Mon arrivée à Berlin se fait dans le brouillard de la maladie. La fatigue accumulée, les variations de température et la pluie polonaise ont eu raison de ma résistance. A 21 heures, l’air allemand me paraît bien froid avec mes 39° de fièvre. Autour de moi, l’énergie de cette ville m’étourdit. Ville d’artistes, capitale de la jeunesse créatrice, Berlin vit la nuit. Mais j’ai besoin d’une bonne dose de sommeil avant de me lancer dans ce tourbillon.

Jeudi, 11 heures. Légèrement requinqué, je me lance à la découverte des rues de la capitale allemande. Je suis les recommandations d’amis et me dirige vers les quartiers populaires de Kreuzberg et Neukölnn. On m’a donné l’adresse d’un restaurant Hasir, là où le fameux sandwich Doner Kebab aurait été inventé, et je tiens à vérifier sa renommée internationale. C’est en 1971 que Mehmet Aygün aurait eu l’idée de mettre la viande grillée traditionnelle en Turquie dans un pain Pita. Succès immédiat, le sandwich qui a depuis colonisé nos banlieues était né. Avec une curiosité purement professionnelle je commande un authentique Doner Kebab pour voir si la recette originale a connu des modifications en traversant le Rhin.

Sans surprise, le plat que l’on me sert n’a rien à voir avec le Kebab frites de ma jeunesse. La viande, légèrement croustillante, est grillée à souhait avec juste ce qu’il faut de graisse pour fondre en bouche. Servi avec du riz et une petite salade, le plat me transporte sur les bords du Bosphore où j’avais passé deux semaines, il y a deux ans. Bon, pour le même prix (12 euros), on aurait pu nourrir une bande de lascars affamés dans n’importe quel kebab de la rue (3,50 euros en moyenne le sandwich). Mais les clients de Hasir semblent apprécier la qualité des produits. En couple ou entre amis, Turcs ou Allemands, la clientèle reflète la population de ce quartier en pleine mutation.

Car si tout le monde m’a conseillé d’aller à Kreuzberg, c’est que ce quartier ouvrier est LE quartier qui monte à Berlin comme les abords du Canal Saint-Martin à Paris ou Hackney à Londres. Sauf qu’à Kreuzberg, les locaux mènent la vie dure aux jeunes branchés qui viennent s’installer. Les tenants de bars historiques, où la bonne bière coule à flots, voient d’un mauvais œil l’ouverture de cafés ou de restaurants originaux qui se multiplient ces dernières années. En juillet 2012, le Schiller Café Bar fut même le théâtre d’une attaque en règle : bris de vitrine, jets de peinture rouge. Les habitants reprochent à ces nouveaux arrivants, jeunes et cosmopolites, de les exclure de leur quartier en faisant inéluctablement monter les prix de l’immobilier.

Kreuzberg, c’est aussi le quartier où les nombreux jeunes Espagnols récemment arrivés en Allemagne s’installent lorsqu’ils débarquent en ville. Basti et Manuel, 26 ans, sont ici depuis neuf mois. En Espagne, ils travaillaient dans le tourisme. “Mais il n’y a plus de travail en Espagne” expliquent ces deux jeunes. Alors Berlin, c’est avant tout pour eux l’opportunité d’apprendre une nouvelle langue. Ils se sont rapidement intégrés à la société allemande mais ressentent un certain frein : “Les Allemands sont très polis mais peu chaleureux. Cela prend du temps de se faire de vrais amis” regrette Manuel. Et puis “j’ai l’impression que certains Allemands sont fatigués de nous voir arriver aussi nombreux” avance Basti.

Alors que la nuit tombe, je me dirige vers les canaux où de nombreux Allemands profitent de la fraîcheur du printemps. Rafaela, 27 ans, est une jeune dirigeante de start-up. Elle n’est pas contre l’arrivée d’Espagnols en Allemagne. Pour cette europhile convaincue, “la libre circulation est une des plus grandes avancées de l’Europe. Mais l’Allemagne ne doit plus payer pour d’autres pays. Nous avons fait l’effort de réduire notre dette, de couper dans nos dépenses. Aux autres pays de le faire.”

Rémi Hattinguais

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