ILS FILMENT LA BANLIEUE. Vainqueur de la compétition Talents en Court du festival Cinébanlieue 2014, Itvan Kebadian propose avec son court-métrage TWE une plongée dans le monde parallèle du graffiti. Portrait.

Au départ du court-métrage TWE, il y a une bourse Brouillon d’un rêve qu’Itvan Kebadian décroche auprès de la SCAM, puis le soutien du G.R.E.C qui l’aide à le réaliser. « J’ai appris à faire un film grâce à eux », raconte celui qui, après avoir reçu la Mention spéciale du Public et du Jury du Festival Côté Court de Pantin en juin dernier, vient de remporter le Grand Prix du Festival Cinébanlieue 2014.

Car Itvan Kebadian vient du graffiti, ce monde parallèle sans classes sociales où les gens changent de nom « comme dans la Légion Étrangère » et s’affrontent sur des territoires avec leurs différents styles. « Les gens connaissent le street art mais que dès que je parle des codes du graffiti, je me rend compte que c’est beaucoup plus underground que ce que je pensais. A partir de là, je me suis dit qu’il fallait absolument faire un film ».

Pour mener à bien son projet tourné entre Paris, Pantin et Bobigny (93), Itvan Kebadian choisit une bande de comédiens du Conservatoire : « on a essayé de les faire rider avec nous pendant plusieurs semaines pour qu’ils s’imprègnent de l’ambiance ». Résultat : ceux qui parlent à visage découvert sont comédiens, permettant ainsi de conserver l’anonymat des siens.

Né à Paris en 1985 d’un père arménien et d’une mère tchèque aux métiers multiples (« mon père réalisait des documentaires engagés qui ne sont jamais sortis, ma mère a aussi fait un film»), Itvan Kebadian est le deuxième d’une famille recomposée de quatre enfants. Peut-être du fait de son grand-père apatride, lui n’a jamais aimé « choisir un parti » et a déménagé plus de vingt fois en ne passant « jamais plus de deux ans au même endroit ».

De son enfance « par les toits » (« j’aimais voir la ville comme un jeu vidéo, un monde parallèle »), il se souvient de ses débuts de graffeur à l’âge de 13 ans après avoir vu les graffs de Zeus et compris, pour la première fois, « que cela se répétait ». De Paris à Nice en passant par Bayonne et Athis-Mons (91), il trouve de nouveaux bastions et graffe avec passion au sein de TWE : « à la base, on était les Taggeurs des Wagons Est, puis The Wanted Equipe et plus tard The Worst Enemy », (littéralement L’Equipe Recherchée et Le Pire Ennemi, Ndlr).

Élève souvent viré pour « avertissement au travail et mauvaise conduite », Itvan Kebadian bourlingue d’établissements en établissements. Son seul bon souvenir scolaire est un lycée dans le Sud « parce que la mer n’était pas loin et que j’avais une bonne prof de philo ». Décrochant finalement un Bac L option Arts Plastiques, il présente « un an de feuilles de cours dessinées » aux Beaux-Arts de Bourges qu’il intègre, passe par Nantes, puis abandonne finalement à Cergy-Pontoise (95) : « c’était trop loin d’Athis-Mons ».

Sa cinéphilie, il l’a éveillée à coups de VHS que regardait son père, notamment les westerns de John Ford. Admiratif de Robert Bresson (Pickpocket, Un condamné à mort s’est échappé) et Fassbinder (Tous les autres s’appellent Ali), l’enfant de la « génération Scarface » qu’il était à néanmoins été marqué par un film : « Viva Zapata (d’Elia Kazan, Ndlrr), parce qu’un homme se fait tuer de dos ».

Ses influences viennent des gravures de Dürer, des estampes japonaises, de l’art médiéval, du cinéma japonais (« J’adore Kurosawa ») et Blade Runner de Ridley Scott (« pour ses villes un peu sombres »).

Considérant que le cinéma français « a eu une belle époque» et qu’il y a «beaucoup de choses à faire », Itvan Kebadian remarque que les films tournent souvent autour « d’histoires de couples et de familles ». Si la banlieue est certes « stigmatisée », lui ne regarde jamais la TV : « Je ne supporte pas les informations et leur vision sécuritaire des choses ».

Pour celui qui prépare un triptyque sur les relations de force (dans un couple avec la société de production Easy Tiger et Emily Barnett et sur un terrain avec la société Cup of Tea), la banlieue et Paris ne forment qu’ « un seul et même territoire. Le seul écart qu’il y a dans mon film, c’est entre l’intérieur et l’extérieur ». Alors, pour la filmer, Itvan Kebadian préfère traiter « la ville comme une jungle et le groupe comme une meute ». Comme dans TWE.

Claire Diao

Sortie du DVD TWE, édité par Dominique FIAT, et du livre Graffiti Général de Karim Boukercha (éd. Dominique Carré), dimanche 23 novembre de 17h à 20h à la Galerie Dominique Fiat, 16 Rue des Coutures Saint-Gervais, 75003 Paris. Métro Saint-Sébastien-Froissart.

Crédit photo : Alexandre Caracoche

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