A l’occasion d’une Ecole du blog, nous avions reçu Charles Enderlin, journaliste français et israélien, correspondant à Jérusalem pour France 2 et auteur de nombreux ouvrages. Marie-Aimée a lu le dernier en date : Au nom du Temple -Israël et l’irrésistible ascension du messianisme juif-.

Le sionisme des origines était libéral et pragmatique. S’inspirant de l’Antiquité biblique, le fondamentalisme messianique juif s’est développé dès 1967. Il favorise le développement de la colonisation juive dans les territoires occupés. Il s’oppose à toute concession territoriale et à la création d’un Etat Palestinien. Le Proche-Orient est-il parvenu à un point de non-retour ? Question difficilement soluble, à laquelle Charles Enderlin apporte des éléments de réponses.

En Palestine, les Britanniques ont permis le développement modéré de la présence de Juifs en majorité laïques. Or les Arabes refusent qu’on attribue leur terre à un autre peuple. Ils se révoltent en 1936. Suite à un plan de partage entre Juifs et Palestiniens proposé par Londres, le mouvement sioniste doit choisir la nature de l’Etat juif qu’il veut créer en Palestine. Soit un Etat laïque pour les Juifs retournant comme peuple sur leur terre ancestrale ; ou bien un Etat à dominante messianique, avec un groupe cultuel trouvant refuge sur la terre promise par Dieu à leurs ancêtres.

Ben Gourion, Président de l’Agence juive, socialiste, non religieux et pragmatique, est « (…) favorable au partage de la Palestine sans pour autant renoncer à l’idée du droit historique des Juifs sur la Terre d’Israël, fondement du mouvement sioniste. Mais à ses yeux, il convient d’être réaliste. Seuls l’immigration, le développement économique, la force militaire et d’éventuelles négociations avec les pays arabes détermineront, pense-t-il, les frontières du futur Etat. (…) L’opposition à cette stratégie est quasi générale » de la part des Juifs. Ce plan est rejeté par les Arabes.

CEnderlinPortrait-2CEnderlinPortrait-2En 1948, juste après la proclamation de l’Etat d’Israël grâce à l’acceptation d’un 2ème plan de partage proposé par l’ONU, « le rabbin Fishman (appartenant à l’ancêtre du Parti national religieux), dit la prière : ‘Béni soit Dieu, roi de l’univers, qui nous a donné la vie et nous a permis d’arriver en ce temps’. Ben Gourion écoute, tête nue, sans réagir. (…) Tel Aviv est bombardée le soir même » par 5 armées arabes des pays voisins. Les Israéliens peinent mais gagnent. Par contre ils perdent la vieille ville de Jérusalem avec son mont du Temple, le lieu saint le plus important pour les Juifs. Et cette guerre crée le problème des réfugiés palestiniens.

Ben Gourion, devenu Premier ministre, ne veut pas d’unités politisées dans l’armée et il les dissout ; il rassemble les différents groupes en une armée unique. En 1967, l’Etat d’Israël étant rejeté par ses voisins arabes, il lance une frappe préventive. Cette guerre des Six jours permet la conquête de la Cisjordanie et de l’est de Jérusalem avec ses lieux saints, jusque-là sous souveraineté jordanienne. Le colonel Gour commente à la radio : « ‘Le mont du Temple est à nous !’ (…) Dix-neuf siècles après la destruction du sanctuaire juif par Titus, un Etat d’Israël souverain contrôle le Mont sur lequel se trouve le rocher de la fondation où, selon la Bible, se serait déroulé le sacrifice d’Isaac par Abraham (…). Salomon, puis Hérode, y ont bâti le Temple abritant le saint des saints. Mais, il s’agit aussi du troisième lieu saint de l’islam, le Haram al-Sharif (aujourd’hui l’esplanade des mosquées) où, si l’on en croit le Coran, Mohamed serait monté au ciel à la rencontre des prophètes ».

Herzl souhaitait la fondation « d’un Etat-nation juif et démocratique. Il s’agissait pour lui, en ‘normalisant’ le peuple juif, d’apporter une solution à l’antisémitisme. (…) Il avait conscience du double danger qui menaçait son projet (…) : le messianisme et le nationalisme religieux ». (…) Mais, pour le judaïsme religieux, par définition, le peuple juif, élu par Dieu, ne saurait être « normal ». Le 4 juillet 1967, le rabbin Kook « prononce le serment millénaire du peuple juif (…). Puis (…) : « Il n’y a pas ici de terre arabe, c’est un héritage divin ». « Toutes les conditions sont désormais réunies pour diffuser, au sein du sionisme religieux, la vision messianique de la yeshiva Merkaz Ha Rav », orthodoxe-nationale. Suivant le raisonnement messianique, les territoires conquis en six jours « ne sont pas occupés mais ‘libérés’, et les populations arabes qui s’y trouvent sont des intrus ». Cette logique ne peut être approuvée par la communauté internationale. En novembre, l’ONU vote la résolution 242 qui fixe les conditions d’un retour à la paix : Israël doit se retirer des territoires occupés, les Etats arabes doivent reconnaître Israël ; une solution raisonnable au problème des réfugiés palestiniens doit être trouvée.

Convaincus d’avoir raison, dès 1968 des disciples de Merkaz s’installent très discrètement dans les nouveaux territoires. Un peu plus tard, des membres du gouvernement, mécontents, seront « mis devant le fait accompli ». L’ONU demande l’évacuation par Israël de ces terres arabes. Malgré cela, en 1973 des disciples de Merkaz créent aussi Goush Emounim ou le Bloc de la Foi et ils développent l’implantation juive en Cisjordanie.

En 1977, l’élection du nationaliste Begin, suite à la menace de défaite au début de la guerre du Kippour, met fin à la prédominance de la gauche ; c’est le début d’une période d’alternances politiques. Malgré sa défaite, le président égyptien Sadate se rend à Jérusalem pour prononcer un discours proposant la paix. Le mouvement fondamentaliste messianique est profondément déçu et il vit la visite de Sadate « comme un cauchemar ».

A partir de 1983, colons et Palestiniens vont s’exprimer « par les armes, s’il le faut ». Des Palestiniens se mettent à tuer des colons israéliens. Le réseau terroriste juif riposte en tuant des Palestiniens. « Les dirigeants israéliens, politiques et militaires, ne prennent absolument pas conscience que la population palestinienne supporte de moins en moins l’occupation. Le taux de chômage en hausse, et qui frappe d’abord les jeunes (…), les humiliations quotidiennes ». Le Bloc de la Foi se mobilise contre l’Intifada, une violente révolte de la jeunesse palestinienne des territoires qui éclate à Gaza en 1987.

A cette période, Netanyahu (ce patronyme, hébraïsé par son père, signifie « don de Dieu » !) prépare son ascension vers la présidence du parti de droite, le Likoud. Netanyahu père est un militant de la tendance la plus dure du sionisme et il est « persuadé que les Arabes n’abandonneront jamais leur volonté de détruire Israël ». Netanyahu fils fait de cette conviction « l’élément central de sa stratégie, en gravissant, au fil des ans, tous les échelons de la politique israélienne ».

Le chômage ayant beaucoup augmenté, la gauche revient au pouvoir en 1992 avec Rabin, au grand désespoir du mouvement fondamentaliste juif. Israéliens et Palestiniens négocient en secret un règlement du conflit par étapes pour aboutir en septembre 1993 à un accord à Oslo. « Le Likoud, l’ultra-droite et Goush Emounim ont pourtant bien du mal à faire passer leur message d’opposition aux accords d’Oslo (…). Pourtant, alors que le processus de paix se poursuit, l’instabilité gagne la Cisjordanie. Des groupes armés du Fatah sortent lentement de la clandestinité sans parvenir à contrôler la rue en Cisjordanie et à Gaza, où l’opposition, islamiste et marxiste, rejette l’accord avec Israël et commet attentat sur attentat ». (…) « Il aurait fallu évacuer les Juifs d’Hébron (après le meurtre de Goldstein), mais Rabin ne l’a pas osé. Si on avait évacué la bande de Gaza après la signature d’Oslo (…), la droite aurait compris qu’elle avait en face d’elle une gauche capable de résister ». Pour la droite et les fondamentalistes, en négociant sur l’élargissement de l’autonomie de 6 grandes villes palestiniennes, « Rabin a trahi Sion ! ». En novembre 1995, Rabin est assassiné par un étudiant ni palestinien, ni fou, qui affirme avoir agi sans complices mais « avec Dieu ». La droite dure revient au pouvoir avec Netanyahu.

Feiglin se présente au Likoud et parle de « créer une culture juive nationale entièrement fondée sur le Temple ». Elu en 1996, Netanyahu relance la colonisation et renforce le mouvement de la résistance islamique, le Hamas. En 1998, Sharon encourage les colons à développer des implantations en Cisjordanie. Mais l’idéologie doit néanmoins faire face à « l’épreuve des réalités ». Netanyahu « finit par comprendre qu’il n’a pas le choix et qu’il lui faut (…) appliquer au moins une partie des accords en organisant un redéploiement en Cisjordanie ». Il est critiqué par les Amis du Temple. En 1999, le travailliste Barak lui succède mais doit lui aussi faire des concessions. Les Américains proposent avec maladresse que les Juifs puissent prier sur le Haram al-Sharif ; puis face à la consternation, de découper le mont du Temple avec une partie sous souveraineté palestinienne et une autre sous souveraineté israélienne. Arafat refuse.

En 2000, les responsables politiques américains proposent, dans le cadre du sommet de Camp David, différentes manières de partager le Haram al-Sharif, sans succès. Pour la première fois, Barak propose de laisser aux Palestiniens des espaces dans les quartiers arabes du secteur oriental de Jérusalem. Israël veut la souveraineté sur le mont du Temple, même si les musulmans conservent la gestion de ce site ; il y a un blocage sur ce point avec les Palestiniens. Aucun accord n’est conclu. La colonisation se poursuit et les violences reprennent.

A partir de 2001, les électeurs ayant le sentiment que leur pays est en danger, la droite restera prédominante avec tout d’abord l’élection de Sharon. La rapide visite de terrain de Sharon sur l’esplanade des Mosquées est considérée comme une provocation par les musulmans : elle a eu lieu la veille de la prière du vendredi ; elle déclenche l’Intifada al-Aqsa. En 2003, pour faire oublier la crise économique et des affaires de corruption auxquelles il est mêlé, Sharon ordonne l’évacuation de 17 implantations dans la bande de Gaza. Cette mesure est perçue comme une « provocation par l’extrême droite et les colons », comme une trahison. L’opinion souhaite le retrait de Gaza où l’armée a perdu de nombreux soldats. Le plan de désengagement est approuvé par la Knesset. Mais une majorité de rabbins soutiennent le mouvement d’insubordination au retrait. En 2005, 34 officiers de réserve refusent d’exécuter le plan de désengagement.

Les fondamentalistes progressent avec la création d’une institution spirituelle et législative, un nouveau Sanhédrin, le tribunal du peuple juif. Sharon fait finalement évacuer et détruire des implantations. En 2009, les élections ramènent la droite et des éléments d’extrême droite au pouvoir avec le retour de Netanyahu. Obama est dans un premier temps soucieux d’obtenir un arrêt complet de la colonisation, ce qui crée de fortes tensions avec le gouvernement israélien. Obama ne veut finalement plus geler la construction dans les implantations.

L’idéologie nationaliste religieuse s’est répandue dans certaines unités de l’armée. 2010 voit la reprise de la colonisation. En 2011, 50 rabbins ont affaire à la justice pour une lettre publiée pour interdire à des Juifs de louer des logements à des Arabes ; cette affaire est classée sans suite mais cette lettre est approuvée par 44 % des Juifs israéliens. L’intégrisme imprègne de plus en plus l’armée : par exemple, « sur les ordres de leurs rabbins, un nombre croissant de militaires nationalistes religieux refusent tout contact avec des femmes soldates ».

La société israélienne est devenue de plus en plus religieuse depuis les accords d’Oslo. Les fondamentalistes ne représentent que 13 % de la population mais ils ont beaucoup d’enfants. En 2011, « plus de 51 % des Israéliens croyaient en la venue du Messie ». Même les Israéliens séculiers placent la judaïté avant la démocratie. Le juge Lévy maintient qu’Israël n’est pas un occupant des territoires, ce qui empêche la création d’un Etat palestinien. « Le conflit n’est désormais plus territorial mais religieux (…). Et la religion, cela n’est pas négociable ». Les fondamentalistes demandent le droit de prier sur l’esplanade des Mosquées. « L’avenir d’Israël, de sa démocratie (…), dépendra de la manière dont le judaïsme saura résister à l’appel de l’eschatologie ».

Ecrite à partir de souvenirs, d’archives personnelles et d’entretiens, une histoire complexe analysée de manière juste et intéressante ; un livre passionnant mais très dense. Un index aurait été bienvenu. Cet ouvrage permet comprendre en profondeur le contexte et les enjeux du conflit israélo-palestinien.

Marie-Aimée Personne

Au nom du Temple par Charles Enderlin, Seuil, 375 p.

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