Auteur du roman Fugues* (Ipagination, 2013), ce jeune trentenaire racontait l’histoire d’un attentat en plein Paris à la Gare du Nord. Dans une interview, il revient sur les similitudes avec les tueries de début janvier.

Dans votre roman Fugue)s(, vous racontez l’histoire d’un attentat fictif le 1er novembre 2004 à la Gare du Nord, et qui fait 334 morts. Quelles sont, selon vous, les similarités et les différences avec les événements qui ont secoués la France entre le 7 et le 9 janvier dernier ?

Pour comprendre fugue)s(, il faut d’abord se rappeler du contexte du début des années 2000 : c’est le 11-septembre, les attentats de Madrid et de Londres… Des évènements qui marquent quand on a 20 ans. Les attentats fictifs de Gare du Nord s’inscrivent dans cette chronologie. J’ai voulu retranscrire cette ambiance de suspicion, le fantasme de l’ennemi intérieur et avec l’injonction à choisir son « camp », l’incertitude quant à la construction d’un avenir commun… Quand on voit ce qui se passe aujourd’hui, c’est exactement ça. Là où la réalité dépasse la fiction, c’est que j’imaginais une attaque d’ampleur visant à nous terroriser, mais pas des attaques aussi ciblées et symboliques. Que ce soit pour la tuerie de Charlie Hebdo ou la prise d’otage à l’hyper Casher,  il y avait clairement une volonté de toucher en plein cœur ce qui fait la France : ses valeurs.

On dit d’un écrivain qu’il décrypte le monde dans lequel il vit. Quel décryptage nous offre votre roman au vu de l’actualité ?

Ce serait prétentieux de dire que Fugue)s( offre un décryptage de l’actualité. Ce que je peux dire simplement, c’est qu’à travers la voix de personnages de ma génération, j’ai voulu offrir au lecteur une odyssée au sein de mille microcosmes qui composent la société française. Une société fragmentée où on comprend – et où l’on fait  de moins en moins d’effort pour comprendre – son voisin, qui plus est, lorsqu’il est d’une classe sociale ou d’une origine différente.

Votre livre entremêle les voix de 5 personnages : Matthieu, Céline, Salem, Lisa et Ronnie. Ils racontent tous à leur manière l’histoire d’une génération sans repère, en quête de sens qui lutte contre le conformisme. Cette génération est, comme les frères  Kouachi et Amedy Coulibaly, née dans les années 1980… Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Être né en France dans les années 1980, c’est avoir vu écrit « Zidane Président » sur l’Arc de Triomphe un soir de juillet, et quatre ans plus tard, l’extrême Droite au deuxième tour de la présidentielle, la mise en place des 35 heures et dans le même temps, la massification de la précarité des jeunes … Questions repères, on pouvait rêver meilleur cadre, non ? Après, chacun fait ce qu’il en veut, ce qu’il en peut. Les personnages de fugue)s(  défendent leur liberté et leur droit à choisir leur destinée: ils veulent choisir leur vie. Les auteurs des attentats voulaient choisir leur mort. C’est toute la différence.

Les auteurs des attentats feraient-ils de bons personnages de roman selon vous ?

Il n’y a pas de bons ou mauvais personnages, seulement de bons ou mauvais romans. Et la prochaine rentrée littéraire en fera la preuve. La trajectoire des terroristes frappe l’imaginaire, évidemment. Ce qui m’a interpellé, dans le cas d’Amedy Coulibaly, c’est le fait  qu’il vienne de Grigny, une ville que je connais bien car j’ai passé mon adolescence dans l’agglomération voisine d’Evry. Je me dis que c’est quelqu’un avec qui j’aurais pu aller à l’école, que j’ai peut-être croisé au centre commercial, l’Agora… C’est dérangeant cette impression de « familiarité », de se dire que c’était quelqu’un, au départ, quelqu’un ni de pire, ni de meilleur qu’un autre. C’est la « banalité du mal » qu’évoquait la philosophe Hannah Arendt au sujet des Nazis. Ou pour prendre une référence plus contemporaine, c’est le lent basculement qu’on voit dans la série Breaking Bad avec le personnage de Walter White, du prof de chimie tranquille au narco trafiquant sanguinaire. En ce sens, oui, c’est un personnage intéressant car ce sont ces choix qui déterminent celui qu’il va devenir. Mais dans cette perspective, je préfèrerais écrire sur Lassana Bathily, le héros de la prise d’otage. Il m’inspire davantage.

Face au drame, des Français envisagent la fugue. On lit et on entend que les juifs veulent quitter la France, que les musulmans veulent quitter la France aussi. Que vous inspire ces envies de « Fugue)s(» ? 

Dit comme ça, cela ressemble à un vieux rêve du Front National qui se réalise : mettre les Arabes et Juifs dehors, d’un seul coup… Plus sérieusement, je trouve cela profondément triste. On parle ici de Français qui veulent quitter leur pays car ils ont le sentiment de ne plus y avoir leur place, de ne plus pouvoir y être heureux. C’est grave. Mais ça ne date pas d’aujourd’hui, et c’est un phénomène qui concerne beaucoup de jeunes, quelque soit leur origine. Après, il faut relativiser : ce n’est pas forcément un aller simple. Une fugue, c’est parfois juste vouloir reprendre son souffle, ailleurs.

Vos personnages évoluent dans une France fragmentée, où l’origine semble être une prison dans laquelle on enferme les individus. Entrevoyez-vous l’espoir d’une « réconciliation française » ?

Je veux croire que ce qui nous ressemble sera toujours plus important que ce qui nous divise. C’était le sens pour moi de la marche du 11 janvier. Mais pour se réconcilier, ce sera plus long. Il faut arriver à se parler d’égal à égal, assumer une Histoire et des problèmes communs, s’écouter les uns les autres et surtout que chacun fasse son autocritique. Pour de vrai. Aujourd’hui, ce que je vois quand j’allume la télé, ce sont des professionnels de la politique et des medias qui parlent de l’Islam pendant que les tweets défilent sur l’écran. Nous méritons mieux que ça. La France mérite mieux que ça.

 

Propos recueillis par Balla Fofana

 

* Roman numérique disponible sur Amazon et Apple Store. Bande annonce du roman.

 

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