Iyad est un réalisateur de 27 ans originaire de Khan Younès, dans la bande de Gaza. Il est passé par la Corse pour finir ses études en cinéma avant de retourner chez lui. 

Comment vous est venue l’idée d’aller en Corse ?

En 2009, je finis mes études de français à l’université al-Aqsa de Gaza. Grâce à un échange entre mon université et l’université de Corse, j’ai eu la chance d’aller sur cette île pour continuer mes études dans le domaine du cinéma. Je n’oublierai jamais le rôle de l’association Corsica Palestina qui m’a accueilli et pris en charge pendant mon séjour. Elle m’a notamment payé l’inscription à l’université, le billet d’avion aller-retour et donné une somme d’argent tous les mois.

Ainsi, j’ai pu obtenir en 2012 un master en réalisation, production et écriture du cinéma puis un deuxième master en techniques audiovisuelles image et son, en 2013 à l’IUT de Corte.

963848_10151702760147327_1787368310_o963848_10151702760147327_1787368310_oDans le cadre du partenariat entre l’université de Corse et le Grec (Groupe de recherche et d’essai cinématographique), je suis venu en Corse avec un projet de documentaire sur la situation des pêcheurs de Gaza. Au large de Gaza, les pêcheurs palestiniens ne peuvent pas dépasser les deux milles marin [soit 3,7 km]. S’ils franchissent cette limite, ils se font bombarder par la marine israélienne. Cela fragilise grandement l’équilibre écologique d’une part car la surpêche dans la zone restreinte fait que les poissons n’ont pas le temps de se reproduire et donc se raréfient. D’autre part, imaginez-vous que ces pêcheurs nourrissent 70000 bouches palestiniennes ! Une pénurie pourrait conduire à des situations humanitaires catastrophiques.

Comment s’est passé votre trajet vers la Corse ?

Le seul passage entre Gaza et le monde extérieur est le passage de Rafah, à la frontière égyptienne. Quand j’ai eu la chance d’obtenir un visa pour aller en France, j’ai dû décaler mon voyage au moins cinq fois avant de pouvoir passer la frontière en raison du blocus israélien et arabe. Puis j’ai mis sept heures en taxi avant d’arriver à l’aéroport du Caire. Je n’ai pas eu le courage de prendre les tunnels entre Gaza et l’Egypte parce que c’est dangereux et illégal. Et il m’a été impossible de décoller depuis l’aéroport de Tel-Aviv.

Il faut savoir que pour quitter Gaza, on doit être en maladie grave, étudiant ou porteur d’une nationalité étrangère. Un citoyen normal est forcé de rester à Gaza sous le blocus. Il n’a pas le droit de voyager. Pour les Gazaouis, il est plus facile de monter au ciel que de passer les frontières. Voilà pourquoi on parle de « prison à ciel ouvert ».

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Comment s’est passé votre séjour ?

C’était la première fois que je quittais ma ville natale, Khan Younès, et aussi la première fois que je prenais l’avion. Malgré la beauté de la France et de sa capitale, Paris, cela a été difficile pour moi de quitter ma maison, mon quartier où j’ai vécu 24 ans. J’ai laissé derrière moi mes amis, ma famille, mais aussi la mauvaise routine du chômage.

C’était l’un de mes rêves d’aller en France. Je ne la connaissais qu’à partir de photos ou de livres. Pendant mes deux jours à Paris, j’ai visité la tour Eiffel, la cathédrale Notre-Dame, j’ai pris le métro, je me suis promené sur les quais de Seine. Puis j’ai décollé pour la Corse. Là où il y a la Méditerranée, la même qu’à Gaza.

Parlez-nous de votre documentaire.

Avant de venir en Corse, je n’avais jamais fait de cinéma. Je n’avais aucune idée de la construction d’un film, mais grâce au soutien de mes amis et professeurs, j’ai appris. Mon documentaire s’appelle « Donne un poisson à un homme ». Il a été sélectionné dans plusieurs festivals internationaux et a remporté deux prix (3eme prix du festival CAM du Caire en catégorie court-métrage, mention du jury Jeunes au festival de films des pêcheurs du monde à Lorient). Il a également été acheté par France 3 Corse Via Stella.

Une fois, lors d’une conférence de soutien aux Palestiniens à Bastia, un pro-israélien m’avait critiqué et coupé la parole tout le long de mon intervention mais après avoir vu le film, il m’a félicité. Aussi j’ai accepté de faire une projection en présence des membres de l’UJFP (Union juive française pour la paix) à Paris. Après être rentré à Khan Younis, je n’ai pu accompagner mon film dans les autres festivals où il a été sélectionné en raison de la fermeture du passage de Rafah.

415783_10150841311122327_1328510962_oCe film, était-ce un moyen de mieux faire connaître la situation à Gaza ?

Bien sûr. Beaucoup de personnes que j’ai rencontrées en France et dans les festivals avaient des idées confuses voire erronées à propos de la Palestine et de Gaza. Aussi bien étudiants que professeurs ou professionnels. Je leur ai expliqué la réalité de la situation là bas : des problèmes des jeunes, des travailleurs, des artistes, de l’emploi… Par exemple, mes amis pêcheurs en Corse ne savaient pas qu’il y avait des navires militaires israéliens au large de Gaza, et que les pêcheurs risquaient à tout moment leur vie en mer. Les paysans en Corse ne savaient pas que les agriculteurs chez nous ne peuvent exporter leur production à l’étranger à cause d’un blocus inhumain qui dure depuis plus de sept ans.

Comment est votre quotidien depuis que vous êtes rentré ?

Je suis revenu à Gaza pour travailler dans le domaine du cinéma ou de la télé. J’ai préféré revenir pour partager mon expérience même s’il est difficile de trouver du travail. D’un autre côté, c’est tout aussi difficile de trouver un travail en France, mais mes amis palestiniens me reprochent toujours le fait d’être revenu à Gaza. Aujourd’hui, je suis marié, j’essaie de trouver un emploi mais ce n’est pas facile : le niveau du chômage dépasse les 40%.

Actuellement, avec ce qu’il se passe, je reste tout le temps à la maison auprès de ma famille. Chaque minute, je tourne le bouton de la radio pour avoir les  dernières nouvelles de l’agression israélienne. Toute la journée des avions militaires couvrent le ciel, sans parler des bruits d’explosions et des sirènes d’ambulances. Dans mon bâtiment, il y a trois étages et plus de vingt résidents. Imaginez si l’armée israélienne nous appelle et nous demande d’évacuer dans les cinq minutes qui suivent parce qu’ils vont le bombarder… Dieu merci jusqu’à maintenant, on ne nous a pas appelé et je ne le souhaite pas. Mais les maisons de tous les Gazaouis sont menacées car elles sont sur les cibles de l’aviation israélienne.

Ces cibles sont censées être des membres des brigades de résistance en Palestine, mais est-ce que les enfants, les femmes et les vieux sont des résistants? Pourtant ce sont eux les plus touchés. Les enfants qui jouaient sur la plage ? Étaient-ils des terroristes ? On n’arrive pas à croire ce monde qui nous parle de paix et d’humanité! On n’arrive pas à entendre les voix des organisations des droits de l’Homme à cause des bombes qui nous ont rendu sourds! On n’arrive pas voir l’azur tant la fumée des bombes couvre le ciel de Gaza !

Vous êtes-vous habitué à ce danger permanent ?

1987 est l’année de ma naissance mais également celle de la première Intifada. J’ai vécu les affrontements suite à l’ouverture du tunnel sous le Mont du Temple en 1996, la deuxième Intifada en 2000 puis les opérations israéliennes qui se succèdent depuis jusqu’à « Bordure protectrice » aujourd’hui en 2014. J’ai vécu avec ce danger depuis toujours donc je prends mes précautions. J’ai seulement évité « Pilier de défense » en 2012 parce que j’étais en Corse. Malgré tout, j’étais très inquiet et triste pour mes proches. Pendent ces moments j’aurais voulu être avec eux.

L’armée israélienne avertit-elle toujours la population comme elle le déclare ?

Comme je vous l’ai dit, les maisons de tous les Gazaouis sont des cibles potentielles. Depuis le premier jour de la guerre, Israël applique une politique de rasement de toute la bande de Gaza. Leurs drones lancent un premier missile « léger » pour prévenir les gens que leurs maisons seront bombardées dans les minutes qui suivent. Ou bien l’armée israélienne prévient par téléphone. Mais ce n’est pas tout le temps le cas comme ils veulent le faire croire. Je peux vous affirmer que plus de 50% des foyers ne sont pas avertis et on le voit quand des familles entières sont tuées par ces bombardements.

Israël accuse le Hamas d’avoir assassiné les trois Israéliens kidnappés en Cisjordanie pour justifier ses attaques. Qu’en pensez-vous ?

Tout le peuple palestinien est contre la violence mais Israël est un pays qui commet des crimes contre l’humanité en Palestine depuis 1948, par exemple avec les massacres de Deir Yassin, Sabra et Chatila et bien d’autres. Aussi, elle laisse ses colons en Cisjordanie attaquer les civils, détruire leurs champs et brûler leurs lieux de culte en toute impunité.

Moi je ne défends pas le Hamas, mais le Hamas n’a jamais dit qu’il était l’auteur de l’enlèvement et de la mort des trois jeunes israéliens. Par contre, ce sont bien des extrémistes juifs qui ont brûlé vif Mohammed Abu Khdeir à Jérusalem (suite à la découverte des corps des trois Israéliens).

Le Hamas ne souhaite pas une solution de paix avec Israël, Etat qu’il juge illégitime et illégal. A Gaza, la majorité de la population a voté pour eux. Que pensez-vous de cela ?

Pour nous, Palestiniens, le Hamas est un mouvement national qui résiste pour nous rendre les droits qui nous ont été volés par l’Etat d’Israël. Le Hamas avait déclaré en 2006 être prêt à « accepter le statut de l’Etat d’Israël si ce dernier reconnaît un Etat palestinien indépendant sur les frontières de 1967 ». L’Autorité palestinienne ainsi que les membres de la Ligue arabe ont aussi leur rôle à jouer. N’oubliez pas enfin qu’on est un peuple sous occupation et qu’on a tous le droit de résister jusqu’à la fin de cette occupation illégale.

Par ailleurs, la communauté internationale n’a pas laissé la moindre chance au Hamas de travailler et jouer son rôle après sa victoire aux élections en 2006. Selon moi, c’était une faute et cela a motivé les Palestiniens à rester aux côtés du Hamas.

Justement, que pensez-vous de l’attitude de la communauté internationale dans ce conflit ?

Malheureusement, la communauté internationale n’est pas neutre et n’est pas juste, elle a une logique impérialiste. Cette communauté est toujours du côté d’Israël en invoquant « leur droit à se défendre » mais les Palestiniens opprimés depuis 1948, eux, n’ont le droit d’avoir le moindre des moyens pour survivre comme le reste du monde.

Les massacres contre les Palestiniens n’ont jamais été réellement condamnés par cette communauté internationale. Puis quand vous êtes le chouchou des Etats-Unis… Aujourd’hui être puissant rend intouchable.

Pensez-vous que le conflit israélo-palestinien est sans fin?

Toute est possible. Je reste optimiste. Je souhaite surtout que les prochaines générations n’aient pas à vivre la situation qu’on vit aujourd’hui. On en a marre de toute cette violence dans nos vies. Mais parfois je suis pessimiste. Quand je me retourne vers le passé, je vois que mes grands-parents ont vécu l’occupation, puis la génération de mes parents et encore ma génération. Ça me fait mal au cœur quand je vois le monde entier défendre et commémorer la Shoah mais laisse un peuple se faire tuer en silence.

Selon vous, la culture et l’art sont-ils des moyens d’arriver à faire entendre la cause palestinienne?

L’art et la culture sont les nourritures de l’âme et de l’esprit. Je trouve que ces deux domaines sont très efficaces pour faire passer des messages. Ce qu’on voit aujourd’hui, la mobilisation de l’opinion publique dans le monde, c’est aussi grâce à nos poètes comme Mahmoud Darwich, nos chanteurs comme Mohammed Assaf. Loin des discours politiques, le style des écrivains et des artistes peut être plus redoutable que des tirs de roquettes.

C’est pourquoi j’ai décidé de poursuivre mes études dans le cinéma. Parce que j’y ai trouvé l’utilité, l’importance de son rôle pacifique pour changer les choses et mobiliser les peuples.

Comment voyez-vous votre futur?

474678_10150638473832327_808420580_oJ’espère que je ne regretterai pas d’être revenu à Gaza. Et j’espère que je vais pouvoir gagner ma vie en réalisant des films sur la Palestine, son histoire, sa culture. Mais mon horizon, comme celui de chaque palestinien, est sombre et inconnu. Nos vies ne sont assurées dans cette région, mais je souhaite qu’un jour la paix revienne pour qu’on puisse partager notre joie de vivre avec les peuples du monde entier.

Actuellement, Iyad n’a plus d’électricité, ni d’eau courante. L’aviation israélienne a détruit l’unique centrale qui alimentait toute la bande de Gaza, et sans électricité, les pompes de distribution ne peuvent plus tourner. Les hôpitaux fonctionnent avec des générateurs de secours. Il n’a pour l’instant pas vu de convoi humanitaire et il y a eu une hausse brutale du prix des aliments. 41 membres de sa famille sont morts depuis le début de l’opération « Bordure protectrice ».

Bande-annonce de « Donne un poisson à un homme » :

Kevin Té

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