Près de 20% des bacheliers se réorientent à l’occasion de leur première année universitaire. Un chiffre qui augmente. Si l’orientation est une réelle problématique dès le collège, le casse-tête se poursuit même à la fac.

Septembre est un mois qui sent le protège-cahier neuf et les feuilles mortes. Septembre rime aussi avec le « driiiiing » du réveil et celui qui annonce la fin de la récré. Septembre c’est tout simplement la fin des vacances et la reprise de l’école. Petite, cette période de l’année me fascinait. Je trouvais qu’il était génial de recommencer une année à zéro en changeant d’instit, en ayant une nouvelle classe avec de nouveaux amis, en renouvelant son cartable, son agenda et sa trousse. J’avais à peu près 9 ans.

Dix ans plus tard, mon point de vue sur la question a bien changé. Au fil des années, je me suis rendue compte que l’école était beaucoup moins ludique. Sans compter les examens et la pression qui rendent le quotidien beaucoup plus oppressant. « Le bac arrive beaucoup plus vite qu’on ne le pense, c’est à vous d’adopter dès maintenant une discipline adéquate« , voilà le genre de répliques qui rythment les rentrées lycéennes. Ainsi, ma vision concernant cette période de l’année s’est progressivement assombrie. Et je ne suis pas la seule: Léa, Adam et bien d’autres camarades sont dans le même état d’esprit.

Léa a décroché son bac littéraire, mention assez bien, en juillet 2013. En septembre 2013, elle entame sa première année à l’université : « à l’origine, je pensais commencer une licence de Pratique de l’Ecrit, sauf que je me suis vite rendue compte que non, il était question d’une licence de Lettres Modernes. ‘Pratique de l’Ecrit’ n’était en fait qu’un parcours qui se traduisait par trois heures de cours par semaine, un semestre sur deux, et une mention pratique de l’écrit sur la licence. Sur le site de l’université, les choses n’étaient pas du tout présentées comme telles« .

Pourtant lors de ces vœux d’orientation effectués au cours de son année de Terminale, Léa jure s’être très bien documentée : « j’avais pris mon orientation très au sérieux, en me disant que mon avenir scolaire en dépendait totalement. J’ai eu plusieurs rendez-vous avec des conseillères d’orientation, j’ai fait les journées portes ouvertes, rencontré des étudiants pratiquant le rythme universitaire« .

Seulement dès son premier mois de cours en Lettres Modernes, Léa se rend compte que ce n’est pas du tout ce qu’elle aime « et pourtant j’ai fait un bac L, mais là c’était complètement différent : du latin, de l’analyse de texte tellement intense que tu te demandes si ton prof n’a pas fumé des trucs bizarres pour partir si loin dans les explications« . À ce stade de l’année, elle ne peut rien faire, le semestre est bien entamé.

En janvier elle a possibilité de se réorienter, mais elle reçoit les résultats des partiels: son premier semestre est validé. Ses proches lui conseillent alors de terminer et de valider l’année. Elle suit malgré elle les recommandations de ces derniers : « je me suis dit que de toute façon les formations que je visais, notamment un BTS de communication, ne commençaient qu’en septembre. Pendant les cours qui ne m’intéressaient pas du tout, j’organisais ma réorientation : lettres de motivations, CV« .

Elle demande trois BTS et une licence de communication. Ces quatre formations appartiennent à l’Académie de Paris, qui n’est pas la sienne : « moi je dépends de l’académie de Versailles, mais les formations de mon Académie sont vraiment beaucoup plus loin de chez moi que celles qui sont à Paris« . En mai 2014 elle passe ses partiels qu’elle a brièvement révisés « je me suis surtout rappelée du peu que j’écoutais en cours, et encore une fois les méthodes acquises au lycée ont sauvé les meubles« . Elle valide son année « oui j’étais… contente, mais ce n’était pas ma préoccupation première. Moi ce qui m’intéressait c’était ma réorientation et les résultats des premières phases d’admission« .

Le 23 juin 2014, à 14 heures précises, Léa est connectée sur son compte APB (Admission PostBac). « J’étais autant stressée que le jour des résultats du bac. L’attente devant mon ordinateur était interminable« . Le verdict tombe enfin : Léa n’est acceptée dans aucune des formations qu’elle convoitait, elle est sur liste d’attente sur les quatre formations demandées. Deux autres phases d’admission ont eu lieu durant le mois de juillet, les résultats n’ont pas fructueux. Par précaution elle s’est réinscrite en deuxième année de Lettres modernes : « certains essayent de me remonter le moral en me rappelant que j’entre en deuxième année, et non pas en première, ce qui aurait été le cas si j’avais obtenu ma réorientation. Sauf que je me fous de savoir si je vais être en première ou en deuxième année, moi ce qui compte c’est faire quelque chose qui me plaît, et là ça ne va encore pas être le cas« .

Durant toute la durée de son orientation, puis de sa réorientation, Léa n’a été qu’un numéro de dossier APB. Son bac, sa mention, la validation de sa première année de Lettres modernes, sa motivation, ses lettres de motivations, ses études sur des livres de communication, ses études de campagne de communication, ses nuits blanches, ses lettres de recommandation des professeurs, son investissement n’ont servi à rien puisqu’elle se retrouve dans son université d’origine à la rentrée. À quoi bon s’efforcer à obtenir son Bac (parfois avec mention), pour ensuite subir une orientation non désirée ?

Léa n’est pas un cas isolé. Je me rends compte que beaucoup de camarades ayant obtenu leur bac il y a deux ans ont également été déçus de l’orientation « choisie ». Adam a obtenu en juillet 2013 son bac ES au rattrapage. En septembre 2013, il effectue sa rentrée en DUT TC (Diplôme universitaire de technologie en technique de commercialisation). Dès les premières semaines, il se rend compte que le contenu des cours ne lui convient pas : « ce n’était pas du tout ce que la conseillère d’orientation, que j’avais rencontrée en Terminale, m’avait vendu« .

Il a alors connu cette période de panique que connaît tout étudiant qui souhaite se réorienter : « Je ne savais pas quoi faire, comment m’y prendre pour changer d’orientation. Quand je posais des questions aux profs, ils ne savaient pas y répondre. J’avais l’impression de perdre mon temps« . Pendant plusieurs mois, Adam a cherché une solution, chercher la formation qui lui convenait « mais quand tu t’es fait avoir une fois, tu es deux fois plus méfiant. Tu te dis que tu vas peut-être tomber à nouveau dans une filière qui ne te conviendra pas« .

N’ayant personne autour de lui pour l’orienter et l’encourager dans ses choix, Adam a abandonné les cours, les exams, l’orientation, APB et tout ce qui s’en suit. Grâce à son BAFA (Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur), il travaille avec des enfants. Lorsqu’il étudiait encore il ne travaillait que durant les vacances scolaires, maintenant il fait les cantines, les garderies et les mercredis. « J’aimais bien l’école moi à l’époque où j’étais au lycée, mais le problème est ensuite de trouver sa voie. Et tu n’es pas vraiment aidé pour la trouver. Donc soit tu es très patient et tu te cherches, soit tu fais comme moi et tu sors du système scolaire« . Son job est précaire, Adam en a bien conscience « mais pour le moment ça me va, je fais un truc qui me plaît et en contrepartie je touche un salaire« . Néanmoins, il ne se voit pas animateur toute sa vie « je sais que le temps passe vite et qu’il est préférable pour moi de faire des études tant que je suis jeune pour ensuite avoir un ‘vrai’ travail, mais je ne sais pas quelle formation suivre« .

En janvier 2013, Vincent Peillon alors ministre de l’Éducation nationale se félicitait d’avoir « raccroché 23 000 décrocheurs« , un objectif fixé un an auparavant (20 000 en formation initiale diplômante et 3000 en formation civique). S’occuper de cette jeunesse en détresse scolaire est une chose, leur permettre de s’orienter comme il faut en est une autre.

Sarah Ichou

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