La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) n’a d’impressionnant que son nom. Ses locaux banals se situent dans une rue calme d’une ville de banlieue, Montreuil. Ses salles d’audiences ressemblent davantage à des salles de réunion impersonnelles qu’à une cour de justice. Chaque jour entre ses murs, des dizaines d’hommes et de femmes, dont le statut de réfugié a été refusé par l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), tentent le recours de la dernière chance.

La pièce est bondée. Certains sont contraints de rester debout. Il est 13h45. La première affaire de l’après-midi s’ouvre dans la salle d’audience numéro 3. Les ventilateurs tournent à plein régime. La Cour demande le silence. Velluppillai Jeyakumar s’est mis sur son trente-et-un. Chemise rose, pantalon à pinces noir. Et un attaché-case. Attaché-case qui contient une partie de son existence : coupures de presse, certificats médicaux… Le dossier d’une vie dont il voudrait tourner la page. Définitivement.

C’est d’une voix monotone que le rapporteur présente l’affaire de Velluppillai Jeyakumar. Originaire de Jaffna, ce Sri-lankais de 54 ans est en France depuis août 2008. « Du fait de son origine tamoule, il a fuit les persécutions dont il dit avoir été victime dans son pays », affirme le rapporteur. Sa demande d’asile a été rejetée en raison de dates non concordantes qui n’ont pas échappées à l’OFPRA. Le président de section demande au requérant des éclaircissements sur les brutalités qu’il affirme avoir subies.

Peu après le retrait des troupes indiennes du Sri Lanka en mars 1990, Velluppillai monte sa petite affaire et devient mécanicien. Sa clientèle se met à compter des partisans des LTTE, les tigres de libération de l’Eelam tamoul. Il se met à réparer des véhicules pour eux. C’est le début des problèmes pour lui. Des individus commencent à rôder dans le village. Puis autour de chez lui. En 2006, à la suite d’un attentat suicide revendiqué par les rebels Tamouls, il est arrêté par des militaires. « L’un d’eux ma violemment frappé avec la crosse de son fusil », raconte Velluppillai.

Les rencontres avec les militaires se multiplient. Et avec elles, les coups et les menaces. Si son frère est activement engagé dans la rébellion séparatiste tamoule, ce n’est pas le cas de Velluppillai : « J’ai seulement participé à quelques manifestations culturelles, comme des cérémonies d’hommages aux martyrs, jamais je n’ai jamais rejoint la lutte armée. J’avais une femme et des filles », explique l’ancien mécanicien qui a tout laissé pour se réfugier en France.

Son récit empli de violences, Velluppillai s’en souvint comme si c’était hier. Cette fois, les dates qu’il restitue sont très précises. Le président de section entouré de ses deux assesseurs écoute attentivement la traduction des propos du requérant. Car Velluppillai ne parle pas un mot de français. Un interprète est là pour faire la navette entre les langues cinghalaise et française. Habituellement, le plaidoyer précède l’interrogatoire de la Cour. Pour cette affaire, l’avocat a tenu à le faire à la fin.

Il tente de convaincre la Cour en revenant sur le profil du demandeur. « Velluppillai Jeyakumar a quitté son pays à l’âge de 52 ans, dit-il. Il a laissé femme et enfants derrière lui. Si on raisonne a contrario, il n’est pas venu ici pour faire fortune. Il était en danger. Ce cas relève de la Convention de Genève, on n’abandonne pas sa famille comme ça ! »

Le requérant suivant a quitté la Turquie en mai 2007. Kaya Hüseyin, 24 ans, est un ressortissant de la communauté kurde. Durant ses années au lycée, il a fait partie du comité révolutionnaire kurde de son école. Arrêté par la police pour avoir participé à des manifestations, il a fini par être soupçonné d’être membre d’une organisation terroriste. Et avec ça, il encourt quinze ans de prison. Son seul tort est « d’avoir fabriqué des pancartes ayant servi à des manifestations », répète le jeune homme frêle, dépité. Le président de la Cour interroge Kaya Hüseyin sur sa famille restée au pays. L’un des assesseurs bâille. Trois questions plus tard, le requérant est remercié. Affaire suivante.

Dans cette Cour, les histoires se suivent mais ne se ressemblent pas. Comme celle de Das Apu, Bangladais de confession hindoue, ou celle de Lingan, un autre Sri-Lankais. Celui-ci raconte avoir été parqué dans un camp de réfugiés tamouls à Vavunya. Les questions de la Cour, très précises, s’enchaînent. On lui demande notamment de décrire le camp militaire, le nombre de personnes par cellule.

En plongeant dans ses souvenirs, Lingan devient l’archéologue de son propre passé. Puis le juge lui lance : « Entendiez-vous des hélicoptères quand vous étiez enfermés ? » Cette question sonne pour lui comme un interrogatoire piège. Le demandeur n’ayant fourni aucune preuve de son séjour dans le camp militaire, le juge cherche à vérifier ses dires. Il s’effondre en larmes, expliquant entre deux sanglots qu’il a vécu l’enfer et entendu des gens souffrir, « comme s’ils se faisaient torturer, puis plus rien. Sans doute étaient-ils morts. »

Le cas suivant doit être jugé à huis-clos. En un après-midi, la salle d’audience a vécu un véritable tour du monde des conflits. Après les délibérations de la Cour, les requérants seront informés, quinze jours plus tard, du rejet de leur demande ou de l’annulation de la décision de l’OFPRA.

L’an dernier, sur plus de 45 000 recours formés devant la CNDA, 11% ont abouti à l’annulation des décisions de l’OFPRA.

Hanane Kaddour

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