Dans la poche, des diplômes, mais pas le sou. Latifa comme de nombreux étudiants désormais sur le marché du travail, ne trouve que des jobs alimentaires et peine à rentrer dans les cases.

J’ai souvent dit lors de dîners, autour d’un verre ou en fin de soirée pour mettre fin à des débats houleux et clore le chapitre politique pour passer au chapitre potins : « Nan mais vous pourrez dire ce que vous voulez, la France a tout de même le meilleur système social qui soit ». Et d’un air désinvolte en plus. Je pensais naïvement et fièrement que notre Etat ne laissait jamais personne sans ressources, qu’il y aurait bien toujours un petit quelque chose, une allocation, une bourse, une aide quelconque à laquelle se raccrocher.

Seulement voilà, j’ai décroché un master 2, fait des stages, des jobs d’été, me voilà donc employable. Je suis une jeune juriste de 24 ans avec un bagage universitaire et un petit peu d’expérience. Je me lance donc à l’assaut du marché du travail, problème, ça ne mord pas tout de suite.

Toute à mes recherches, le temps avançant, les chiffres du solde de mon compte diminuant, je pense aux trois lettres magiques : RSA. Je me dis que j’y ai bien droit après tout, j’ai tout de même cotisé un peu lors de mes emplois étudiant et puis en plus je ne vais jamais chez le médecin, ni à l’hôpital (comment ça pas de rapport ?).

Reste que le répit pour moi et mon compte bancaire a été de courte durée : le RSA c’est pas avant 25 ans. Bon. Je ne me décourage pas, j’explore d’autres pistes, parce que oui, il doit bien y avoir d’autres trucs : oh mais il existe un RSA pour les 18-24 ans. Joie ! De courte durée, une nouvelle fois. Pour y être éligible, il faut avoir exercé une activité à temps plein durant 2 ans, dans les trois années précédant la demande. Bon moi j’étais étudiante à temps plein, et tout ce que je travaillais c’était ma scoliose et ma myopie et ça, ça compte pour du beurre.

Du beurre justement, il y a longtemps qu’il n’y en a plus dans les épinards alors je me dis qu’après tout je n’ai pas besoin de l’Etat pour m’en sortir, bon sang, je ne suis pas « une assistée ». Puisqu’on ne donne même pas un petit pécule de quelques euros aux étudiants qui ont bravé durant tant d’années le mépris des secrétaires d’universités, les cours dans des amphis non chauffés, les comas éthyliques et l’haleine fétide des camarades le vendredi matin (ou le lundi, ou le mardi ou le mercredi, ou le jeudi), tant pis.

Et donc en plus de postuler à un job « à la hauteur de mes compétences », je postule également à des postes qui répondent au doux nom de « jobs alimentaires ». Et c’est ça ou retourner vivre chez les parents que j’étais si fière de quitter une fois mon bac obtenu. C’est ça ou devenir une « sans-dents », mais attention, une « sans-dents » capable de parler marchés publics ou contentieux administratif (oui tant qu’à faire j’en profite pour balancer mes compétences ici), une « sans-dents » qui risque de perdre le bénéfice de l’appareil dentaire qui lui a « tout bien remis en place la dentition » en primaire si elle trouve pas un job avec une bonne mutuelle.

Histoire de varier les plaisirs, on ne décide pas, mon master de droit et moi de devenir vendeuse ou caissière comme au bon vieux temps, on opte pour hôtesse d’accueil. Je décroche un entretien, et après avoir présenté mon parcours, la chargée de recrutement me regarde d’un air dépité et me dit : « mais qu’est-ce que vous faites là ? ».

J’hésite entre une grande tirade sur le système social français, sur la priorité à la jeunesse que je ne vois pas vraiment, sur ce discours culpabilisant les chômeurs, sur le prétendu racisme social ambiant, sur mon compte en banque qui crie famine mais finalement j’opte pour « on va dire que je suis en période de transition ».

Latifa Oulkhouir

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