Idir et son épouse sont au restaurant avec une demie-finale en fond sonore. Les plats défilent mais à la télé, ce sont les cages brésiliennes qui bouffent du but allemand.

Ce soir, ma femme a jeté son aspirateur dans le salon en visant ma tête posée sur le canapé. Certes, aujourd’hui, comme un trimestre sur deux, c’était censé être soirée resto. Celle où on se lave avant de sortir et où on paye le parking souterrain au lieu de se garer dans la rue à la manière d’un Mikado. Mais une demi-finale de coupe du Monde c’est tous les 4 ans, on pourra allez faire les bourgeois qui se font servir du pain à la rentrée, ai-je plaidé.  Cette réponse l’a mis dans un de ces états… Elle est devenue verte et son jean était sur le point de se craquer. C’est ça le féminisme !

Elles ont des droits maintenant, des acquis, toute la sérénade des sirènes dansantes. Les compromis c’est bon pour les meufs en burka désormais. Restaurant en plus, elle croit quoi la pouliche ?! Elle a épousé un Bondynois, à la mairie de Bondy, au Saint-Siège des rats de la casse. Même si j’ai pas tout de suite mis en avant cet aspect culturel de notre cité, les aperiboules en guise de buffet de mariage, la boite de Vache Qui Rit en dessert, ce quatre-quarts aux M&M’s ou cette étiquette « Barbès couture » accroché à mon costume de location auraient dû la mettre à l’aise avec le concept « restaurant = kebab-frites ».

Juste avant de hausser le ton, quelque chose au fond de mon cerveau, à gauche à côté du radiateur, a levé la main. J’entends si rarement mon bon sens dire un mot que je lui ai tout de suite donné la parole : « Tu peux regarder le match et aller au restaurant en même temps grand salsifis« . Et ouais c’est pas tebé ! Ils ont tous la télé dans leurs gargotes. Sauf chez Hamza Pizza, notre adresse habituelle, ils n’ont que la radio, et à la place de la télé, un cadre de paysage de Kabylie rebaptisé « La Toscane éternelle« . La Toscane ? Avec Nordine les moustaches entre deux oliviers, en arrière-plan, se bouchant une narine pour souffler dans l’autre ? Enfin bref, sans télé on snobe la pizza quatre fromage Babybel-Kiri-parmesan. Ambiance des grands soirs obligatoire : pull-over pour le bonhomme, le couple boucles d’oreille-espadrilles pour la lady, direction le restaurant où on vous sert le Coca à 3 euros 75, le restaurant parisien. What else ?

Sur le chemin des drapeaux du Brésil volètent au bord de quelques fenêtres de beaux bâtiments haussmanniens. Mauvais signe. J’ai vu le drapeau algérien dans les rues, il y a deux semaines (je l’ai aussi vu pour un match Corée du Sud-Laos, à l’indépendance du Kosovo, et je vous l’assure, durant un congrès du FN). J’ai aussi vu le drapeau français dans les rues de Bondy la semaine dernière. J’ai encore une fois vu l’étendard tricolore flottant sur ces images de Narvik en Norvège, en mai 1940, après le débarquement du corps expéditionnaire français, quelques jours avant que les Allemands n’entrent dans Paris.

La meilleure armée du monde ou le favori d’une coupe du monde c’est le plat national de l’Allemagne. Ils bouffent ça comme du petit beurre trempé dans du lait. Le temps de que ma femme réussisse son créneau, j’ai entendu « but ! » alors que mes fesses n’étaient même pas encore posées dans le restaurant. J’ai à peine mis une datte dans ma bouche : double-but. A ce moment là, tous les hommes en couple présents dans le restaurant, moi le premier, ont largué leur épouse, perdues seules dans l’infini de leur conversation. 24e minute, 26e, 29e, but, but, et rebute derrière. La demie-heure était à peine passée, déjà 5-0 pour l’Allemagne, contre le Brésil, cette superpuissance du football, avec cinq coupe du monde à son compteur et qui joue à domicile, devant son public fanatisé. Certains supporters brésiliens n’ont toujours pas digéré l’humiliant et si inhabituel 3-0 infligé par la France de Zidane et Deschamps en 1998. 5-0 avant la demie-heure de jeu, une noix de coco qui glisse dans leur intestin…

A la télé, des images d’un enfant brésilien dans les gradins, supporter malheureux, pleurant à chaudes larmes. Où est sa maman ? On est vraiment tous de grands salopards parce que tout le restaurant a rigolé, même moi, qu’Allah nous pardonne. Mais à 6-0, dans la deuxième mi-temps, on a dit stop. Une victoire, même large c’est de bonne guerre, mais là où l’humiliation commence, le rire s’éteint. Le Brésil ça se respecte. Je sais même pas si cette équipe a déjà perdu 6-0 dans son histoire (1920 contre l’Uruguay). Même au temps du ballon en cuir marron, une époque où tous les joueurs montaient à l’attaque laissant comme unique défense le gardien de but, ce score n’était pas si courant.

7-0 à la 79e minute… babyfoot ! FIFA 95 sur Super Nintendo avec l’une des manettes débranchée. Résultat final : 7-1. Rolland Garros. But inutile du Brésil. Tous les cancres de la Terre vous diront que 00/20 c’est mieux que 01/20. Zéro, c’est que tu as rien foutu. 01 t’as quand même essayé mais t’es qu’un gros nul !

Avec ce 7-1 contre le Brésil, la nation du football par excellence, on porte un tout nouveau regard sur l’équipe du Ghana qui est sorti de son duel contre la Mannschaft avec les honneurs d’un 2 partout. L’Algérie qui l’a poussée dans les prolongations ou les Bleus qui ont perdu de justesse frisent ainsi l’héroïsme sportif.

Je suis trop con pour comprendre cette défaite, honnêtement. J’ai fait histoire-géo, pas STAPS. Neymar, forfait pour blessure, était-il vraiment le totem de cette équipe ? Impossible, c’est pas du tennis, un sport collectif ne peut pas reposer sur une personne, pas depuis que Pelé ne joue plus au foot ou que Lev Yachine ne garde plus les cages de l’équipe russe. L’Allemagne ne rigole pas avec les revanches. Elle perd la première guerre mondiale ? Vingt-deux ans plus tard, Göring installe le quartier général de la Luftwaffe au Ritz en plein Paris. Elle échoue en finale de la coupe du monde contre le Brésil en 2002 ? Douze ans après, elle fait pleuvoir des buts dans les cages adverses jusqu’à ce que le filet craque.

Je ne sais pas qui des Pays-Bas ou de l’Argentine affrontera cette équipe qui vient de faire le plein de confiance en soi, mais j’ai peur pour eux. Un petit mot aux joueurs brésiliens qui vont passer une mauvaise nuit, surtout le gardien. Enfermez-vous dans vos toilettes et pleurez un bon coup. Ça évacue. C’est ce que j’ai fait quand j’ai perdu les six combats de ma première compétition de judo, en partie parce qu’on m’a surclassé deux catégories au-dessus après avoir avalé le sandwich omelette merguez préparé par maman juste avant la pesée. Une fois vos canaux lacrymaux vidés de toute larme, dites vous ceci : même si pour ma part j’ai fini ma carrière sportive ceinture jaune, pour la vôtre, du moment que ce cuisant échec vous apprend quelque chose, alors vous n’êtes pas vraiment perdant.

Idir Hocini

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