Mehdi Nemmouche s’est-il radicalisé en prison ? C’est ce que laisse entendre de nombreux commentaires, mais pour Ouisa Kies, sociologue, ayant travaillé autour de la radicalisation en prison, le phénomène est plus complexe.  

Hier Mohamed Merah, mort sans avoir donné clairement les raisons de son acte, aujourd’hui Mehdi Nemmouche, toujours présumé innocent, qui n’a encore rien dit, mais que tous les éléments connus à ce jour accablent, et souvent le même parcours type décrit par les médias. Celui d’un délinquant, à l’histoire familiale difficile, qui plonge dans la délinquance avant de basculer dans le terrorisme religieux durant un séjour en prison. Pour Ouisa Kies, sociologue, ayant participé à une étude sur « le processus de radicalisation religieuse en prison », les choses ne sont pas si simples et plus nombreux sont les éléments à prendre en considération.

« Il faut distinguer la radicalisation qui n’est pas forcément religieuse mais aussi l’orthodoxie religieuse, qui ne veut pas dire terrorisme et qui n’est pas propre à l’Islam ». L’ETA, les brigades rouges, autant d’exemples qui rappellent que la radicalisation peut être politique, au nom d’une idéologie n’ayant aucun rapport avec la religion. Pourtant, avec les événements récents, radicalisation rime souvent avec religion, et plus encore, avec Islam dans l’esprit de nombreux commentateurs.

« Individu appartenant à une mouvance salafiste », expression entrée dans le vocabulaire dès lors qu’une action violente est perpétrée au nom de l’Islam. Et pourtant, comme le souligne Ouisa Kies, « être salafiste, c’est légal, il ne s’agit ni plus, ni moins que d’une forme orthodoxe de la religion. Ce n’est pas parce que quelqu’un se promène avec une grosse barbe et en ‘qamis’ qu’il s’agira forcément d’un terroriste. On utilise salafisme à tout va aujourd’hui ». Ouisa Kies rappelle ici qu’il existe trois formes de salafisme, le piétiste, qui prône un retour aux fondamentaux à travers une interprétation stricte et littérale du Coran et surtout une apolitisation totale, à l’inverse du salafisme politique et du salafisme révolutionnaire dont les partisans sont ultra-minoritaires. Le basculement réside donc dans le passage du salafisme piétiste au salafisme politique à travers des actes violents qui traduisent, à travers les cibles choisies, une vision politisée de l’Islam et du monde.

« Ces individus-là utilisent l’Islam comme un prétexte »

Ouisa Kies rappelle que « l’Islam est pensé pour beaucoup, notamment chez les convertis, comme la religion des soumis et des opprimés. Ils peuvent se convertir facilement contrairement aux autres religions et trouvent rapidement une place qu’ils n’avaient pas forcément dans la société. La conversion devient alors un prétexte, une réaction à l’impérialisme et le côté spirituel est complètement absent dans ces cas-là. »

Cela est d’autant plus exacerbé en milieu carcéral où la religion permet d’avoir un rythme dans des conditions qui restent difficiles avec un climat de haine et de violence dont il est difficile de sortir indemne. Elle permet également au détenu de se sentir membre de l’« oumma » (communauté universelle des musulmans) et donc pour Ouisa Kies, d’être plus attentif au monde qui l’entoure et au sort de ceux qu’il considère comme ses frères et qui sont opprimés. « Ils se sentent partenaires et dans l’obligation de faire quelque chose, de résister à l’Occident qui opprime ».

Reste qu’en prison, « les groupes terroristes se savent très surveillés, il est très difficile de se regrouper », dès lors cela se joue autre part, sur les réseaux sociaux notamment et là, tout est accessible, inutile d’être passé par la case prison pour devenir violent au nom de l’Islam.

« La majorité des terroristes ne sont pas passés par la case prison et on se radicalise plus facilement à l’extérieur »

Concernant les événements de 2001, Ouisa Kies rappelle que les terroristes n’avaient pas un parcours chaotique, au contraire, originaires du Golfe pour la plupart, ils étaient éduqués, avaient une certaine vision politique et surtout agissaient dans le cadre d’une organisation assez importante.

L’excellent travail fait par les services de renseignements français ou étrangers depuis cette période a eu un effet pervers : celui de forcer les terroristes à se faire plus discrets et donc plus difficilement repérables en investissant notamment la toile. Dès lors, il est extrêmement simple de se radicaliser, de décider d’avoir recours à la violence, seul, chez soi, mais en ayant des contacts sur les réseaux sociaux, « l’idéologie diffusée est assez forte pour influencer et c’est à partir de ce moment-là que l’on a vu apparaître les loups solitaires. C’est plus difficile en prison, car si on peut tout avoir, il est très difficile de se procurer une clé 3G sans compter que beaucoup d’adresses sont brouillées ».

Dès lors, « étant donné qu’il est très difficile de repérer les signes d’une radicalisation, le plus efficace est encore d’agir sur les raisons de cette radicalisation ». « La recherche d’une réponse religieuse est le signe d’un échec des gouvernements et des autorités religieuses », poursuit la sociologue.

Les critères sociaux jouent évidemment un rôle prépondérant dans le passage à l’acte violent dans des cas comme celui de Mohamed Merah ou Mehdi Nemmouche, tous deux issus de classes modestes et donc les familles sont originaires des anciennes colonies qui ont eu l’impression que la devise « égalité » ne s’appliquait pas pour eux. Pour Ouisa Kies, le tournant s’est opéré à la fin des années 80, et le constat que la « marche pour l’égalité et contre le racisme » n’avait pas apporté d’améliorations notables. Cela s’est accentué dans les années 2000 avec le vote de certaines lois, une libération de la parole et un contexte jugé islamophobe pour certains.

C’est ainsi que certains jeunes décident de se tourner vers la religion, ne croyant plus en l’Etat, en son action et en son pouvoir de changer les choses. Certains font le choix de se « ré-islamiser » et se construisent en réaction à l’islam traditionnel et loin d’être radical inculqué par les parents. Mais ce retour à la religion ne se constate pas seulement dans le cas de l’Islam. Il existe aussi au sein du mouvement évangéliste qui voit son nombre de croyants augmenter sans cesse note Ouisa Kies.

 » Le problème c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’aumôniers qui veulent aller en prison »

Reste que cela est également permis par les scissions au sein des autorités religieuses françaises telles que le Conseil français du culte musulman (CFCM) qui souffre des querelles intestines et hautement politiques que se livrent marocains, algériens, tunisiens et également turcs. La Mosquée de Paris se trouve donc sans légitimité aucune auprès d’un grand nombre de musulmans. Et si pour beaucoup, cela n’empêche pas une pratique sereine de leur religion, cela laisse le champ libre à des discours religieux violents et surtout politisés qui trouvent un écho chez certaines personnes.

Cette absence des autorités religieuses musulmanes se fait également sentir en prison où seulement une poignée d’aumôniers musulmans exercent. Absence qui laisse le champ libre à des « imams » autoproclamés. « Pourtant, même s’il n’y a pas de chiffres, il y a beaucoup de musulmans dans les maisons d’arrêt. Le problème c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’aumôniers qui veulent y aller, d’abord parce que cela demande du temps, et ensuite comme beaucoup m’ont dit, ils considèrent que les personnes incarcérées ne sont pas des bons musulmans donc ils ne veulent pas aller les voir. Alors qu’ils se rendent plus facilement dans les hôpitaux car le malade lui, contrairement au détenu, n’a rien cherché ».

Les explications sont nombreuses pour tenter de comprendre l’incompréhensible, les tueries de Bruxelles ou de Toulouse sont le nom de dysfonctionnements mais aussi d’un malaise en germe depuis longtemps dans la société française et qui appellent des solutions sur le long terme mais qui doivent intervenir rapidement.

Latifa Oulkouir

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