoi ? Les questions de la pollution, de la malbouffe, de l’insalubrité et de l’isolation des logements. Aujourd’hui encore des familles vivent dans des pièces humides, insalubres et des maladies ressurgissent, comme la tuberculose dans la cité du Chêne-Pointu, à Clichy-sous-Bois (93).

Qu’a fait Cécile Duflot durant son mandat au gouvernement de Jean-Marc Ayrault ?

Elle a créé une loi sur le logement qui n’est pas négligeable et permet d’encadrer les loyers. Elle a beaucoup appuyé le rapport que nous avons rendu. Elle est intervenue plus d’une fois pour dire qu’il était important que la participation des habitants soit quelque chose de très sérieux. Sur la question des quartiers populaires elle est la première à m’en avoir parlé pour me dire l’importance de ce sujet et qu’il ne fallait pas que quelqu’un parle à notre place.

Quel est l’objet du rapport que vous avez remis à Cécile Duflot ? 

À la suite de la remise de ce rapport, une loi a été créée. Nous sommes passés de la participation à la co-construction. Dorénavant, les habitants pourront siéger aux conseils d’administration. Ils pourront contribuer à la réflexion sur les aspects urbains, les questions de transport… en étant acteurs et auteurs. Ils pourront siéger et construire l’environnement qu’ils désirent.

On vous considère souvent comme le porte-parole de la banlieue. Vous considérez-vous comme cela ?

Non, je n’ai pas cette prétention. Et, je ne le voudrais pas ! Je dis que simplement que je suis un porte-voix des personnes comme moi, et il en existe beaucoup. Mais malheureusement, en France nous n’avons pas mis l’accent sur toutes ces personnes qui luttent depuis très longtemps pour dénoncer et dire qu’ils ne veulent ni de l’assistanat ni du misérabilisme, mais des mêmes droits que tout le monde. Aujourd’hui, nous sommes une richesse, nous ne sommes pas un problème, mais une solution. Nous devons être auteurs et acteurs. Nous n’avons pas envie de subir des politiques choisies par d’autres.

Quel a été l’intérêt d’avoir fait le Tour de France ?

Notre but était de sensibiliser au maximum sur la question des quartiers. Je veux une Europe un peu plus proche de nos quartiers. Une Europe un peu plus solidaire, humaine. Une Europe qui peut être un peu plus accessible pour le tissu associatif avec le Fonds social européen (FSE) notamment. Cela représente beaucoup d’argent, mais malheureusement, peu revient aux associations. Il existe une Europe aujourd’hui qui continue à donner aux riches. Il existe une Europe qui continue de financer le CAC 40. Et bien moi, je voudrais que le milieu associatif soit financé à parts égales. Généralement, le FSE s’oriente vers ceux qui ont les moyens financiers et qui ont donc une trésorerie d’avance.

Je voudrais simplifier le FSE en créant un guichet pour pouvoir effectivement permettre aux petites associations d’y accéder. Mais aussi, permettre au dispositif Erasmus d’être accessible à un plus grand nombre de jeunes. Car, ceux qui en bénéficient ont déjà un Bac+3, alors que les jeunes issus des quartiers n’ont pas la possibilité d’y accéder. Je voudrais que dans ces quartiers l’on puisse accéder aux différents niveaux de formations, aux stages… afin que tous les jeunes puissent avoir la même expérience.

Samedi dernier, je suis allée à Clichy-sous-Bois, dans les commerces du Chêne-Pointu. Un habitant m’a dit que votre candidature sert uniquement votre carrière et celle de votre entourage. D’autres habitants ne vous connaissent pas et certains disent que vous n’avez rien fait pour les quartiers. 

Je trouve qu’il est gonflé. Cela fait vingt ans que je milite. Et depuis dix ans, si j’avais voulu faire une carrière je l’aurais faite. Je souhaite simplement lui dire ou rappeler que j’ai été élu à Noisy-le-Sec (93) et qu’au bout de deux ans j’ai démissionné, car je ne me retrouvais pas dans la politique. Sont-ils prêts à perdre, par deux fois, leur boulot, à ne pas voir grandir leurs enfants ? Mais aussi à se retrouver devant des difficultés financières, car j’ai tellement donné aux autres que je n’ai pas pensé à moi-même. Donc, non, je ne pense pas à ma carrière. Je n’ai qu’une envie, c’est de porter justement la cause de nos quartiers et de la faire entendre haut et fort.

Pour les gens qui disent que je ne fait rien et bien allez lire ce que nous avons fait sur la participation des citoyens et lire ce que nous avons fait localement avec les familles. C’est plus facile de critiquer que d’être actif.

Pouvez-vous justement nous expliquer l’intérêt du rapport sur la participation des citoyens que vous avez remis à François Lamy lorsqu’il était ministre délégué à la ville ?

Ce rapport a permis de remettre les habitants au cœur du problème et de leur permettre d’avoir la possibilité de décider d’un avenir meilleur. Donc, cela a permis de co-construire quelque chose qui n’est pas négligeable. Cela a du sens. Et c’est gagné, car il y a une loi qui en est sortie. Il y aura donc des conseils de citoyens qui permettront aux habitants de siéger dans un comité de pilotage, tout cela à partir de janvier 2015. Ils pourront siéger dans toutes les instances où les choses se décident.

Quels sont les enjeux de votre parti pour l’élection européenne ?

Europe Ecologie Les Verts n’est pas mon parti. Je suis là en tant que membre de la société civile. Je ne suis pas encarté. Je garde mon autonomie et mon indépendance. Aujourd’hui, Europe Ecologie Les Verts permet tout simplement de me dire que tu as une cause, tu défends quelque chose et tu as la possibilité et l’espace de la porter. C’est une chose que d’autres partis n’ont pas. Je ne suis pas adhérent au parti et je ne le serais pas par la suite.

De quelle manière allez-vous défendre vos idées au Parlement si vous êtes élu le 25 mai 2014 ?

Au Parlement européen, il y a la possibilité de porter des causes, notamment sur les fonds pour les associations. Mais aussi, sur toutes les thématiques qui concernent la jeunesse, l’aide alimentaire, la justice, la surpopulation de nos prisons qui a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme. C’est aussi là que les choses se décident. On peut peser en portant ces choses-là en Europe. Et ce qui m’intéresserait aujourd’hui, c’est tout simplement de travailler avec l’ensemble des quartiers européens pour créer une force et tout simplement se dire que si l’on fédère l’ensemble des quartiers au niveau de l’Europe, on pourrait peser un peu plus au niveau national.

De quelle manière incitez-vous les Clichois à se rendre aux urnes dimanche prochain, sachant qu’en 2009 le taux d’abstention était de 77, 4 % ?

J’essaie de prendre du temps en faisant des réunions pour sensibiliser les personnes. Nous avons sorti un petit tract en disant « En quoi l’Europe joue sur le quotidien ? », mais aussi « En quoi l’Europe peut améliorer notre quotidien ? ». Nous disons que quand la banlieue sera capable d’agir, l’Europe réagira. Si nos quartiers n’agissent pas, l’Europe ne le fera pas à notre place. C’est à nous aujourd’hui d’interpeller l’Europe et de dire « je suis désolé, vous ne faites plus sans nous ». Donc, il y a de la discussion et de la pédagogie, mais ce je trouve dommage que nous n’ayons pas parlé d’Europe plus tôt et avoir dû attendre les élections.

Hana Ferroudj

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