Après la diffusion d’un reportage consacré au quartier grenoblois de la Villeneuve le 26 septembre 2013 dans l’émission Envoyé Spécial, les habitants ont déposé plainte contre France 2, jugeant le documentaire stigmatisant et non conforme à la réalité.

Le tribunal de Grenoble a débouté, le 26 juin dernier, le collectif d’habitants du quartier de La Villeneuve qui avait déposé plainte pour diffamation contre France 2 après la diffusion du reportage « La Villeneuve : le rêve brisé » dans l’émission Envoyé spécial en septembre 2013. Un verdict sans surprise même si le procès a permis de médiatiser le point de vue des habitants mobilisés pour obtenir un droit de réponse, et mettre à jour le fonctionnement de certaines sociétés de production, en collaboration avec les grandes chaînes de télévision, qui a conduit à ce reportage « stigmatisant », selon les propres termes du CSA.

Si le collectif réfléchit à comment poursuivre la mobilisation sur ce dossier, un autre rendez-vous va concerner la Villeneuve et d’autres quartiers de la périphérie grenobloise. Une Journée d’action pour la non violence sur l’agglomération est organisée, deux ans après la Marche Blanche du 2 octobre 2012 pour Kevin et Sofiane, avec de nombreuses manifestations (ateliers d’écritures, concerts etc).

Le collectif invite aussi à un colloque sur « Le traitement des quartiers populaires par les médias » qui se tiendra le 22 novembre à la MC2 (Maison de la Culture) à Grenoble.

Rappel du 20 mai 2014

Après le procès qui s’est tenu le 15 mai au tribunal correctionnel de Grenoble dans une salle comble ne pouvant contenir les 200 personnes venues soutenir la plaidoirie de l’avocat Thomas Fourrey pour l’association des habitants de la Crique sud, Alain Manac’h, habitant très impliqué dans la démarche de plainte collective contre le reportage « Villeneuve : le rêve brisé » diffusé par Envoyé Spécial, nous livre ses impressions sur l’audience. « Ce fut positif car il y avait beaucoup de monde et de nombreux journalistes présents. De plus, pour la Procureure, donc le Ministère public, la « trahison » dénoncée par les habitants et reprise par les témoins au procès est bien réelle (soit la différence entre les objectifs tels qu’annoncés par la journaliste aux personnes qu’elle rencontrait et ce qu’elle a ensuite montré dans le reportage) » analyse-t-il.

« On verra bien » reprend Alain Manac’h. « Le jugement est en délibéré. Si notre plainte était jugée recevable, il y aura jurisprudence et d’autres associations des quartiers populaires pourraient aller en justice en cas de graves manquements déontologiques comme ce fut le cas avec « Villeneuve : le rêve brisé ». Par contre, si notre plainte était jugée irrecevable, nous envisageons de porter notre action sur le plan législatif pour que la loi datant de 1881 sur le droit de la presse puisse être débattue au Parlement et modifiée. L’objectif serait qu’il se rétablisse un équilibre entre la liberté de la presse et la possibilité pour les associations ou les collectifs d’habitants de porter plainte pour diffamation, voire que soit reconnue la notion de discrimination territoriale… »

Outre le 26 juin, jour de la décision judiciaire, Alain Manac’h, Pauline Damiano, présidente de l’association des habitants de la Crique sud et tous les acteurs mobilisés dans cette action, donnent rendez-vous le jeudi 25 septembre, date anniversaire de la première diffusion du reportage à Envoyé Spécial, pour un temps d’échange et de réflexion sur « Les médias et les quartiers populaires ». A suivre.

Rappel des faits
(Publié le 15 janvier 2014)

Il aura fallu deux mois aux habitants du quartier de la Villeneuve à Grenoble pour déposer plainte contre France 2 suite à la diffusion du reportage, « Villeneuve : le rêve brisé » dans le magazine Envoyé Spécial du 26 septembre 2013. Mais deux mois plus tard, leur indignation demeure intacte. Alain Manac’h est l’un de ces indignés. Militant associatif, retraité d’un poste de responsable dans l’éducation populaire, installé à la Villeneuve depuis 1983, il s’est senti trahi, à l’instar de nombreux autres participants, par le reportage d’Amandine Chambelland réalisé pour la société de production Ligne de mire.

Avec un collectif de résidents, toute une série d’initiatives a été organisée depuis pour répondre à la colère et la déception collective qu’a provoqué le film. « Les distorsions du réel qui y figurent comparées à notre vie au quotidien sont choquantes. Et ce fut « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase » car d’autres reportages, depuis les événements de 2010, n’avaient pas épargné non plus notre quartier ».

Selon Alain Manac’h, ce que ces Villeneuviens reprochent avant tout, sont les petites falsifications dues au montage. « Amandine Chambelland est venue deux semaines sur le terrain. Pour nous approcher, elle nous a fait croire qu’elle faisait un reportage sur la Villeneuve alors que sa ligne éditoriale était la violence dans ce quartier et point barre. Par le montage, le fait de focaliser une grande partie du film sur Nabil le fixeur, l’homme à l’arme à feu ou une intervention de la police provoquée pour le tournage, on se retrouve avec une mise en scène du réel, une sorte de « film de guerre » qui ne ressemble pas à notre vie ici, même s’il y a de grandes difficultés sociales que personne ne nie ».

Cet Envoyé Spécial a provoqué un électrochoc à la Villeneuve, aboutissant à une mobilisation sans précédent avec des réunions plénières réunissant jusqu’à 300 personnes et la décision de diverses actions dont un dépôt de plainte. Rémy Pfimlin, le Président de France 2 est cité à comparaître devant la 2e chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Grenoble jeudi 30 janvier 2014 à 13h30. Par cette action en justice, le collectif entend simplement démontrer que la diffusion de ce reportage a porté atteinte à l’honneur et à la considération des habitants de la Villeneuve avec un délit de diffamation publique envers un particulier, tel que prévu aux articles 23, 29 et 32 alinéa 1er la loi du 29 juillet 1881.

Pauline Damiano est la Présidente de l’Association des habitants de la Crique Sud qui a saisi le tribunal au nom du collectif d’habitants. « Pour nous, l’important, est d’aller jusqu’au bout. On a lancé une souscription auprès de toutes les personnes qui ont signé la pétition pour réunir les fonds pour les frais d’avocat. Outre rétablir notre dignité, nous voulons qu’une réflexion sur l’éthique journalistique puisse avoir lieu. Quel est l’objet d’un reportage qui fait peur sans permettre de mener une réflexion sur cette violence ? » s’interroge-t-elle.

Cas d’école

Et ce questionnement déontologique du traitement journalistique de la Villeneuve a également fait écho dans un quartier grenoblois mieux réputé : le campus universitaire. Quatre étudiants se destinant au métier de journaliste ont travaillé sur le cas « Villeneuve : le rêve brisé », pour en livrer un dossier d’analyse et de décryptage publié en novembre 2013 sur l’Avant Post, le blog du master de journalisme des étudiants de Sciences-Po. Dans un soucis d’équité pour leur contre-reportage, Xavier Bonnehorgne, Sidonie Hadoux, Myriam Lahouari et Romain Lantheaume ont tenté de joindre les auteurs et commanditaires du reportage mais leurs demandes sont restées lettres mortes. Ils sont particulièrement déçus de ne pas obtenir de réponse de Françoise Joly, rédactrice en chef d’Envoyé Spécial et ancienne élève de Sciences-Po Grenoble, comme eux.

Mais hormis ces étudiants, une autre institution s’est penchée sur le contenu de ce film : le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel. Dans un avis  publié mercredi 8 janvier, « Le Conseil considère en effet que la chaîne a manqué aux obligations déontologiques prévues à l’article 35 de son cahier des charges, la nécessité d’assurer la diversité des points de vue sur un sujet prêtant à controverse n’ayant pas été totalement respectée, le reportage n’apparaissant pas suffisamment équilibré. Il déplore en particulier que seuls les aspects négatifs du quartier aient été mis en avant, stigmatisant l’ensemble du quartier de la Villeneuve. Les rares éléments positifs abordés à l’antenne ont été systématiquement dévalorisés par la mise en avant de la violence et du climat hostile qui régneraient dans ce quartier. » Pour Alain Manac’h, « ce n’est qu’un avis, pas une sanction, il n’engage à rien, mais c’est la reconnaissance de la justification de l’action lancée par les habitants, reconnaissance que ce reportage nous stigmatise. La procédure engagée ira à son terme… »

Et c’est sans doute à cela que vont travailler ces Villeneuviens, en plus de la collecte, lors d’une réunion plénière du collectif qui aura lieu au Patio-Barathym, 97, galerie de l’arlequin à 18h30 le 22 janvier prochain. Car si « Villeneuve : le rêve brisé » les a révoltés, ce reportage a surtout permis un sursaut citoyen et est devenu bien malgré lui, fédérateur et créateur d’un lien de cohésion sociale entre ses habitants.

Sandrine Dionys

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