Plus de 4 millions de personnes ont défilé en France ce dimanche 11 janvier pour rendre hommage aux 17 victimes des attentats terroristes. Une manifestation d’une ampleur jamais atteinte en France. Unis et solidaires aujourd’hui, demain devra être dans les pas de cette marche.

La date du 11 janvier 2015 est certainement une date qui restera gravée dans l’histoire et dans la mémoire des gens. Plus d’un million de personnes se sont rassemblées à la place de la République et à la place de nation après les attentats qui ont fait 17 victimes à Paris.

Le rassemblement est prévu à 15 h à la place de la République. A Bondy vers 12h30, le quai du RER E est plein à craquer. Dans le RER, l’air est serein et les gens sont calmes. On entend le doux ronronnement du train. Je me suis assise à côté d’une dame et j’écoute leur conversation prise en cours de route. Elle dit à son amie : « ils ne gagneront jamais. Ils ne peuvent pas gagner, ce sont des abrutis. »

IMG_6092Arrivée à République, je longe le trottoir du boulevard Magenta dans le Xème arrondissement de Paris. Je tombe sur Michel, un ancien soldat français qui a servi la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Il porte une casquette en laine et un blouson gris. Il attend un copain pour rejoindre le rassemblement à la place de la République. Il « ne comprend pas pourquoi l’attentat contre Charlie Hebdo fait remuer le monde entier alors quand au Proche-Orient des dizaines et des centaines de milliers de gens sont tués, on en fait pas un pataquès. » Quant aux musulmans, ils pense « qu’ils sont des victimes de la tragédie qui a touché Charlie Hebdo mais malheureusement on ne leur donne pas beaucoup l’occasion de s’exprimer ».

A côté du café, il y a deux jeunes types qui vendent pour 20 euros au lieu de 10 des tee-shirts noirs sur lesquels sont inscrits « je suis Charlie ». Au téléphone, un policier dit « il y a embrouille, à mon avis ils n’ont pas d’autorisations préfectorales. Le type est parti chercher son patron pour nous montrer son autorisation mais j’y crois pas. » Un policier retient un jeune monsieur aux cheveux blond et aux joues rouges qui veut casser la figure aux deux vendeurs en leur balançant « vous êtes des enculés parce que vous faites de l’argent sur le dos des autres ».

IMG_6115Il est 13h23, la place de la République est bondée. Il y a des jeunes, des vieux, des enfants, des noirs, des blancs, des beurs, des kippas, des foulards. C’est l’unité nationale tout le monde est là : sur la place, sur la route, sur les trottoirs, sur les balcons des appartements. Des jeunes gens sont montés sur la statue de la République. Ils chantent la Marseillaise et hurlent à la foule « Vous êtes qui ? » et à la foule de répondre en tapant des mains « On est Charlie ».

Il y a de l’audace dans les slogans : « Salafiste Fucking » « c’est pas Charlie la haine, la haine c’est le FN », « Faites l’amour à République, pas la guerre au terrorisme » ou encore « je suis Ana, Charlie, Ahmed…J’ai 45 ans, 72 ans, 6 ans…Je suis chrétien, musulman, juif…Je suis l’humanité. »

16h10. Sur le boulevard Charonne dans le XI° arrondissement, des étudiants émergent de la foule. Ils sont postés sur le trottoir avec un long drapeau blanc écrit en noire « Vous appelez à l’unité mais vous créez la division ». Ils sont en colère contre la venue de Benyamin Netanyahou à Paris qui pour eux n’est « qu’une mascarade. Netanyahou se balance du deuil de la France. Il est venu parce que c’est un homme politique. Il se prétend être du côté de la liberté alors qu’il ne l’est pas ».

Ce à quoi une dame, la cinquantaine leur répond que « ce n’est pas le moment de parler de ça maintenant. On s’en fout de savoir pourquoi Netanyahou est venu à Paris. Aujourd’hui on est en deuil, c’est tout ce qui compte et si vous allez à contre-courant des choses importantes, personne ne vous entendra ». Ce qu’il faut pour Hamid qui vient de rejoindre la discussion « c’est d’être là et debout avec tout le monde. Que les politiques ouvrent véritablement des débats sur ces questions d’antisémitismes et d’islamophobies et d’arrêter de se voiler la face ».

Radu Mihaileanu, réalisateur et scénariste français d’origine roumaine pense que « les jeunes devraient rêver d’autres choses car c’est de notre faute s’ils rêvent à des choses inutiles et inatteignable. Comme les rêves sont inatteignables il y a la frustration qui monte. Les fascistes qui se réclament de l’islam, c’est que des fascistes. Ce ne sont pas des musulmans. Les musulmans ne tuent pas les gens. »

Mimissa Barberis

Cela faisait un moment que je me demandais ce qui réveillerait les Français. Ce qui nous sortirait de notre léthargie consommatrice (consumériste) – individualiste. On avait parlé de la Coupe du Monde 1998, « plus grand rassemblement depuis la Libération ». Un événement positif. Aujourd’hui, il a fallu un carnage, sur plusieurs jours, dans plusieurs lieux, pour mobiliser la grande majorité des français. Un événement (très) négatif. « Le plus grand rassemblement depuis la Libération » titraient encore les médias. Avec la présence de personnalités politiques dont les pays ne sont pas des exemples en matière de liberté d’expression d’ailleurs. 

Ce que j’aimerai en plus de ces rassemblements, c’est l’organisation de débats publics, à la TV, à la radio, dans les journaux, entre la classe politique et la société, entre les jeunes et les vieux, entre les différentes confessions religieuses. Des débats qui permettraient d’expliquer, de comprendre, d’analyser, comment des Français en sont venus à se radicaliser et tuer d’autres Français. Ce qui fait que certains français ne se sentent pas (plus?) vraiment français. Et comment nous pouvons faire, à toutes les échelles de la société, pour empêcher concrètement que cela se reproduise.

Claire Diao

J’ai 17 ans et je n’avais jamais vu autant de gens rassemblés à Paris. Au-delà de la fièvre populaire, des questions se posent quant aux motivations. Soutien à une communauté attaquée ?  Rejet de l’extremisme ? Défense de libertés inaliénables ? Peu importe, l’important c’est d’être venu, d’avoir profité de l’éphemère unité citoyenne. Parce que dans les prochaines semaines vont surgir des polémiques, débats et accusations. Cela a déjà commencé.
Ce soir devant le 20 heures, à la télé, les gens vont entendre et voir que « 4 millions de personnes ont participé à la marche, que la France est debout et unie ». Mais est ce que cela réduira pour autant la haine et les clivages quand l’émotion sera passée ? Le réveil positif des consciences est encore loin.

Victor Mouquet

Ici, place de la République, on entonne l’hymne national et on crie « Charlie ». On ressent un vrai esprit de fraternité. On a chaud au cœur et ça fait du bien de se retrouver unis. Un manifestant me dit : « je suis là car tous les gens qui sont décédés ne doivent pas être morts pour rien ». Son voisin de déclare : « pas d’amalgame, aujourd’hui il y a un sursaut qui restera dans les annales car nous sommes tous unis pour la liberté : toutes les religions, athées, agnostiques, toutes les tendances politiques, tous les pays, car notre mot d’ordre est la liberté ».

On arrive à peine à avancer tellement la foule est dense mais finalement l’essentiel est de communier ensemble. C’est une marée humaine d’amour qui déferle. C’est une marche de l’humanité. Aujourd’hui, nous sommes peut-être entré dans un nouveau monde. Espérons que de nos larmes couleront l’encre qui nous permettra à tous d’écrire une nouvelle page pour, encore plus que jamais, vivre tous ensemble unis et que cette fraternité perdure et nous permette de construire une société meilleure. On vient de vivre un moment historique. J’en ai le vertige.

Cristel Fabris

N’ayant jamais pu atteindre la place éponyme, j’ai cependant cette après midi rencontré la République. Plurielle et indivisible, patrie politique telle qu’elle fut pensée au XIXe siècle, tournée vers un projet commun marqué par le vivre ensemble et la liberté. Point de visages fermés, ni de chrysanthèmes, mais des sourires, des stylos, et des citoyens applaudissant par vague au son des « Charlie ». La barbarie a perdu car elle a rassemblé au delà des confessions et des logiques partisanes. Les tentatives de récupération politiques existent, certes, mais l’heure est à l’optimisme porté par un peuple soudé dans le drame. La France révolutionnaire de 1789 a repris la rue, depuis plusieurs jours déjà, mais aujourd’hui plus que jamais. Nous sommes en janvier, et pourtant dans les cortèges il faisait chaud.

Mathieu Blard

Comme tout le monde ce dimanche j’avais coché la case manif’ à République. Mais finalement j’y ai mis du white, du blanco sur le M. J’ai fait une croix sur le rassemblement Républicain. Il était inconcevable pour moi de partager un cortège avec tous les pays membres de l’OTAN et être complice d’une récupération ignoble. De plus, il était inconcevable pour moi de me pavaner naïvement avec Erdogan, Netanyahu, la famille Bongo et d’autres (ir)responsables africains qui font la honte du Continent.

Je ne me voyais pas manifester contre le terrorisme avec des personnalités qui n’ont rien à leur envier et qui ne sont pas prêtes à mourir pour la liberté mais qui ont les mains rouges sang à cause des libertés qu’elles ont ôtées. Je ne me voyais pas marcher à coté de caricatures décadentes, que Charlie Hebdo aurait pu esquisser, à cause de leurs sombres desseins.

Et si Paris était la capitale et le phare du monde, j’aurais aimé que l’on parle des 2 000 morts de Boko Haram au Nigéria. J’aurais aimé que la ville lumière se serve de cette foule sentimentale pour raisonner et réfléchir aux problèmes de fond qui remuent notre pays. J’aurais aimé que l’on s’appesantisse sur l’autopsie de la trajectoire de ces bombes à retardement. Quant on sait qu’un de ces assassins a rencontré Nicolas Sarkozy à l’Elysée en 2009, avec l’espoir fou de décrocher un vrai job alors qu’il était alternant chez Coca Cola. J’aurais aimé assister à une grande réunion de famille et pas à un banquet international où l’on affiche une solidarité de circonstance pour des clichés qui « marqueront l’Histoire ».

Enfin, je manifesterai à manière en échangeant avec les autres, en parlant, en me disputant, en m’engageant toujours plus dans l’éducation populaire pour ne pas tuer les rêves qui poussent à la paresse intellectuelle, à l’enfermement et à l’obscurantisme. Je discuterai avec les innocents écrasés par le poids de patronymes trop lourd à porter. Je leur dirais que la colombe n’est pas morte et qu’il faudra être forts et endurants face aux amalgames. Persuadés qu’entre la crainte et l’espoir il faut savoir trouver un dosage savant.

Et j’espère que les quelques deux millions de manifestants ne se contenteront pas de leurs selfies, de quelques slogans et de quelques accolades. J’ose croire que le « j’y étais » n’est pas une fin en soit. Mais qu’il peut se transformer en fin de non recevoir et nous empêcher de statuer sur le cœur du problème à force privilégier la forme au détriment du fond. J’espère que manifestants et non manifestants comprendront que le salut de la France passe par l’échange et pas par la dictature de l’émotion qui vous fait vous soumettre à la fabrique du consentement.

Ce consentement au durcissement de la loi et à la mise à l’indexation de milliers d’individus. Non à la passivité face à une société de la défiance où certains devront en faire plus que d’autres pour être considérés comme français, comme en témoigne les larmes aigres-drues de Rokhaya Diallo face aux coups de butoir fanatiques d’Yvan Rioufol sur RTL, dans l’émission de Fogiel.

Après chaque drame on caresse l’espoir de la naissance d’un homme nouveau, de l’avènement d’un jour nouveau. De grâce ne renonçons pas à créer un autre monde, ne renonçons pas à un idéal arc-en-ciel. N’oublions pas qu’après la manifestation fourre-tout et vide de sens, le combat continue. Et que c’est sans doute le plus beau à mener, le long combat de l’équité, où tout assoupissement équivaudra à courir avec un point de coté vers l’enfer. Alors que le paradis de la réconciliation française ne demande qu’à être embrassé.

Balla Fofana

Je n’étais pas à la marche aujourd’hui. Ni à Paris ni ailleurs. Je suis sous le choc moi aussi parce qu’on a appuyé d’un coup jusqu’au sang, là où ca fait mal. Sur Voltaire sur Rousseau et sur une bonne partie de mes cours de philo du lycée. Mais j’ai beau retourner le truc encore et encore dans ma tête, j’ai toujours eu peur de décréter une opinion un peu trop vite et encore plus aujourd’hui.

J’arrive pas à dire que je suis Charlie, j’arrive pas plus à dire que je suis pas Charlie. D’autant moins si c’est pour éviter de garder cette boule de culpabilité au ventre en refusant de jouer les indignés alors que j’ai jamais connu autre chose que la liberté de m’exprimer. D’autant moins parce que je ne connaissais pas le nom de tous les dessinateurs de Charlie Hebdo. Et d’autant plus parce que je sais pertinemment qu’après cette volée d’hallucinations en pleine face, ma vie reprendra son cours, en moins de temps qu’il n’en faut pour faire le tour d’un cimetière, dans ce luxe de la normalité dont j’ai pris conscience mercredi, comme beaucoup je crois.

Alors oui, « c’est mal de relativiser, parce que tout ca, c’est grave« . Mais ce qui me fait un peu plus mal encore, c’est que cette marche, belle initiative sur le principe, soit instrumentalisée, récupérée et beaucoup moins rassemblante qu’on ne l’aurait souhaitée. Parce qu’elle propulse aussi ceux qui ne veulent pas se rassembler, au nom d’une incompatibilité humoristique fondamentale. Parce qu’elle propulse ceux qui s’arrangent avec leur conscience de patriote acteur.

Parce qu’elle propulse ceux, et c’est en partie une bonne chose, qui se rassemblent pour justifier l’importance d’une atteinte à l’intégrité politique française sur le mode « non seulement ils ont pas tué la liberté d’expression – la preuve on est là ! Mais on devait bien ça au GIGN, au RAID, tout ca ». Le problème c’est que ce sont parfois les mêmes qui sont là pour justifier que ce symbole politique passe avant l’atteinte à l’intégrité physique des 2000 personnes mortes au Nigéria, alors que, selon moi, rien ne peut légitimer qu’une horreur passe avant l’autre. Et le problème c’est aussi et surtout que ce sont en partie les mêmes qui, le reste du temps, critiquent allègrement les actions et le quotidien des fonctionnaires, gendarmes, policiers, forces de l’ordre… Daltonisme humaniste du 21ème siècle.

Anne-Cécile Demulsant

Dimanche 11 janvier – 14 heures – Métro 5 – station Bobigny Pablo Picasso. Les transports étant aujourd’hui gratuits, les portes qui permettent d’accéder aux quais sont ouvertes : « cool, ça m’évite de sauter » dit un jeune homme à voix basse.

Dans le wagon, habituellement, chacun lit son livre, écoute sa musique, est figé sur son téléphone. Aujourd’hui j’ai remarqué quelque chose d’inédit : les gens se parlent. « Vous aussi vous allez à la manif ? – oui – on vient de me dire qu’il valait mieux s’arrêter à Gare de l’Est, République est impraticable – merci de l’info ! ». Dans cette rame de métro les gens sont compressés, les pancartes des manifestants prennent de la place et pourtant personne ne réplique.

Aujourd’hui, dans ce wagon les gens sont souriants, taquins, de bonne humeur. Les autres jours, quand le chauffeur annonce un arrêt du métro pendant quelques minutes, les gens râlent, aujourd’hui ils en rient : « il a dit le mot « stationnement » au moins dix fois dans sa phrase » s’amuse le groupe collé à la porte. En attendant que le métro redémarre, les gens échangent leurs opinions sur cette marche à laquelle ils s’apprêtent à participer. Je prends les transports tous les jours et c’est la première fois que je vois les gens se comporter ainsi autour de moi dans une rame de métro. J’ai plutôt l’habitude de côtoyer des usagers à cran, pressés.

14h20 – Gare de l’Est. La plupart des passagers du métro 5 se disent « au revoir » et « bonne marche », en suivant le mouvement de foule qui se dirige vers la place de la République. L’union nationale, c’est donc ça ?

Sarah Ichou

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