Ce samedi 24 janvier 2015, nous étions une quinzaine à avoir bravé le RER E et les trottoirs gelés de Seine-Saint-Denis pour venir assister à la Master Class animée par Michel Beuret, cofondateur du Bondy Blog, aujourd’hui journaliste correspondant à Paris pour la Radio Télévisoin suisse RTS. Après avoir bu un verre de café, préparé avec amour et conservé avec précaution dans un grand thermos de Khadija, nous nous asseyons autour de la table de la rédaction à 10h30 pour échanger pendant plus de deux heures avec Michel Beuret.

Le journaliste suisse a la quarantaine et les cheveux poivre et sel. Il arbore un sourire sincère, une écharpe bleue autour du cou et un pullover noir. Michel Beuret n’est pas nouveau dans le monde médiatique et ce n’est pas peu de le dire. Reporter international, il a produit ces vingt derniers années de nombreux reportages internationaux, en particulier dans des pays en conflits ou en crise (Mali, Libye, Liban, Syrie, Soudan, Colombie, Afghanistan, Irak, Sierra Leone, ex-Yougoslavie etc.). Après 18 ans passés en presse écrite jusqu’en 2010, il aborde sa 5ème année de télévision.

Le thème de cet atelier, se centre sur le principe d’empathie et de compréhension de l’autre, une qualité journalistique dont n’est pas dépourvu Michel Beuret : il s’intéresse aux profils des gens assis à la table, à leurs réactions, à leurs parcours, à leurs façons de voir les choses… « L’idée principale du journaliste est d’être à la recherche de l’autre. Toute ma vie j’ai tenté de comprendre les autres et c’est sûrement pour ça que j’ai fait ce métier ! ». Et ça tombe bien s’il recherche la diversité : les gens siégeant autour de la table viennent d’horizons variés, allant de 20 à 55 ans, d’origines, de cultures et de religions différentes.

Michel Beuret souligne que ce sont nos vécus qui nous font porter des jugements différenciés sur ce qui attire notre attention : « ce que l’on voit est subjectif, guidé en fonction de notre âge, de notre sexe, de nos origines, de nos expériences, de notre parcours, de notre éducation, de nos traumatismes, de nos désirs… ». Afin de démontrer sa thèse, le journaliste suisse nous propose de légender en quelques lignes une photo prise lors de la marche du 11 janvier. Et en effet, aucune des personnes présentes lors de l’atelier n’a vu la même chose sur le cliché. « On a tous des préjugés qu’il faut surpasser pour découvrir l’individu ou la situation qui se déroule sous nos yeux. C’est ça le cœur du journalisme ! » lance-t-il. « Il faut comprendre d’où viennent les idées des gens qui nous font face », citant le cas d’une journaliste sioniste partie interviewer Dieudonné dans sa maison privée. Il évoque aussi l’exemple des « phrases à signifiant flottant », que l’on se réapproprie en fonction de nos expériences personnelles, comme le fameux slogan « Je suis Charlie ». Qu’entend-on par ces trois mots ? La défense de la liberté d’expression ? La défense de la liberté d’information ? La défense de Charlie Hebdo pour son contenu caricatural ?

L’un des bloggeurs lance alors le sujet de l’objectivité dans le journalisme. « Par définition, le journaliste objectif n’existe pas. Seule l’honnêteté intellectuelle, dans son travail compte » répond Michel Beuret. Ce dernier souligne l’importance du travail journalistique en démocratie. « Un travail de journaliste bien fait sert à la cohésion sociale, contribue au vivre-ensemble. Autrement, les médias peuvent avoir un effet destructeur car comme le disait Edwy Plenel, on porte « la plume dans la plaie » ». Selon lui, il faut chercher ce que cache ce que l’on recueille, en évoquant les statistiques sociales, « instruments politiques » par excellence. « Par exemple, quand Laurent Fabius interviewé sur la matinale de France Inter déclarait au lendemain de la minute de silence, que l’on avait recensé 67 cas de non-respect dans les écoles françaises, c’est impossible ! C’est impossible d’avoir un chiffre aussi précis en quelques heures des dizaines de milliers d’établissements. Ce chiffre avait avant tout un but politique : calmer le jeu ».

L’animateur de la master class précise ensuite qu’il ne faut pas généraliser ce que l’on a sous les yeux, ne pas faire d’une observation particulière une vérité générale. « Il faut garder à l’esprit que les informations, on les a recueillies à un endroit et à un moment précis ! ». Il évoque notamment un de ses reportages à Tombouctou, durant lequel il avait rapporté les cas de viol, nombreux, de jeunes femmes. « Les faits que j’ai retransmis, je ne les ai recensé qu’à Tombouctou, je ne dois pas généraliser même si ce n’est pas pour autant que ça n’a pas existé ailleurs au Mali ». Nous appelant à rester humble, Michel Beuret souligne que certaines situations, certaines cultures nous dépassent et qu’on ne peut les comprendre mieux qu’en passant du temps sur le terrain.

Pour finir, les personnes présentes à la master class demandent à Michel Beuret de parler de la fondation du Bondy Blog, en 2005. A l’époque, Michel Beuret était journaliste au magazine suisse l’Hebdo. Au moment des « émeutes », la rédaction de L’Hebdo a tenté de comprendre ce qui se passe : « On avait l’impression, vu de l’extérieur, que toute la France brûlait. On a d’abord appelé des sociologues de la banlieue et des confrères pour tenter de comprendre mais sans obtenir de réponses claires « à l’époque, la banlieue n’était pas un sujet journalistique ! ». La rédaction de L’Hebdo décide alors de se poser à Bondy, à l’initiative de Serge Michel, afin de « raconter ce qu’on y voit : la vie dans une cité ». Arrivés sur place, les journalistes s’aperçoivent qu’ils captent des portraits extraordinaires. « Grâce à toutes ces personnes, on commençait à percevoir ce qui n’allait pas en banlieue mais aussi tout ce qui allait bien, tout ce dont on ne parle jamais, la normalité». Après avoir passé trois mois à Bondy, à dormir au local du club de foot de la Cité Blanqui, ils rentrent en pays helvète. « Mais on avait promis aux habitants de rester, que le blog se perpétuerait. Alors on a passé le relai à Mohamed Hamidi ».

Selon Michel Beuret, le blog contribue à nourrir le débat et peut-être faire bouger les lignes sur les sujets qui touchent aux zones périurbaines, que ce soit au niveau politique ou journalistique. « C’est toujours d’en bas que viennent les réponses aux nécessités de changement».

A 13 heures, c’est l’interruption des débats qui se poursuivront autour de viennoiseries, dans la cuisine du Bondy Blog, après la traditionnelle « photo de famille » !

 

Tom Lanneau

 

Prochaine école du blog : Samedi 7 février de 10 h à 13 h, le Bondy Blog reçoit Florent Marcie, réalisateur de films documentaires. L’exercice pratique de sa masterclass s’appuyera sur des extraits de son dernier film « Tomorrow Tripoli ». Outre la révolution libyenne dont Florent Marcie fut le témoin direct, il expliquera comment il travaille seul puisqu’il produit, tourne, monte et mixe lui-même ses films.

Gratuite et ouverte à tous et toutes, sur inscription : envoyez un email à ecoledublog@gmail.com

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