TALENTS EN COURT. Sélectionnée en juillet 2014 pour présenter son projet de court-métrage fantasmagorique Lili, Fatma Benyoub, 30 ans, est à la recherche d’un producteur. Portrait.

Il y a des gens dont on ne soupçonnerait pas le parcours incroyable. Des gens qui savent rebondir sur les difficultés de la vie afin de les tourner à leur avantage. Fatma Benyoub est de ceux-là.

Son projet Lili, sélectionné par Talents en Court et Les Ami(e)s du Comedy Club, est un conte horrifique retraçant la passion amoureuse d’une adolescente éconduite évoluant dans un monde fantasmagorique entre un garçon qui ne l’aime pas et une mère en quête de jeunesse éternelle.

Dans un pays où le cinéma de genre est encore trop rare, pas étonnant que Fatma Benyoub nous revienne tout droit des États-Unis. Où elle s’est fait la main, dans le milieu de la publicité, en Californie. Une expérience positive qui lui a permis de travailler (« alors qu’en France, j’aurais été cantonnée à des stages ») et d’apprécier l’efficacité des Américains (« là-bas, quand ils font quelque chose de bien, ils le font très bien et s’ils ne savent pas faire, ils trouvent une solution plutôt que de te dire non »). La raison de sa migration pendant neuf ans ? « Ici, on parle beaucoup et on ne met pas en valeur la jeunesse ». Celle de son retour ? « J’ai eu une grosse remise en question, fait un séjour en Argentine et au Brésil, et de retour à Los Angeles, j’ai compris qu’il me fallait rentrer».

Son retour a été radical : « J’ai tout vendu et pris un billet sans retour. Deux semaines après, j’étais à Grigny (91) pour un atelier d’écriture avec des jeunes ». Conviée par l’association Mille Visages de Viry-Châtillon (91), Fatma Benyoub a réalisé son premier court-métrage, Règlement de conte. Et a surtout trouvé auprès des membres de cette association fondée en 2006 « des gens que je n’avais pas à l’époque où je suis partie ».

Aînée de sept frères et sœurs, Fatma Benyoub est née en 1984 de parents algériens. Son père, « volatilisé » lorsqu’elle était enfant, la laisse auprès d’une mère au foyer souffrant de problèmes psychiatriques. A Marcadet-Poissonniers, dans le 18e arrondissement de Paris, Fatma Benyoub vit une enfance « tragi-comique » : « tragique parce qu’à la Dickens, comique parce que j’ai toujours eu une personnalité optimiste en allant à la rencontre de gens que je ne connaissais pas ».

Le cinéma, sa « deuxième, voire première maison », l’aspire dès l’âge de 7 ans. Au Pathé Wepler de la Place de Clichy, son « temple », Fatma Benyoub voit un, deux, trois films d’affilée. Et ment à sa mère, empruntant de l’argent pour des « sorties scolaires » imaginaires qui servent à payer ses tickets. Par la suite, son placement en foyer nourrira son amour du cinéma et des voyages grâce à une éducatrice (« qui avait la foi et croyait en son métier ») qui lui permet de louer des VHS chaque weekend et l’envoie en colo à l’étranger.

Élève « atta-chiante » (« pas méchante ou violente mais impulsive »), Fatma Benyoub passe un Bac L puis intègre la fac de Paris 3 en LLCE espagnol et anglais qu’elle arrête pour gagner Montpellier et y suivre des études de cinéma. Là, elle découvre Le Parrain, se prend une grosse claque (« les Italiens sont comme les Arabes : la grande famille, le patriarche…  ») et décide de partir en Italie. Durant son année d’études à Rome, elle économise pour faire « un pèlerinage » en Sicile :  visiter le village de Corleone avec la musique de Nino Rota sur les oreilles : « la boucle était bouclée ».

Acceptée en Master cinéma à la California State University aux Etats-Unis, elle décroche son TOEFL, arrive à prouver en cumulant les bourses qu’elle aura assez d’argent pour séjourner sur place et se retrouve du jour au lendemain « à « Pleasantville » : tout le monde sourit. Quand tu es Européen, c’est super flippant ! ».

Adepte du cinéma muet et des univers de Tim Burton, Alejandro Jodorowsky ou Guillermo del Toro, Fatma Benyoub regrette que le cinéma français soit « un cinéma de Blancs » : « encore aujourd’hui, on donne aux Noirs des rôles de Noirs et aux Arabes des rôles d’Arabe. Le cinéma français n’a pas encore son Denzel Washington ou son Will Smith ».

Alors, revendiquant sa pluralité (« je suis une femme, d’origine algérienne, qui fait du cinéma fantastique d’inspiration américaine et fellinienne »), Fatma Benyoub aimerait mettre en scène « des marginaux » en traitant le cinéma fantastique « de manière normale », « afin de leur rendre justice ».

Claire Diao

Crédit photo :©Julia-Cordonnier/ Les Ami(e)s du Comedy Club

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