EUROPEENNES 2014. À quelques jours du scrutin, EELV a organisé un Tour bus dans la capitale. Eva Joly et Pascal Canfin ont emmené les journalistes à La Défense, où siègent des entreprises imposées dans les paradis fiscaux. Un enjeu majeur dans le programme électoral écologiste : abolir l’évasion fiscale en Europe. 

Mardi 20, J-5 avant les élections européennes. À 15 heures, un attroupement de journalistes s’est formé devant le quartier général d’Europe Ecologie Les Verts à Paris, au 100, rue Lafayette. Au bout de leur micro, un militant vert donne des instructions, entouré de Pascal Canfin, ancien ministre délégué chargé du développement, et Eva Joly, qui présente à nouveau sa candidature comme eurodéputée. Et, garé derrière eux face au local de campagne, un bus aux couleurs d’EELV attend, les portes ouvertes, avec en inscription: «Hold-up en cours» de la finance sur l’économie. Aujourd’hui, les verts nous proposent une visite guidée peu commune : La Défense, l’avenue Montaigne et le jardin du Luxembourg. Quelques bastions symboliques, ou supposés tels, du pouvoir des banques et des paradis fiscaux.

Une feuille de route est distribuée : pour chaque étape du parcours, un paragraphe sur la finance et une proposition du programme électoral. On monte à bord, départ sous la pluie. Pendant qu’on remonte la rue du Faubourg Saint-Denis, Julien Bayou, porte-parole d’EELV tente de détendre l’ambiance, en jouant sur son style jeune et décontracté : «j’y vais en mode guide touristique». Les touristes, munis d’énormes caméras noires, écoutent leur guide avec une attention toute professionnelle, et un intérêt tout relatif pour ses timides pirouettes.

Photo-0040Photo-0040Direction La Défense : «beaucoup d’entreprises françaises et multinationales qui payent peu d’impôts y sont implantées». Le porte-parole en profite pour critiquer le principal candidat de droite à la présidence de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre d’un paradis fiscal. Pascal Canfin ajoute : « Avec Juncker, l’UMP, c’est le visage de la finance dans cette campagne

«Pour Jean-Claude Juncker, quand les choses deviennent sérieuses, il faut mentir »

Eva Joly, elle, commence par rappeler le prix du sauvetage des banques en 2008, pour le contribuable et pour les États : 2000 milliards. Pour l’eurodéputée, il est indispensable d’imposer un cadre juridique au système financier, qui n’a «pas les règles vissées au corps». Elle rappelle que la BNP est actuellement poursuivie pour manipulations et pour avoir contourné un embargo sur plusieurs pays. Le porte-parole ajoute que la Société Générale est mise en cause pour escroquerie et pour manipulation des taux.

Dans le car, un enchevêtrement de micros se tend tant bien que mal vers le carré central de fauteuils. En exclusivité, Eva Joly raconte en anecdote la réponse que lui aurait faite George Soros, magnat américain : «Eva, il faut que vous compreniez que ce qui pourra être fait sera fait. Il n’y a pas de morale. Il n’y a de règles que pour ceux qui y croient.» Et le porte-parole de renchérir : «Jean-Claude Juncker nous a dit textuellement que, quand les choses devenaient sérieuses, il fallait mentir

« La bataille contre les paradis fiscaux est la mère de toutes les batailles de l’écologie »

Photo-0054Sur les bretelles du périph, Bayou passe le micro à l’ancien ministre Pascal Canfin. «Depuis trois ans, grâce aux écologistes, il existe un contre-pouvoir à la finance.» Il présente le programme d’EELV pour l’Europe, en prenant soin de rappeler qu’ils sont le premier mouvement politique à avoir fondé un parti européen, «le plus structuré et le plus intégré». Permettre plus transparence. Ensuite, l’harmonisation fiscale comme chantier prioritaire. Enfin, l’idée d’interdire toute commande publique à des entreprises basées dans les paradis fiscaux.

Pour lui, le politique peut et doit reprendre la main. «Quand on est en situation de responsabilité, on fait bouger les lignes. Il ne faut pas laisser les questions financières aux experts, qui dépendent d’une finance prédatrice de l’économie réelle. Ça n’est pas un problème technique, c’est vraiment un problème politique.» C’est pourquoi, explique-t-il, les élections européennes seront déterminantes : «Si on obtient la majorité, on peut vraiment changer l’Europe.» Pour Pascal Canfin, une alternative à l’austérité est possible, justement grâce à ces mesures de régulation : «pour investir, il faut de l’argent, et il faut aller le chercher là où il est. La bataille contre les paradis fiscaux est la mère de toutes les batailles de l’écologie.» Eva Joly précise : «26 trillions sont gérés dans les paradis fiscaux à l’échelle mondiale.»

«Un jour, ces actions seront considérées comme crimes contre l’humanité.»

Arrivés à La Défense, on se rend sur l’esplanade. Les journalistes photographient Eva Joly et Pascal Canfin, sans voir les tours de Total et d’Areva qui se dressent derrière eux. L’ancien ministre réagit en souriant : «c’est par là qu’il faudrait faire les photos!» La candidate reprend en citant les milliards que Total soustrait au fisc : «Les compagnies pétrolières s’opposent violemment à la transparence de leurs comptes.» Elle rappelle leur responsabilité dans la catastrophe écologique et humaine du delta du Niger. «Un jour, ces actions seront considérées comme crimes contre l’humanité.»

Photo-0046Dans le dos des politiques, quelques militants tiennent à bout de bras des pancartes en carton, tout en bavardant l’air enjoué : «Pour la fin des paradis fiscaux / Pour la transparence sur les actions des multinationales / Où sont nous 1000 milliards d’euros?» Puis, la petite troupe se dirige vers la grande arche, menée par un drapeau de l’Union européenne et par celui d’EELV : on marche sur la terre finance. Armés de leurs pieds de caméra ou de leurs étendards vert clair, journalistes et militants croisent le regard narquois des costards-cravates qui passent par là. Une sympathisante, en trimbalant à l’envers son panneau «La solution», demande quelle est la prochaine étape : une assemblée de la Société Générale. «Ah! je suis ravie.» Un gamin passe en la narguant : «écolos!»

Devant l’arche, la parade ressemble à une action de Greenpeace. Les journalistes se sont répartis sur les marches pour une meilleure perspective. Les passants s’arrêtent un moment. Les têtes d’affiche, du haut des escaliers, dénoncent l’impunité de la Société Générale, «alors qu’elle a provoqué la crise financière et, par voie de conséquence, la crise économique.» Puis les politiques viennent rejoindre l’assistance ; le journaliste AFP s’avance et interroge Pascal Canfin sur le bilan actuel de François Hollande. «Ce mandat présidentiel, c’est une occasion manquée incroyable», répond-il. Et, concernant le système boursier, Eva Joly ajoute : «si les égoïsmes nationaux ont prévalu, c’est parce que les États n’osent pas affronter le système financier, pour une raison qui m’échappe.»

«Il faut fermer le casino »

«On va quitter le monde merveilleux de la finance», annonce le porte-parole. Sous un énorme parapluie transparent, Eva Joly mène la troupe vers le car. À bord, le porte-parole reprend son discours. «Il faut savoir qu’Apple paye ses impôts au Luxembourg.» Le voyage prend des allures de classe découverte. «On passe près de chez Dassault, que vous connaissez bien sûr comme une personne quand même assez compromise…» L’animateur est à son comble, mais la pédagogie n’atteint pas tout le monde. «Qu’est-ce que c’est chiant…» soupire un journaliste devant moi. «Bon, on va faire un tour de périph en plus», ironise le porte-parole.

Photo-0050Les politiques ne tarissent plus sur la proximité de la finance avec le pouvoir, sur la répartition de la rente, sur l’évasion fiscale, qui défavorise les PME au profit des grandes entreprises. En remontant l’avenue Duquesne, on rêve d’une justice européenne ; en prenant le boulevard des Invalides, on aborde les conflits d’intérêt. En rejoint le boulevard Montparnasse, on prend l’exemple de la Suisse et d’Obama. Pascal Canfin l’affirme : «il n’y a aucune fatalité. C’est un mensonge, de dire qu’on a besoin de cette finance dérégulée. C’est une question d’organisation collective. Si ça n’a pas avancé jusqu’ici, c’est la faute des États. La Commission européenne et le Parlement se sont mis d’accord sur une directive, mais ça fait trois ans que le projet est bloqué par les États. Il est possible de revenir à une finance utile, de long terme, fondée sur l’investissement dans l’économie réelle. L’UE peut mettre fin à la délocalisation fiscale; l’impact serait énorme à l’échelle mondiale. Pour ça, il faut juste fermer le casino.»

On passe par la rue de Vaugirard et la rue d’Assas, puis on arrive au Luxembourg. Là, trois militants déguisés en costume noir et lunettes de soleil escaladent la grille du parc, et font passer une mallette entre les barreaux, pendant que les autres se mettent à chanter, sous la pluie : «tous les traders, tous les voleurs, on ira tous au Paradis… fiscal !»

 Louis Gohin

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