Jilali Hamham n’a pas encore 30 ans. Après un essai, Souffrance, publié en 2006, l’angevin vient de rentrer dans la cour des grands auteurs de polar avec son dernier roman, MachiAdam publié aux Rivages/Noir. 

« Avoir pour être », voici le crédo d’une société qui ne respecte l’individu que pour ce qu’il possède et non pour ses idées ou ses aspirations. C’est dans ce contexte que Jilali Hamham a livré, non sans embuche, son premier roman : MachiAdam. Un titre né de la contraction de l’adjectif « machiavélique » et du nom propre Adam, le personnage principal du livre, un ange déchu qui rêve de devenir un prince du macadam.

Machiadam, c’est une fresque sociale au suspense haletant. Le lecteur est plongé dans les catacombes d’une « génération sacrifiée » qui  a du mal à faire sa place et qui refuse de faire les mêmes jobs que leurs parents analphabètes. Une génération spontanée qui a choisi l’illicite en guise de rébellion… économique. Les mecs chantent la folie des glandeurs. Ils devisent en euros et rêvent en dollar avec, en musique de fond, sexe pouvoir et bifton, Le crime paie ou encore Hustler’s ambition.

Le roman se divise en deux actes (entre la France et le Maroc) et le lecteur découvre les contours du sombre projet d’un étudiant au fil de ses rendez-vous. Adam a compris la France : l’entre soi de sa société dominante, son déterminisme social et son égalité sur le papier. Il maitrise tous les codes. Le héros est à l’aise entouré de gitans au phrasé particulier. Il débat d’économie et de géopolitique face à un père de famille bourgeois ou échange des amabilités avec des lascars qui rouillent en bas des tours. Le personnage initiatique de Jilali Hamham fait partie de la caste des sondeurs d’âmes. Il a souvent un temps d’avance sur ses interlocuteurs. Son orgueil et son narcissisme se nourrissent de cela. Le protagoniste  va mettre en œuvre (avec son associé) un plan machiavélique pour percer dans le grand banditisme. Pour ce faire, il va séduire Marie-Anne, une fille de bonne famille, et se servir d’elle. Mais dans sa descente en enfer le manipulateur est dépassé par la cruauté du milieu qu’il souhaite embrasser : « A  trop humer les fleurs du mal on se retrouve un jour dépouillé du sens moral ».

Outre son intrigue bien ficelée, ce roman se distingue par son esprit de synthèse. Tout comme son personnage principal, il se nourrit de plusieurs influences, de plusieurs langues et/ou langages (français, arabe, espagnol, berbère, argots…) Les influences littéraires sont également très riches. Elles vont de Machiavel (Le Prince) à Sun Tzu (L’Art de la guerre) en passant par Iceberg Slim et sa fameuse trilogie noire du ghetto américain (Pimp, Trick Baby et Mama black widow). MachiAdam fait le pont entre la culture urbaine et la culture classique. Dans sa psychologie, dans son cynisme et dans son envie de bousculer une société du statu quo, Adam ressemble au Bel-ami de Maupassant ou encore au Julien Sorel de Stendhal (Le rouge et le noir) prêt à  « s’exposer à mille morts plutôt que de ne pas faire fortune ».

Le style de Jilali Hamham est également en fusion. L’écrivain a trempé sa plume hybride dans la littérature du XIXe siècle (Balzac, Dumas, Mérimé…), dans le bitume et dans ses racines africaines. Les phrases imagées du continent en forme de gun lui permettent de malmener le français et de le réinventer au fil des pages, entre punchlines, comparaisons audacieuses et métaphores. Comme si le fait de ne parler que d’une seule manière (soutenue, argotique ou technocratique) c’était ça le vrai ghetto. Mais c’est encore lui qui décrit le mieux cette union entre une longue tradition littéraire française et la perfusion d’« oralité » qu’offre l’immigration : « Cette éloquence, si particulière dans ce monde-là, était une marque de fabrique que nous devions à nos parents, lesquels, ne sachant ni lire ni écrire, nous avaient fait sucer la mamelle de l’oralité depuis notre plus tendre enfance. En plus de nous avoir transmis la fierté de notre filiation, ce gavage d’images avait fécondé notre manière de nous exprimer. Nous étions seigneurs des rues et maîtres des mots ».

Balla Fofana

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