C’est dans une pizzeria qui a le vent en poupe à Barcelone, la Pizza Loca, qu’Elena 29 ans et fraîchement naturalisée espagnole (le mois dernier) m’accorde une interview décalée (un dimanche à 22h). Trahie par des poches sous les yeux, elle débarque avec un large sourire, malgré ses longues journées de travail (lundi au samedi) dans un restaurant qui vient d’ouvrir près de la via Laietana.

Son visage s’assombri au moment de revenir sur un tournant de sa vie. En 2007, Elena décide de quitter sa terre natale l’Argentine en crise pour tenter l’European dream. Très vite elle mène de front des études en psychologie et un job alimentaire dans une chaine de cafétéria, connue dans son pays d’origine, implantée en Espagne. Début septembre sa vie bascule. « A un moment j’ai eu pas mal de soucis qui me sont tombés dessus, et j’ai laissé par mégarde ma carte de résident devenir caduque avant d’entamer les démarches pour la renouveler. A force de procrastiner le temps est passé en volant et j’ai omis de le faire en temps et en heure. Pour une négligence de la sorte je ne m’attendais pas à des conséquences aussi terribles ».

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Une étourderie qui contraint mon interlocutrice à vivre dans la clandestinité pendant 8 mois. « J’ai pris contact avec un avocat afin de démontrer que je vivais en Espagne depuis longtemps et que j’avais un emploi. La cafétéria qui m’embauchait m’avait promis leur soutien. Mais finalement le gérant a appelé mon avocat pour lui dire qu’ils ne signeraient pas le document en question. Parce que j’étais l’une des plus anciens membres de l’équipe et pour eux ça les arrangeait énormément que je démissionne, d’un point de vue financier ». Trahie par son ex-employeur qui ne cessaient de lui répéter qu’elle faisait partie de la famille Elena accuse le coup : « Je me suis retrouvée dans une situation où j’ai perdu tous mes droits (sécurité sociale, chômage etc.). Mon monde s’est écroulé. J’ai perdu mes papiers, mon boulot, ma vie !  Je n’avais plus rien. Je me suis sentie abusée. J’aurais compris qu’on me fasse payer une amende mais là c’était plus que ce je pouvais supporter ».

Et quand elle a l’impression qu’il ne peut rien lui arriver de pire, elle n’a fait que sous-estimer le mauvais karma. « Durant la même période je perds mon père. Et comme j’étais sans papiers je ne pouvais pas aller en Argentine pour son enterrement. Si j’avais pris un billet pour l’Argentine je n’aurais pas pu revenir en Espagne. Vu qu’aux yeux de l’Etat je n’existais plus. Je ne voulais pas prendre le risque de ne pas pouvoir rentrer chez moi à Barcelone.  J’avais perdu mon père mais je ne voulais risquer de perdre le peu de vie qui me restait ici en plus ».

Quelques jours plus tard le malheur s’invite à nouveau par effraction dans sa vie et dans son appartement qu’elle partage avec son grand frère. « Dans la foulée nous avons également subi un cambriolage, déjà que je n’étais pas à l’aise financièrement ça n’a rien arrangé ».  La succession de poisses a énormément impacté son train de vie et sa vie sociale. « J’ai passé 7-8 mois à toucher entre 180 et 200€, j’accompagnais une collégienne à l’école le matin et j’allais la chercher à la sortie des cours. Il faut se rendre compte que je me retrouvais sans papiers en pleine crise dans un pays de 6 millions de chômeurs ».

Si l’existence d’Elena a basculé dans les ténèbres à cause d’une négligence, elle doit néanmoins sa félicitée retrouvée à son intuition. « Ce qui m’a sauvé c’est que quelques temps après mon arrivée j’avais effectué une demande de nationalité espagnole. C’était mon unique espoir. En décembre je reçois un mail de mon avocat qui me fait savoir que ma demande de nationalité a été acceptée. »

Au moment d’évoquer cet épisode, elle a le souffle coupé, pudique elle retient ses larmes. «La veille j’étais désespérée. Je lisais dans la presse que l’Espagne avait refusé beaucoup de demande de nationalité cette année. Tu n’as pas idée. Le dimanche l’avocat me dit : ‘concentrons toutes nos forces sur la demande de nationalité’. Le lundi je lis ça dans la presse. Et le mardi je reçois un mail de mon avocat. Quand j’ai lu le mail il était 7h du matin. J’allais chercher la collégienne pour l’emmener à l’école et je me suis mise à pleurer dans le métro. Les gens me prenaient pour une folle. J’avais accumulé tant de rage et de peur en moi que j’avais besoin d’évacuer ».

L’hispano-argentine tient à me décrire l’enfer mental qu’elle vivait au quotidien: « Je me regardais dans la glace et je me disais waouh ! Tu as 29 ans et t’es là à essayer de survivre. D’ailleurs j’ai horreur de ce mot. Personne ne devrait lutter pour ‘survivre’. C’est inhumain. J’ai passé des semaines à m’auto-injurier, à tuer le peu d’estime qu’il me restait de moi-même. Je me répétais sans cesse : ‘Elena tu es une imbécile !’ J’ai pensé à plaquer le peu de chose qu’il me restait et retourner en Argentine à contre cœur. J’aurai pu sombrer et mal finir » lâche-t-elle un brin mélancolique.

Il ne se passe pas un jour sans que l’étudiante en psychologie se remémore cet épisode, mais elle souhaite avancer et découvrir l’Europe. « J’ai visité Londres il y a peu, je suis déjà allé à Bruxelles, J’aimerais visiter Paris ». Elena se sent pleinement européenne et en ce dimanche 25 mai c’est avec émotion qu’elle s’est rendue aux urnes pour la première fois dans son pays d’adoption.

« Ça va être une joie immense pour moi d’aller voter, c’est un honneur et un devoir quand je mesure le calvaire que j’ai vécu. Juste le simple fait d’imaginer que je vais aller voter et que je vais apporter ma contribution à mon pays me rend fière. Je suis très fière de pouvoir voter. Et ça devrait être le cas pour tous ceux qui ont la chance d’aller voter. J’estime que tous les gens qui respirent le même air que moi devraient avoir le droit de vote et l’opportunité de choisir par les urnes leurs dirigeants ».

Balla Fofana

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