Propriétaire d’une parcelle d’une vingtaine d’hectares, un paysan se bat depuis plusieurs années contre un projet commercial qui doit s’installer sur ses terres, « l’OL Land ». Ce week-end, il compte organiser un apéro géant sur son terrain pour protester. Récit.

Philippe Layat, 59 ans, est céréalier et éleveur à Décines (69). Il possède vingt-cinq hectares de terre et se dresse seul face au Grand Lyon et à l’OL Group. « Et ça fait plus de sept ans que ça dure » soupire le Décinois, « tout ça pour du foot ». En 2007, Jean-Michel Aulas, le patron de l’Olympique Lyonnais, rend public son projet « OL Land » : cinquante hectares d’activités commerciales (hôtels, bureaux, boutiques…) entourant le nouveau grand stade de Décines-Charpieu, destiné à accueillir les futures rencontres de l’OL. Le maire de cette commune de 25 000 habitants signe le permis de construire en 2012. Alors que l’édification de l’enceinte doit être achevée d’ici l’Euro 2016 de football, la construction des voies d’accès rencontre encore des problèmes : expropriations, recours en justice… et la résistance acharnée et médiatisée de Philippe Layat, soutenue par la confédération paysanne du Rhône, et par nombre d’acteurs associatifs.

Mais, aujourd’hui, l’éleveur semble dépassé par les évènements, partagé entre la colère et la désillusion. Et pour cause, mercredi matin, le juge en charge des expropriations a rendu un avis favorable à la poursuite des travaux sur les terres prises au paysan. Son avocat a immédiatement annoncé qu’il allait faire appel.

C’est dans ce contexte que nous joignons Philippe Layat. L’entame de conversation est rude. Il considère les journalistes comme des « technocrates merdeux », moi compris. Mais cette franchise brute laisse ensuite place à un « mec » qui parle avec ses tripes. Ce cinquantenaire à la voix rauque tient à ce qu’on l’appelle Philippe et répond sans ambages. Son énervement est palpable, mais ses réponses sont entrecoupées de rires chaleureux.

Le 1er septembre, deux camions de CRS font face au terrain de l’éleveur. « Je n’ai pas pu leur ouvrir, car je dormais (…) alors ils ont forcé l’entrée de mon terrain pour faire entrer le matériel » raconte Philippe. « C’est du cambriolage ! Ce sont les forces de l’ordre les voyous ». Les travaux commencent alors, malgré l’annulation de plusieurs déclarations d’intérêt public en mai dernier. « On m’a envoyé les gendarmes sur mon terrain pour me virer comme si j’étais un voleur alors que ce sont des terres pour lesquelles ma famille paye des taxes foncières depuis plus de 400 ans ! » s’emporte-t-il. Il sera d’ailleurs mis en garde à vue le jour même. Selon lui, le motif était tiré par les cheveux « on m’a envoyé chez les flics, car j’ai mis les pieds sur mon terrain, un “chantier interdit au public” ».

« C’est la moitié de mes terres qu’on me vole ! »

Sur sa propriété de vingt-cinq hectares, neuf vont lui être retirés afin de laisser place à une route qui coupera son terrain en deux pour mener au futur stade de l’Olympique Lyonnais. « C’est la moitié de mes terres qu’on me vole ! » clame-t-il. Et sa terre, c’est son travail. Philippe possède une soixantaine moutons. « Aujourd’hui, avec les travaux, mes bêtes marchent dans la merde », explique-t-il. Dans ces conditions, l’éleveur estime qu’on lui enlève ses terres, mais « aussi mon travail ! ».

Sur les 80 expropriations nécessaires à la construction de l’OL Land, Philippe Layat est le seul à faire preuve de résistance. « Cette terre appartient à ma famille depuis 400 ans ! » souligne-t-il. « Je ne me laisserai pas faire question de principe ». Selon lui, si les 79 autres personnes expropriées n’ont pas opposé de résistances, c’est parce « qu’elles avaient pour la plupart soixante-dix ans, qu’elles avaient peur du coût d’une procédure judiciaire », mais surtout « que la terre n’était pas leur source de revenus ».

Autre chose que Philippe n’arrive pas à avaler : l’OL Group convoite ses terres pour… 1 euro le mètre carré ! Selon une pétition qui circule sur le net (réunissant déjà près de 100 000 signatures), d’autres personnes expropriées ont vendu leur terrain à 110 euros le mètre carré. En plus de la pétition, une page Facebook en « soutien au paysan Philippe Layat » compte plus de 180 000 « j’aime » en 3 jours (soit près de trois fois la capacité maximale du futur Grand Stade de l’OL). Mais, l’éleveur de mouton relativise. Il n’a pas Internet et n’en voit pas l’utilité « c’est bien, mais ça reste virtuel. Ça aura de la gueule quand ces personnes viendront se mobiliser sur mon terrain ! »

Pour le moment, le Décinois confie en avoir marre de voir sa « gueule » affichée partout dans les médias, du jour au lendemain. « Je veux qu’on me laisse tranquille moi ! J’ai rien demandé à personne ! Je ne suis pas une star comme Johnny Halliday ! Ce qui m’arrive aujourd’hui pourrait très bien vous arriver à vous demain ! » Son téléphone sonne à longueur de journée, il reçoit de nombreuses lettres de soutien, des questions de curieux, des journalistes… « Avec tout ça, j’ai même plus le temps de manger ou de m’occuper de mes bêtes », lâche-t-il avec mélancolie.

Philippe Layat évoque notamment l’impression d’avoir été trainé dans la boue par certaines personnes, comme Odile Pagani, chef de projet du Grand Lyon. « Dans Le Monde, cette dame m’accuse d’être violent et raconte aux médias qu’on a enlevé des armes chez moi… Et bah je vais l’attaquer en justice pour diffamation ! Cette arme dont elle parle, c’est une carabine à air comprimé. Ça tuerai même pas un moineau » lâche-t-il en rigolant. « C’est pareil pour Aulas, il dit que j’en fais trop, mais ce n’est pas moi qui convoite le bien d’autrui, en lui rachetant ses terres, sans même se soucier du prix du marché ».

« Les seuls combats perdus sont ceux qu’on abandonne », voilà la phrase que lâche Philippe avant de clore la conversation et de répéter une fois encore qu’il espère que les gens se mobiliseront pour sa cause. Si le match peut sembler inégal entre l’agriculteur et le club sportif, Philippe Layat assure qu’il ira au-delà du temps règlementaire. « Ça ne fait que commencer. Ils se sont assis sur une poudrière et ça va péter. La solidarité commence à monter et j’me battrais toujours, même après ma mort » prévient-il. Et puis à la fin de la conversation, il me propose même de « venir manger » chez lui si je passe à Lyon. « Après tout, Paris n’est qu’à 3 heures de TGV ! », et me demande de lui envoyer mon article par la poste. « Eh oui, je te rappelle que je n’ai pas Internet moi ».

Tom Lanneau

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